« Les gens ont absolument le droit de critiquer le gouvernement d’Iran », a déclaré le président Hassan Rohani, coupant l’herbe sous les pieds d’un Donald Trump, pressé d’accuser la République islamique de « corruption » et d’appeler les dirigeants à « respecter les droits du peuple ». Il rappelait, également, que « les États-Unis observent de très près les violations des droits de l’homme ». Les dernières manifestations en Iran qui ont, immédiatement, fait l’objet d’informations et d’images déformées et tronquées dans les medias internationaux, feraient-elles parties d’un plan américain plus large de « changement de régime » en Iran ? Une analyse documentée, publiée par le site « Moon of Alabama », donne des éléments de réponse.
En Iran, une révolution de couleur ou une insurrection ont peu de chances de réussir. Cependant, même si elles échouent, elles peuvent être utilisées comme un prétexte à de nouvelles sanctions et autres mesures contre l’Iran. Les événements de ces jours ne sont, ainsi, qu’une partie d’un plan plus large.
Les démocraties « occidentales » distinguent généralement les partis politiques en droite et gauche, avec des critères de politique économique et politique. La « gauche » est considérée comme privilégiant une économie sociale qui bénéficie à la plus grande partie de la population, et comme culturellement libérale et progressiste. La droite est vue comme culturellement conservatrice avec une préférence pour une économie de libre échange qui favorise les couches les plus riches de la nation.
En Iran, les camps politiques sont différents. Pour simplifier : les conservateurs ou « principalistes », sont culturellement conservateurs, mais favorisent des programmes économiques qui bénéficient aux pauvres. Le dernier président iranien proche d’eux fut Mahmoud Ahmedinejad. L’une de ses principales options politiques fut la mise en application des paiements comptants aux nécessiteux en remplacement des subventions globales coûteuses sur les produits pétroliers et les denrées alimentaires. L’actuel président iranien, Hassan Rohani, est un membre du camp « réformiste ». Il est soutenu par les commerçants et les secteurs les plus riches de la société. Il est (relativement) culturellement progressiste, mais sa politique économique est néo-libérale. Son nouveau budget pour les prochaines années réduit les subventions pour les pauvres introduites par Ahmedinejad. Ce qui augmente les prix du pétrole et des denrées alimentaires de base de 30 à 40%.
Les manifestations des 28 et 29 décembre adressaient ces questions économiques et d’autres. De telles manifestations se produisent régulièrement en Iran depuis des dizaines d’années. Cependant, ces dernières ont été rapidement détournées par des petits groupes qui ont scandé des slogans contre le système iranien et contre l’engagement iranien fort en Syrie et en Palestine. Ce n’est pas la position majoritaire au sein des 80 millions d’habitants de l’Iran : Selon les sondages, 67,9% de la population estime que l’Iran doit accroître son soutien aux groupes anti-État islamique, comparé à 59,8% il y a un an. En même temps, une majorité de 64,9% soutient le déploiement de militaires iraniens en Syrie pour aider le régime de Bachar al-Assad, contre 62,7% l’année dernière.
Les petits groupes qui ont détourné la protestation contre la politique économique de Rohani sont lourdement promus par les habituelles opérations d’influence américaines. Avaaz, la RAND Coopération, Human Rights Watch et d’autres ont immédiatement sauté dans le train. Ken Roth de HRW a même utilisé une photo d’un meeting pro-gouvernemental pour illustrer une manifestation bien plus restreinte anti-gouvernementale. Les plus petits groupes qui ont détourné et donné de la publicité à la manifestation semblent bien coordonnés. Mais ils sont loin d’un mouvement spontané, voire d’une majorité.
Le matin du 30 décembre, des grandes manifestations en soutien à la république iranienne se sont déroulées dans plusieurs villes. À Téhéran, plusieurs milliers de personnes y ont participé. Suzanne Maloney, qui s’auto définit comme une « junkie de l’Iran » du Brookings Center for Middle East Policy, les a interprétées comme des « contre-manifestations » aux petits rassemblements de la nuit précédente : « La république islamique dispose d’une machine bien huilée pour mobiliser les manifestations pro-régime (Rohani lui-même a mené l’une d’elles en 1999, après une manifestation étudiante). Ce qui est intéressant c’est que le déploiement a eu lieu presque immédiatement cette fois-ci », a-t-elle écrit sur son compte Twitter.
