Vingt-deux ans après l’opération multinationale « Bouclier du Désert » qui a détruit l’Irak au nom de la « démocratie », suivie d’autant d’années d’embargo total décrété par l’américano-Onu (près d’un million de morts dont une majorité d’enfants), c’est un pays ravagé par une guerre civile qui ne dit pas son nom que les États-Unis et leurs alliés laissent derrière eux.
Dix ans après la seconde attaque américano-britannique sur l’Irak, le bilan (hors guerre) publié par Iraq Body Count (IBC[1]) est de 162000 morts de mort violente, dont 79% de civils (3911 enfants), le reste se répartissant entre forces de l’ordre irakiennes (9019), soldats américains (4474) et insurgés. Les violences sont deux fois plus importantes à Bagdad que dans le reste du pays. Les forces de la coalition sont responsables de la mort de 14 705 civils en huit ans « dont plus de la moitié au cours de l’invasions de 2003 et le siège de Fallouja en 2004 ». En 2011, 4063 civils ont été tués, soit plus qu’en 2010. Ce bilan, « provisoire », utilise les propres données d’IBC concernant les civils, les statistiques irakiennes, américaines et les données révélées par Wikileaks (Iraq War Logs). Il faut ajouter à ce bilan plus d’une centaine de pendaisons depuis le rétablissement de la peine de mort (plus d’un millier de condamnés attendent leur exécution), la répression des homosexuels, le sort des minorités chrétiennes, des femmes (viols), des journalistes (plus de 200 assassinés), des avocats et des juges (130 et 24) et des militants démocrates.
Depuis le départ des derniers GI’s, fin décembre, les attentats meurtriers se multiplient en Irak. Chaque jour ou presque, des attentats à la voiture piégée font une quarantaine de morts en moyenne quelque part dans le pays, le plus souvent à Bagdad. La constitution de 2005, confessionnelle et ethnique, en éliminant le système laïc mis en place par le parti Baas, a créé une situation de violence inextricable. L’armée américaine laisse également derrière elle un pays ravagé économiquement, dont Iran et géants pétroliers se partagent les immenses ressources et le marché. Un pays enfin, aux mains de chiites corrompus, de milices ennemies au sein du pouvoir, de l’armée et de la police, de kurdes despotes et de dizaines de milliers de membres de société privées de sécurité, autant dire de mercenaires.
Aujourd’hui, Hillary Clinton témoignant devant le Sénat dans le cadre de l’attaque de Bengazi, s’étonne que les armes des terroristes d’In Amenas proviennent de Libye. « Les révolutions arabes ont bouleversé l’équilibre des forces dans toute la région… » dit-elle. Certes, et pour le pire, jusqu’ici. Et avec la participation directe ou indirecte de Washington.
Comment l’ex-secrétaire d’État et les différentes administrations américaines depuis Bush-père peuvent elles être d’aussi mauvaise foi, ou d’une aussi grande stupidité, au choix ? Quand les Américains reconnaîtront-ils que c’est leur stratégie anti-soviétique en Afghanistan et leurs interventions successives dans le monde arabe qui ont ouvert la boîte de Pandore et « bouleversé l’équilibre des forces dans toute la région », favorisant l’émergence de l’internationale « islamo-mafieuse » ? Quand s’arrêteront-ils de faire n’importe quoi ? Subitement, les Etats-Unis, à entendre Hillary Clinton devant le Sénat, ont, « après Bengazi », « augmenté la pression sur Aqmi et d’autres groupes terroristes dans la région. » Mieux, « nous participons à la lutte, mais c’est une lutte nécessaire. Nous ne pouvons permettre que le nord du Mali devienne une zone de sécurité pour les islamistes », explique la grande prêtresse de la morale supérieure états-unienne à la commission d’enquête du Sénat. Pourquoi le nord du Mali plus que l’Irak, la Syrie ou autre pays arabe ? Madame Clinton !
George Bush-père avait un compte personnel à régler avec Saddam Hussein et des visées sur le pétrole irakien. George W. Bush fils, outre qu’il était stupide, raciste et mégalomaniaque, avait hérité des fantasmes guerriers de son père et défendaient ses intérêts économiques, ceux de sa famille et ceux des amis de la famille. Mais depuis, on avait l’impression qu’Obama et son entourage étaient des gens à peu près normaux, avec un certain niveau d’intelligence et des objectifs internationaux différents et surtout plus pacifiques. Ce n’est apparemment pas le cas, il faudra encore attendre. Vingt-deux ans après et grâce à « Bouclier du Désert », la paix mondiale a fait un immense pas en arrière qu’il sera difficile et long de rattraper.