Comment a-t-elle commencé ? Question stupide. Les conflagrations le long de la bande de Gaza ne commencent pas. Elles constituent simplement une chaîne continue d’événements, chacun d’eux prétendant être en “représailles” du précédent. L’action est suivie de réaction, qui est suivie de représailles, qui sont suivies de…
Cet événement particulier est “parti” du tir depuis Gaza d’une arme anti-char contre une jeep partiellement blindée se trouvant du côté israélien de la barrière frontalière. Ce tir fut présenté comme lancé en représailles de la mort d’un garçon au cours d’une attaque aérienne quelques jours plus tôt. Mais il est probable que le moment de l’action a été fortuit – l’occasion s’est juste présentée.
Le succès a suscité des manifestations de joie et de fierté à Gaza. Une nouvelle fois les Palestiniens avaient montré leur capacité de frapper l’ennemi honni.
POURTANT, LES Palestiniens étaient tombés dans un piège préparé avec grand soin. Que l’ordre ait été donné par le Hamas ou par une organisation extrémiste plus modeste – ce n’était pas une chose intelligente à faire.
Tirer à travers la clôture sur un véhicule de l’armée, c’était franchir une ligne rouge. (Le Moyen Orient est plein de lignes rouges.) Il était sûr qu’une réaction israélienne majeure s’ensuivrait.
C’était plutôt de la routine. Des chars israéliens ont tiré des obus sur la bande de Gaza. Le Hamas a lancé des roquettes sur des villes et des villages israéliens. Des centaines de milliers d’Israéliens se sont précipités dans leurs abris. Des écoles ont fermé.
Comme d’habitude, des médiateurs égyptiens et autres sont intervenus. Dans les coulisses, une nouvelle trève a été conclue. Cela semblait terminé. Juste un autre round.
La partie israélienne a tout fait pour revenir à la normalité. Du moins en apparence. Le Premier ministre et le ministre de la Défense ont abandonné l’affaire (pour s’occuper de la frontière syrienne) afin de montrer que Gaza ne faisait plus partie de leurs préoccupations.
À Gaza, tout le monde s’est détendu. Les gens ont quitté leurs abris. Leur commandant militaire en chef, Ahmad Ja’abari, est monté dans sa voiture pour emprunter la rue principale.
C’est alors que le piège s’est refermé. La voiture où se trouvait le commandant en chef a explosé sous le coup d’un missile venu des airs.
UN TEL assassinat n’est pas exécuté sous l’impulsion du moment. C’est le point culminant de nombreux mois de préparation, de recueil d’informations, d’attente du moment précis où il pourrait se réaliser sans tuer de nombreuses personnes à côté en causant un scandale international.
En réalité, il aurait dû se produire un jour plus tôt, mais il avait été différé à cause du mauvais temps.
Ja’abari était l’homme derrière toutes les activités militaires du gouvernement du Hamas à Gaza, dont la capture de Gilad Shalit et le secret gardé pendant cinq ans sur le lieu de sa détention. Il avait été photographié lors de la remise de Shalit aux Égyptiens.
Alors c’était cette fois au tour des Israéliens de manifester leur joie. Tout comme les Américains après l’assassinat d’Ousama Ben- Laden.
L’ASSASSINAT de Ja’abari a été le signal pour déclencher l’opération planifiée.
La bande de Gaza est remplie de missiles. Certains d’entre eux sont capables d’atteindre Tel Aviv, distante de quelque 40 km. L’armée israélienne a planifié depuis longtemps une opération majeure pour en détruire une quantité aussi importante que possible depuis les airs. Les services de renseignement ont rassemblé patiemment des informations sur leurs emplacements. C’est l’objectif de l’opération “Colonne de Nuée”. (Et le Seigneur les précédait le jour au sein d’une colonne de nuée, pour leur montrer le chemin – Exode 13, 21).
Au moment où j’écris, je ne sais pas encore comment tout cela se terminera. Mais on peut déjà tirer quelques conclusions.