La « junkie de l’Iran » et « experte » » ne sait pas qu’en Iran, les manifestations annuelles pro-gouvernementales ont lieu le 9 de Dey (30 décembre du calendrier persan – NDT) depuis 2009, et sont planifiées bien à l’avance. Elles commémorent la défaites de la tentative de révolution de couleur orchestrée par la CIA en 2009 avec pour « larbin », la fraction la plus riche de la société iranienne dans le nord de Téhéran. Cette tentative fut suivie par la réélection du président Ahmedinejad. Aujourd’hui, on ne voit pas encore clairement quelle couche sociale – si c’est le cas – est utilisée.
En juin 2009, le Brookings Institute publiait un manuel sur la méthode de renversement du gouvernement iranien ou de prise de contrôle du pays. Suzanne Maloney en était l’un des auteurs. « Quel chemin vers la Perse ? Options pour une Nouvelle Stratégie Américaine en Iran – WHICH PATH TO PERSIA? – Options for a New American Strategy toward Iran (pdf) – comprend quatre parties :
- Les options diplomatiques
- Les options militaires
- Le changement de régime
- Le contrôle
La troisième partie inclut
- Chapitre 6 : la révolution de velours : soutenir un soulèvement populaire
- Chapitre 7 : inspirer une insurrection en soutenant une minorité iranienne et des groupes d’opposition
- Chapitre 8 : le coup : soutenir un mouvement militaire contre le régime
La « révolution de couleur », de velours, a échoué en 2009 lorsque le « mouvement vert » n’a pas réussi à convaincre le peuple iranien qu’il était plus qu’une tentative soutenue par l’étranger pour renverser leur République.
Aujourd’hui, nous assistons, en Iran, à une combinaison des chapitres 6 et 7 du plan Brookings. Derrière un mouvement plus ou moins populaire qui proteste contre la politique économique néo-libérale du gouvernement Rohani, un mouvement militant, comme nous venons de le voir, applique une stratégie d’escalade qui pourrait mener à une guerre civile. Nous avons déjà vu la même recette en Libye et au début de l’attaque contre la Syrie.
En juin dernier, le Wall Street Journal rapportait que la CIA avait mis en place une cellule spéciale d’opération pour de telles attaques contre l’Iran : « La Central Intelligence Agency a établi une organisation concentrée exclusivement sur la collecte et l’analyse de renseignements sur l’Iran, signe de la décision de l’administration Trump de faire de ce pays une cible à plus haute priorité pour les espions américains, selon des responsables américains. L’Iran Mission Center rassemblera des analystes, du personnel des opérations et des spécialistes de la CIA pour utiliser l’ensemble des compétences de l’agence, y compris les opérations secrètes. Pour diriger cette nouvelle unité, Mike Pompeo a choisi un vétéran du renseignement, Michael D’Andrea (l’un des responsables les plus acharnés de la CIA), qui a, récemment, supervisé le programme des frappes létales par drones de l’agence, et a été crédité par nombre de ses pairs pour les succès contre al Qaeda dans la longue campagne américaine contre le groupe terroriste. (…) D’Andrea, ancien directeur du Centre de contre-terrorisme de la CIA, est connu parmi ses pairs comme un patron exigeant mais efficace, et un converti à l’Islam qui travaille de longues heures. Certains hauts responsables ont exprimé leur inquiétude quant à ce qu’ils perçoivent comme une position agressive envers l’Iran. »
D’Andrea est l’homme de la CIA qui a « laissé tomber », alors qu’il aurait pu éviter l’attentat du 9/11. Il est intimement impliqué dans le programme de torture et la campagne d’assassinats ciblés au Pakistan et en Afghanistan. Il est suspecté d’être le cerveau derrière la coopération américaine avec le Wahhabisme extrémiste en Libye, en Syrie et en Irak.
