En Syrie la situation ne cesse d’empirer mais la France garde la même ligne politique. À défaut d’efficacité, ça a au moins le mérite de la constance. Sous les ors de la salle des fêtes de l’Élysée, François Hollande a repris son raisonnement syrien qui doit mener la démocratie sur le chemin de Damas.
Le préambule est classique. Le chef de l’État le répète désormais à chaque intervention : « Si on m’avait écouté on n’en serait pas là. » Si les Américains avaient bombardé le régime, tout aurait été réglé et Hollande d’oser un raccourci saisissant : « L’inaction de la communauté internationale a coûté cher, très cher. Daech qui n’existait pas alors en Syrie s’est installé. » Pour être encore plus clair, Hollande considère que Daech est né de l’inaction d’Obama cette nuit du 31 août 2013. La ficelle est grosse. Les premières fois, on pouvait considérer que c’était de bonne guerre. On n’aime pas se retrouver seul en rase campagne après être monté au front pour s’apercevoir que ses alliés ne suivent pas et sont encore à couvert. Mais depuis, ça tourne à la marotte que rien ne justifie vraiment d’ailleurs.
Qui peut dire ce qui se serait passé si le régime était tombé en septembre 2013 ? La victoire des modérés ? Peut-être. Mais c’est oublier que l’opposition syrienne était déjà minée par les divisions entre les Frères musulmans et les autres tendances politiques, qui, pour la plupart, manquaient cruellement de légitimité sur le terrain. L’affrontement couvait, et en tout cas, cette opposition semblait bien incapable de prendre en main le pouvoir et de le stabiliser.
On peut aussi penser que, sans le régime syrien, Daesh aurait eu un boulevard devant lui et qui sait si le drapeau noir ne flotterait pas sur Damas.
Mais passons. Aujourd’hui reste la question de fond. La France fait la guerre avec une coalition internationale hétéroclite (États-Unis, France, Royaume-Uni, Arabie saoudite, Qatar avec l’appui tacite de la Turquie), dont le seul ciment est la volonté de renverser Assad. Soit. Mais quel est l’objectif ensuite ? Réponse du président là aussi constante : « Garder les structures de l’État syrien mais sans Assad et ses proches, qui ont du sang sur les mains. » Eviter de répéter l’erreur américaine en Irak : « Assad doit partir. » Cette position, au passage, n’est pas née d’Hollande. C’est Nicolas Sarkozy qui l’avait formulée le premier en janvier 2012 devant les armées. Constance de la France donc… Mais comment convaincre Assad de partir ?
Sur ce point, le chef de l’État a franchi une ligne jaune aujourd’hui : « Il faut neutraliser Bachar el-Assad. » Neutraliser. On trouve généralement le terme dans la bouche des barbouzes. On neutralise avec une balle dans la tête.
C’est donc cela la stratégie nouvelle de la France ? Assassiner Assad ? Je n’ai pas la réponse mais c’est ce que tout le monde a compris, à commencer par les autorités de Damas.
C’est peut être une façon d’essayer de faire peur à Bachar. Mais c’est encore oublier une chose. Les Assad ne sont pas les Ben Ali. Il en faut plus pour les effrayer. C‘est surtout oublier que ce n’est pas un homme ou une famille qui contrôle l’état syrien. C’est un clan. Celui des Alaouites. Une minorité religieuse qui a toujours été persécutée dans la région par les sunnites, qui les voient comme une secte de mécréants à éradiquer. Plus de mille ans que ça dure. Pour survivre, ils se sont repliés dans les montagnes, ont théorisé la duplicité, le mensonge sur sa croyance si cela est nécessaire pour survivre. Et aujourd’hui Assad est leur bouclier. « Tu es avec Assad, tu es avec toi-même », dit un slogan. S’il tombe ce ne sera pas lui et ses proches qui seront passés au fil de l’épée, mais tous les Alaouites et ils le savent mieux que personne. C’est cela qui explique la solidité de ce régime en comparaison avec ceux des Ben Ali ou des Kadhafi. Ils se battent pour leur survie.
Pour neutraliser Assad, il faudrait qu’il soit cerné de toute part (et encore). Que ses alliés le lâchent. Les Russes et l’Iran. Téhéran qui, dans la bouche du président de la République, est devenu par la grâce des accords de Vienne une puissance capable de résoudre les crises régionales. C’est peut-être aller un peu vite en besogne. Pour neutraliser Assad, mieux vaut compter sur les Navy Seal ! En encore. Pas sûr que le clan ne tombe pour autant.
Ce 25 août, François Hollande a poussé encore plus loin son positionnement sur la Syrie. Les monarchies du Golfe lui en sauront gré. Mais au final s’il faut un jour faire machine arrière, le chemin de Damas sera long à faire à reculons.
Source : Olivier Ravanello | Le Monde selon Ravanello – mer. 26 août 2015