Mouloud Feraoun ne s’impose pas ni ne s’invite : il est appelé, devient nécessaire quand la douleur de l’homme a besoin de baume. On finit alors par le retrouver au coin du feu, à une table de café ou dans une salle de discussion. C’est précisément à l’Institut du monde arabe à Paris, le 28 septembre dernier, qu’a été organisé un débat autour du parcours exemplaire d’un des « pionniers de la littérature algérienne d’expression française », relèvera le chercheur et journaliste Lokman Younès. Un hommage annoncé comme tel, auquel le public a répondu nombreux. Ce « résistant culturel a su rendre compte des contradictions du système colonial », poursuivra Tassadit Yacine, directrice d’études à l’École des hautes études en sciences sociales. Homme de plume mais aussi de cœur et d’action, enraciné dans une « double appartenance à sa terre et à son identité », soulignera Zineb Ali-Benali, professeur de littératures francophones à l’université de Paris VIII, Feraoun s’engagera résolument pour la libération de son pays : « Il le disait clairement dans son Journal 1955-1962 », comme l’ont rappelé, à juste titre, certains intervenants dont Tahar Bekri, poète et maître de conférences à l’université Paris X.
Dans la salle, l’émotion sera vive à la relecture théâtralisée du Fils du pauvre, le premier roman de l’écrivain, avec au micro le poète et homme de théâtre Yves Letourneur. Ses textes n’ont pas pris une ride, ils échappent au temps, donnent une leçon de vie, dénoncent la bêtise humaine avec une justesse remarquable, ce qui confère à la conception de Feraoun son universalité. Le 15 mars 1962, quatre jours avant la signature des accords d’Évian, il sera assassiné par l’OAS.
Des clubs Fouroulou
Occasion a été également donnée ce 28 septembre de parler de la fondation qui porte son nom. Et plus : fondation Mouloud-Feraoun pour la culture et l’éducation*. Deux termes chers à celui qui s’engagea avec l’ethnologue Germaine Tillon aux centres sociaux auprès des Algériens démunis et analphabètes, immense majorité à l’époque. Cette fondation s’emploie à perpétuer la pensée de l’écrivain, explique son président Ali Feraoun, « notamment par la diffusion de ses œuvres littéraires et pédagogiques, la vulgarisation auprès des jeunes des valeurs humanistes qui sont exprimées par ses ouvrages ». Elle a mis en place des clubs de lecture et d’écriture appelés clubs Fouroulou, du nom du personnage autobiographique du Fils du pauvre, au sein desquels les jeunes apprennent à aimer la lecture et l’écriture. Une revue également intitulée Fouroulou, consacrée à l’écrivain et traitant de l’actualité culturelle, a vu le jour.
Feraoun sert tout autant de référence que de tremplin aux jeunes assoiffés de littérature. Au théâtre de Tizi-Ouzou, ils ont ainsi adapté le roman La Terre et le sang en langue arabe, spectacle qu’ils ont joué cette année dans plusieurs villes du pays. Ceux de Béjaïa l’ont transposé en kabyle, pour en faire une présentation dans les régions berbérophones. Le roman La Cité des roses devrait faire l’objet d’une mise en scène à Alger, en 2014.
2013 commémore le centenaire de la naissance de l’écrivain, déjà marqué par l’organisation de tables rondes, expositions et journées d’études. « Pour cette rentrée, un séminaire international est en préparation de même qu’un cycle de conférences qui sera réalisé avec le concours de l’Institut français d’Algérie pour présenter la récente biographie de Mouloud Feraoun parue chez Actes Sud et écrite par José Lenzini », note encore Ali Feraoun. On annonce aussi l’adaptation sur scène du Journal par les Passeurs de mémoire de Lyon, qui a connu un grand succès en France. Enfin, un coffret réunira bientôt, dans une présentation unique et originale, toutes les œuvres de l’écrivain.
* Pour toute information, contacter Ali Feraoun, mail : aliferaoun@yahoo.fr, tel : +213550217989.