TOUT D’ABORD, il ne s’agit pas de Plomb Durci II. Loin de là.
L’armée israélienne est plutôt habile à tirer discrètement les leçons de ses échecs. Plomb Durci a été célébré comme un grand succès, mais cela a été en réalité un désastre.
L’envoi de troupes dans une zone à forte densité de population conduit à causer de lourdes pertes civiles. Les crimes de guerre sont presque inévitables. La réaction mondiale a été catastrophique. Le dommage politique immense. Le chef d’état-major de l’époque, Gaby Ashkenazi, a été largement acclamé, mais c’était en réalité un militaire de type plutôt primitif. Son successeur actuel est d’un autre calibre.
De plus, des déclarations grandiloquentes sur la destruction du Hamas et le retour de la Bande sous l’autorité de Ramallah ont été cette fois évitées.
L’objectif israélien, a- t- il été déclaré, est de causer le maximum de dommages au Hamas avec le minimum de victimes civiles. On espérait que cela pourrait se réaliser presque entièrement par le recours à la force aérienne. Dans la première phase de l’opération, cela a semblé réussir. La question est de savoir si cela peut être maintenu alors que la guerre se poursuit.
COMMENT cela va- t- il finir ? Il serait imprudent d’en préjuger. Les guerres ont leur propre logique. Les choses arrivent, comme disait l’autre.
Benjamin Nétanyahou et Ehoud Barak, les deux hommes qui dirigent tout, espèrent que la guerre prendra fin lorsque les objectifs principaux auront été atteints. Il n’y aurait ainsi aucune raison d’employer l’armée sur le terrain, d’entrer dans la bande de Gaza, de tuer des gens, de perdre des soldats.
La dissuasion sera rétablie. Une autre trêve sera mise en œuvre. La population israélienne proche de la Bande pourra dormir tranquillement la nuit pendant plusieurs mois. Le Hamas sera remis à sa place.
Mais l’ensemble de l’exercice va- t- il modifier fondamentalement la situation ? Il ne semble pas.
Ja’abari sera remplacé. Israël a assassiné des dizaines de dirigeants politiques et militaires arabes. C’est même le champion du monde de ce genre d’assassinats, poliment qualifiés de “préventions ciblées” ou d’“éliminations”. Si c’était une discipline olympique, le ministre de la Défense, le Mossad et le Shin Bet seraient couverts de médailles d’or.
On a quelquefois l’impression que les assassinats sont un objectif en soi, et les autres opérations simplement accessoires. Un artiste est fier de son art.
Quels ont été les résultats ? Globalement, rien de positif. Israël a tué le dirigeant du Hezbollah Abbas al- Moussaoui, et obtenu à la place le beaucoup plus intelligent Hassan Nasrallah. Ils ont tué le fondateur du Hamas Sheik Ahmad Yassin, et il a été remplacé par un homme plus habile. Le successeur de Ja’abari peut être plus ou moins compétent. Cela ne fera pas une grande différence.
Cet assassinat mettra- t- il fin à la progression constante du Hamas ? J’en doute. C’est peut- être le contraire qui se produira. Le Hamas a déjà réalisé une percée significative lorsque l’Émir du Qatar (propriétaire d’Aljazeera) a fait à Gaza une visite d’État. Il a été le premier chef d’État à le faire. D’autres sont appelés à le suivre. En ce moment même, en plein milieu de l’opération, le Premier ministre égyptien arrive à Gaza.
L’opération “Colonne de Nuée” (« Pillar of Cloud » en anglais) impose à tous les pays arabes de se rassembler autour du Hamas ou au moins à y prétendre. Cela contredit la déclaration des organisations les plus extrémistes de Gaza que le Hamas est devenu doux et nonchalant en goûtant aux avantages du gouvernement. Dans la bataille pour l’opinion palestinienne, le Hamas a gagné une nouvelle victoire sur Mahmoud Abbas, dont la coopération avec Israël en matière de sécurité va paraître encore plus méprisable.
