Ces assassinats transfrontaliers sont le reflet d’une rage nationale qui s’exprime dans le carnage de Gaza – et du désir de Netanyahou de poursuivre la guerre pour toujours.
Paul Pillar*
L’assassinat en Iran du chef politique du Hamas, Ismail Haniyeh, très certainement par Israël ou par des éléments agissant pour le compte d’Israël, n’aura aucun effet positif, y compris pour la sécurité d’Israël lui-même.
Au contraire, cela ne fera qu’accroître le potentiel déjà élevé de guerre, de mort et de destruction au Moyen-Orient.
L’Iran se sentira obligé de réagir, même si la victime de l’assassinat n’était pas iranienne. L’attentat s’est produit au cœur de l’Iran et le meurtre d’un visiteur étranger qui se trouvait en ville pour l’investiture du nouveau président iranien est une grave source d’embarras pour Téhéran.
Les décideurs iraniens tiendront compte de considérations contradictoires pour décider de la manière de réagir. La réponse de l’Iran à l’attaque israélienne contre un complexe diplomatique iranien à Damas en avril est un indice de leur réflexion. Les représailles iraniennes ont pris la forme d’un barrage de missiles et de drones contre Israël, barrage important mais conçu pour minimiser les dommages causés à Israël et, partant, pour minimiser toute raison pour Israël de poursuivre l’escalade.
La réponse iranienne à ce nouvel assassinat ne sera pas nécessairement la même, mais le pouvoir iranien pourrait à nouveau chercher des moyens d’envoyer un message fort tout en limitant le risque d’escalade.
Les Israéliens ont pris l’habitude de traiter toute action armée contre Israël comme s’il s’agissait d’une agression non provoquée et non comme des représailles à un acte commis par Israël lui-même. On peut donc s’attendre à ce que, quelle que soit la manière dont l’Iran riposte cette fois-ci, Israël réponde par d’autres actions violentes. Malgré les efforts déployés par l’une ou l’autre des parties pour limiter l’escalade, cette riposte risque de devenir incontrôlable.
La longue série d’assassinats et d’autres actes de sabotage commis par Israël en Iran s’est concentrée dans le passé sur les scientifiques nucléaires iraniens. Ces assassinats, contrairement aux mesures diplomatiques, n’ont pas empêché le programme nucléaire iranien de progresser jusqu’à son état actuel, c’est-à-dire au seuil de la possession de suffisamment de matières fissiles pour fabriquer une arme nucléaire.
De même, l’assassinat de Haniyeh ne fera rien pour freiner la violence du Hamas contre les Israéliens, que ce soit dans la bande de Gaza ou ailleurs. Haniyeh était une personnalité politique qui vivait en exil ces dernières années et qui semblait n’avoir que peu ou pas d’influence sur les activités militaires des éléments du Hamas à Gaza, ou même en être conscient. Le principal effet immédiat de l’assassinat sera d’entraver les négociations en vue d’un cessez-le-feu et de la libération des otages, en raison à la fois du rôle personnel de Haniyeh dans la diplomatie concernée et de l’augmentation générale de la tension et de l’animosité dans l’environnement entourant la diplomatie.
Ce dernier chapitre de la longue histoire israélienne des assassinats, tant clandestins que revendiqués, a récemment semblé passer en mode de pilotage automatique macabre, dans lequel les cibles à assassiner sont frappées sans apparemment se soucier des conséquences sur la sécurité non seulement des étrangers, mais aussi des Israéliens.
Cela a été particulièrement vrai pour les cibles du Hamas, mais aussi, dans le contexte des tensions croissantes le long de la frontière israélo-libanaise, pour celles du Hezbollah.
La démangeaison de la gâchette israélienne pour l’assassinat a été démontrée après qu’une roquette a frappé un terrain de football il y a quelques jours et tué 12 personnes – non pas des Israéliens dans ce que le monde reconnaît comme Israël, mais plutôt des Druzes dans un village sur les hauteurs du Golan syrien occupé (et annexé) par Israël. Les vives dénégations de responsabilité du Hezbollah sont crédibles compte tenu de la difficulté d’imaginer un motif possible pour le Hezbollah de cibler les Druzes dans la Syrie occupée.
La plupart des Druzes du plateau du Golan sont, malgré les années d’occupation israélienne, des citoyens syriens. Plutôt qu’une attaque intentionnelle du Hezbollah, la roquette meurtrière pourrait avoir été soit une munition mal dirigée par le Hezbollah, soit, ce qui est encore plus probable, un intercepteur israélien du Dôme de fer qui a manqué sa cible aérienne.
Malgré les indications antérieures d’une inclination israélienne à ne pas escalader directement vers une guerre totale avec le Hezbollah ou l’Iran, entraîner les États-Unis dans une guerre avec l’Iran est probablement un objectif de Netanyahou.
Cela servirait les multiples objectifs que la promotion constante par Israël de l’hostilité envers l’Iran a toujours servis – y compris détourner l’attention des propres actions d’Israël à Gaza et ailleurs – tout en laissant les États-Unis faire le gros du travail militaire, avec tous les coûts et les risques que cela implique.
Que Netanyahou atteigne ou non cet objectif, la dernière action d’Israël renforce son statut de l’un des États du Moyen-Orient les plus actifs en matière de terrorisme (et l’assassinat du chef politique du Hamas, Haniyeh, était un acte de terrorisme international selon la définition officielle des États-Unis) et de principale source d’instabilité régionale.
Par Paul R. Pillar
*Paul R. Pillar est chercheur principal non résident au Centre d’études de sécurité de l’université de Georgetown et chercheur non résident au Quincy Institute for Responsible Statecraft. Il est également membre associé du Geneva Center for Security Policy.
Responsible Statecraft
Traduit par Brahim Madaci