Un des traits de cette guerre de destruction : tous ceux qui osent parler de solution politique sont qualifiés de suppôts d’Al-Assad.
La Syrie est, déjà, presque une fiction nationale. Il n’y a plus que des communautés, des açabiyates, qui ne pensent plus en termes politiques ou de gains et de pertes. Il n’y a plus que des hommes, en armes, qui se considèrent en situation de péril existentiel. A l’aveuglement sécuritaire du régime qui a traité par la violence des aspirations légitimes s’est superposé celui d’une opposition qui a fixé d’emblée un niveau de demande maximaliste dont le seul effet a été de rendre impossible la solution politique et la négociation. Dès lors, l’engrenage était en place pour que les enjeux géopolitiques viennent se superposer à la crise interne et fermer totalement la perspective politique.
A l’aide substantielle en armes et en fonds – et en hommes avec l’afflux des djihadistes – apportée par le Qatar et l’Arabie Saoudite à l’opposition répond de manière symétrique celle de l’Iran au régime Al-Assad. Sunnite contre chiite, le thème empoisonné sur lequel travaillent avec une constance redoutable depuis deux décennies les médias du Golfe et les « cheikhs » salafistes a trouvé sa première traduction guerrière en Irak. Il s’étend désormais à la Syrie et risque – le mot n’est pas très fort – de dévaster le Liban malgré les efforts officiels de ne pas se mêler au conflit. Il suffit d’observer la ville de Tripoli au nord avec ses « lignes de démarcation » prêtes à s’enflammer pour deviner que c’est un pays en entier qui se trouve sur un baril de haines. On peut ajouter à ces ingrédients les Occidentaux qui encouragent le maximalisme de l’opposition pour favoriser un pourrissement destructeur et la Russie qui n’entend pas se laisser « berner » comme cela s’est passé en Libye.
Le plus attristant est que cette évolution était prévisible. Le scénario de cette autodestruction « bénie » par les « amis » de chaque partie ne pouvait être entravé que si les Syriens entraient en négociation. Il y a bien eu des tentatives menées par des opposants syriens de l’intérieur, des gens marqués à gauche ou dans la mouvance nationaliste, qui ne reconnaissaient aucun magistère aux émirs du Golfe tout en étant très critiques à l’égard du régime. L’indépendance de cette opposition est son défaut aux yeux des forces extérieures qui interviennent dans le conflit syrien. Les idées qu’elle défend vont à l’encontre de leurs objectifs. Les médias du Golfe et d’Occident quand ils ne l’ignorent pas l’ont systématiquement présentée comme étant à la solde du régime. C’est d’ailleurs un des traits de cette guerre de destruction : tous ceux qui osent parler de solution politique sont qualifiés de suppôts d’Al-Assad.
Un véritable terrorisme intellectuel a pourfendu sans autre forme de procès ceux qui considéraient que l’exigence d’un départ immédiat de Bachar al-Assad
Etait contre-productive. Les choses sur le terrain ne l’infirment pas. Les armes ne parviennent pas à trancher le conflit mais elles détruisent la Syrie, « rue par rue, maison par maison ». Les défenseurs de la solution politique n’avaient pas les faveurs des médias mais ils avaient bien raison. Aujourd’hui seuls des aveugles peuvent croire que l’enjeu est la chute du régime. Il est déjà défait ce régime. Il s’est transformé de fait en conglomérat de communautés qui, s’estimant menacées dans leur existence même se battent avec la dureté et l’âpreté de ceux qui ont tout à perdre. Ce n’est plus une affaire de régime, c’est bien la Syrie qui est en train de s’écrouler. Et malheureusement rien ne semble arrêter l’engrenage du moment que les Syriens ne trouvent pas le chemin de la négociation politique. On risque à terme de ne parler que de d’une ex-Syrie.
Le Quotidien d’Oran
26 décembre 2012