À tout prendre, rien de fondamental ne va changer. Ce n’est qu’une guerre superflue de plus.
C’EST, naturellement, un événement éminemment politique.
Comme Plomb Durci, il se produit à la veille d’élections israéliennes. (À propos, c’était aussi le cas de la guerre du Kippour, mais elle avait été décidée par le camp adverse.)
L’un des spectacles les plus lamentables de ces derniers jours a été l’apparition à la télévision de Shelly Yachimovich et de Ya’ir Lapid. Les deux nouvelles étoiles qui brillent au firmament politique d’Israël ressemblaient à des politiciens minables, répétant comme des perroquets la propagande de Nétanyahou, approuvant tout ce qui était fait.
L’un et l’autre avaient accroché leurs wagons à la protestation sociale, dans l’espoir que les questions sociales allaient prendre la place des questions comme la guerre, l’occupation et les colonies dans le programme. Lorsque l’opinion publique s’inquiète du prix du fromage blanc, qui se soucie de la politique nationale ?
J’ai dit à l’époque qu’une petite dose d’action militaire rejetterait toute question économique et sociale comme frivole et déplacée. C’est ce qui vient de se produire.
Nétanyahou et Barak apparaissent plusieurs fois par jour à l’écran. Ils paraissent responsables, sérieux, déterminés, expérimentés. De vrais mâles, à la tête des troupes, maîtres des événements, sauveurs de la nation, dictant leur conduite aux ennemis d’Israël et à l’ensemble du peuple juif. Comme l’a affirmé Lapid en direct à la télévision : “Le Hamas est une organisation terroriste anti- sémite qu’il faut écraser.”
C’est ce que fait Nétanyahou. Adieu Lapid. Adieu Shelly. Adieu Olmert. Adieu Tzipi. Nous avons été heureux de vous voir.
Y AVAIT- IL une alternative ? Évidemment, la situation aux abords de la bande de Gaza était devenue intolérable. Vous ne pouvez pas envoyer toute une population aux abris toutes les deux ou trois semaines. Sauf à frapper le Hamas à la tête, que pouvez- vous faire ?
Beaucoup.
Tout d’abord, Vous pouvez vous abstenir de “réagir”. Simplement rompre l’enchaînement.
Ensuite, vous pouvez dialoguer avec le Hamas en tant que gouvernement de fait à Gaza. Vous l’avez fait, réellement, lorsque vous avez négocié la libération de Shalit. Alors, pourquoi ne pas envisager un modus vivendi permanent, avec l’implication de l’Égypte ?
On peut réaliser une hudna. Dans la culture arabe, une hudna est une trêve qui engage, sanctifiée par Allah, et qui peut durer de longues années. Une hudna ne peut être violée. Même les croisés ont conclu des hudnas avec leurs ennemis musulmans.
Le lendemain de l’assassinat, le militant de la paix israélien Gershon Baskin, qui avait été impliqué dans la médiation pour la libération de Shalit, a révélé qu’il avait été en contact avec Ja’abari jusqu’au dernier moment. Ja’abari s’était montré intéressé par un cessez- le- feu durable. Les autorités israéliennes en avaient été informées.
Mais le remède véritable est la paix. La paix avec le peuple palestinien. Le Hamas a déjà déclaré solennellement qu’il respecterait un accord de paix conclu par l’OLP – c’est-à-dire par Mahmoud Abbas – établissant un État palestinien sur les frontières de 1967, à condition que cet accord soit confirmé par un référendum palestinien.
Sans cela, l’effusion de sang va tout simplement se poursuivre, round après round. Sans fin.
La paix est la réponse. Mais lorsque la visibilité est voilée par des colonnes de nuée, qui peut voir cela ?
Uri Avnery,
20 novembre 2012
SOURCE
Article écrit en hébreu et en anglais, publié sur le site de Gush Shalom le 17 novembre 2012 Traduit de l’anglais « Another Superfluous War » pour l’AFPS : FL