Les temps ont-ils changé en Françafrique ? Il n’y a pas longtemps, un bon accord de protection signé avec la France suffisait à garantir la pérennité des régimes en place dans les anciennes colonies françaises d’Afrique. La France était alors considérée comme le gendarme de l’Afrique, du moins de son pré carré francophone. En 2013, ce n’est plus pareil. Sans abandonner totalement l’ancien, l’Afrique s’est trouvé un nouveau gendarme qu’il fait bon ne pas compter au nombre de ses ennemis. C’est le président tchadien, Idriss Déby Itno.
N’eût été la prompte intervention des troupes de ce dernier pour lui sauver la mise, l’on ne parlerait plus qu’au passé du président centrafricain, François Bozizé. Alors que le chef officiel de la Françafrique, le Français François Hollande, avait rejeté l’appel à l’aide lancé par le Centrafricain encerclé par une énième rébellion. En déclarant que la France n’était pas en Centrafrique pour protéger un régime, mais juste pour ses propres ressortissants et intérêts, Hollande est entré dans la catégorie des protecteurs peu fiables. Mauvais gendarme qui ne bougerait qu’au gré de ses propres intérêts. La place a été rapidement récupérée par Idriss Déby, guerrier du désert, général de corps d’armée.
Il était à la mi-janvier sur une base militaire au Niger. Pour donner ses dernières consignes à ses 2 000 soldats mis à la disposition de la Mission internationale de soutien au Mali (Misma) afin de prendre en tenailles les djihadistes du septentrion malien et rétablir l’intégrité territoriale de ce pays occupé aux deux tiers. Ancien chef rebelle qui entra victorieusement dans N’Djamena un 7 juin 1982 au côté d’un certain Hissène Habré, avant de reprendre le maquis pour déloger Habré en 1990, Déby Itno maîtrise sans doute mieux que Hollande l’art de la guerre. Et sait être, en plus, fidèle protecteur. Et puissant allié. « Démocratiquement » élu président de la République, il est devenu hautement fréquentable. Surtout depuis que le pétrole coule à flots dans son pays.
Cette mutation « démocratico-financière » n’a en rien altéré les capacités militaires du général Déby. Au contraire. Celui qui vole aujourd’hui au secours de la démocratie malienne malmenée par les putschistes et les extrémistes religieux a développé, au fil des ans, des capacités extraordinaires de protection de sa démocratie. Il n’est pas du genre à se cacher dans un bunker. Il monte au front. L’on garde encore en mémoire les images de Déby à l’avant d’un Hummer blindé, quittant son palais rose de N’Djamena menacée, pour aller combattre des rebelles qui tentaient un coup d’État en 2006. La France, qui l’avait « aidé » à accéder au pouvoir en 1990, s’était également manifestée à travers ses forces aériennes de l’opération Épervier établies au Tchad pour aider à neutraliser les insurgés.
C’est donc un Déby devenu maître chez lui qui propose ses services militaires et fait désormais peur à l’ennemi. Alors que le Nigeria, première puissance économique et militaire ouest-africaine déclarée peinait à réunir 900 hommes pour la campagne malienne, et que la Communauté économique de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao) appelait à l’aide financière et logistique de la France, de l’Onu, de l’Europe et consorts, le Tchad mobilisait rapidement 2 000 soldats. Et les déployait rapidement à Niamey, au Niger, d’où il est plus facile d’aller directement au front à Gao pour déloger les djihadistes et autres narco-trafiquants ayant noyauté les groupes indépendantistes touaregs. Là où la France privilégie les bombardements aériens, les guerriers tchadiens recherchent le combat au sol, seul à même de faire la différence. Et voilà que la France compte désormais sur Déby et ses soldats pour ne pas s’enliser dans le sable malien.
L’Afrique découvre son nouveau chef de guerre, prêt à débarrasser le continent des aventuriers djihadistes. Le régime centrafricain respire mieux depuis que Déby a promis que ses troupes resteront dans ce pays au moins jusqu’en 2014, pour protéger la fragile transition en cours. Au Mali, les djihadistes les redoutent plus que la fameuse « force en attente de la Cedeao » et les bombardements aériens français. Si Dioncounda Traoré, le président malien de transition, y avait pensé plus tôt, il aurait appelé Déby au secours depuis longtemps et aurait évité la bastonnade que lui ont infligée les soldats du putschiste Amadou Sanogo en mai dernier.
Mais attention. La Françafrique n’a pas encore rendu l’âme. Et, même s’il n’a pas les mêmes états de service militaires que Déby, le chef de guerre Hollande qui a une politique de protection à double vitesse, n’est pas à sous-estimer. Si Déby affichait sa nouvelle stature de protecteur de l’Afrique plus que de raison, il se pourrait bien que l’arme favorite des puissants du monde occidental entre rapidement en action. Vous l’avez compris : il s’agit du Tribunal pénal international, le gendarme des gendarmes, ou de sa variante africaine de Dakar sous pression pour juger l’ancien compagnon de Déby, Hissène Habré.