Le 30 décembre, un groupe terroriste sunnite a fait exploser un pipeline dans le sud-ouest de l’Iran près de la frontière avec l’Irak. Ansar al Furqan (les « Brigades du Critère, présent, également, en Syrie – NDT) a déclaré qu’ « un important pipeline a sauté dans la région d’Omidiyeh et de la ville occupée d’Ahwas » (https://www.longwarjournal.org/archives/2017/12/iran-based-jihadist-group-claims-attack-on-oil-pipeline.php ). Le groupe a ajouté qu’il avait créé une nouvelle unité, la Brigade des Martyrs d’Ahwaz. La population de la zone d’Ahwas est, historiquement, largement arabe. Cependant, on ne sait pas clairement si cette brigade est formée d’Arabes iraniens ou de Baloutches, la plupart de ses membres étant présumés Baloutches. Les jihadistes ont déclaré que « cette opération a été menée pour infliger des pertes à l’économie du régime criminel iranien »
Selon le Centre américain militaire de lutte contre le terrorisme (Combating Terrorisme Center), Ansal al Furqan est issu du groupe terroriste vaincu Jundallah, qui a tué des centaines de responsables et de civils iraniens. Jundallah était formé de rebelles baloutches combattant pour un « Baloutchistan libre » dans la zone sud-ouest du Pakistan et sud-est de l’Iran. Après la mort de son chef en 2010, le groupe s’est divisé et transformé en Ansar al-Furqan et autres groupes. Certains sont sous influence étrangère. Mark Perry écrivait en 2012 : « Une série de mémos de la CIA décrivent comment les agents israéliens du Mossad se sont fait passer pour des espions américains afin de recruter des membres de l’organisation terroriste Jundallah pour mener leur guerre secrète contre l’Iran.
Des agents du Mossad ont employé les terroristes de Jundallah pour tuer des experts iraniens en nucléaire. Il ne serait donc pas surprenant qu’un groupe issu de Jundallah s’attaque maintenant aux infrastructures économiques iraniennes, au moment même où le Mossad et la CIA coordonnent une autre campagne pour renverser le gouvernement iranien. Cela suggère clairement un plan plus large et bien organisé.
Dans la nuit du 30 décembre, des groupes de 20 à 50 jeunes sont apparus dans quelque vingt villes d’Iran et ont se sont mis à vandaliser les rues. Ils ont détruit des panneaux de signalisation, cassé des vitrines et mis le feu à des poubelles. Des courtes vidéos video d’une dizaine de ces incidents peuvent être vues sur différents comptes Twitter. Les commentaires (de la presse) ont été souvent très exagérés.
(…..) Ceux parmi les personnalités politiques qui ont appelé à « bombarder, bombarder, bombarder » l’Iran (John McCain), ou ont menacé de lui déclarer la guerre (Hillary Clinton) ont publié (issued statements) des déclarations en soutien au « peuple iranien » (c’est-à-dire aux émeutiers des rues). Ce sont les mêmes qui étouffent le peuple iranien en imposant sanctions après sanctions – des hypocrites comme Donald Trump et son Département d’État qui publient des déclarations en soutien aux « manifestants pacifiques » qui vandalisent leurs villes à travers le pays, et exigent que « le régime respecte les droits fondamentaux de l’homme ». Un mémo récemment fuité conseillait le secrétaire d’État américain, Rex Tillerson, de la manière suivante : « Les États-Unis devraient utiliser les droits de l’homme comme pour frapper ses adversaires tels que l’Iran, la Chine et la Corée du Nord, tout en donnant un sauf-conduit aux alliés répressifs comme les Philippines, l’Égypte et l’Arabie saoudite ».
Le plan pourrait ne pas être un renversement immédiat du gouvernement iranien, mais d’insuffler une réaction violente de sa part contre les opérations militantes dans le pays. Comme l’écrit Suzanne Manoney, « quoi que fasse le gouvernement américain, ou qu’il dise sur ces manifestations, la réalité est que le monde regarde ce qui se passe en Iran. La réponse de Téhéran aux manifestations déterminera ses relation avec le monde, comme en 2009 ».
Cette réaction peut, ensuite, être utilisée pour appliquer des sanctions plus larges et plus strictes contre l’Iran, particulièrement de l’Europe. Ce qui créerait une nouvelle pierre angulaire d’un plan plus large pour étouffer le pays, et une nouvelle progression sur une échelle plus grande.
Moon of Alabama
Traduction Christine Abdelkrim-Delanne