Alors que l’Algérie fête cette année le cinquantième anniversaire d’une indépendance acquise les armes à la main, l’histoire de la colonisation et de ses rapports avec le peuple colonisé connaît un regain d’intérêt parmi les historiens algériens et français. Les uns à la recherche de témoignages précis auprès des acteurs de la guerre libératrice, afin de les soumettre à l’examen critique de leur discipline et d’établir ainsi le récit national objectif – autant que l’Histoire peut l’être – et cohérent dont les jeunes générations algériennes ont tant besoin. Les autres pour revisiter l’histoire coloniale en gommant le plus souvent la réalité de l’exploitation, de l’humiliation, de la spoliation et du racisme du colonat dominant à l’encontre de l’indigène, afin de mettre en exergue un récit à l’eau de rose où les communautés cohabitant dans la « paix française » fraternisaient « malgré tout ».
Puisque cette cohabitation fantasmée était possible, ceux-ci en viennent à regretter que la guerre de libération nationale ait eu lieu. Ce qu’ils refusent de voir, c’est qu’elle était pourtant rendue inéluctable par la volonté du colonisé de briser ses chaînes et l’aveuglement du colonat arc-bouté sur ses pouvoirs et ses privilèges, et son rejet intransigeant de l’Autre – cet indigène dont il récusait jusqu’à l’humanité. Sans parler de l’exode des pieds-noirs, chassés non par le Front de libération national (FLN) victorieux, mais par leurs propres compatriotes ultras colonialistes de l’Organisation de l’armée secrète (OAS) qui, par une politique terre brûlée affichée, voulait l’effondrement de l’État national renaissant avant qu’il ait eu le temps de se remettre sur pied.
Le sort des harkis, ces supplétifs algériens de l’armée coloniale qui ont choisi leur camp, est devenu pour sa part l’objet de manipulations sans fin. La « nostalgérie » bat son plein dans beaucoup de ces écrits qui submergent l’édition en France et en Algérie, non sans connivence et souvent avec complaisance. Elle imprègne aussi le projet de cette « histoire partagée » que les uns et les autres préparent dans le calme serein des bibliothèques, souvent à l’insu des principaux acteurs de l’histoire réelle qui a façonné la nouvelle Algérie.
Deux Algériens s’interrogent sur cette nouvelle façon d’écrire l’Histoire. Le premier, Djoghlal Djemaâ, l’analyse à travers un film d’Alexandre Arcady inspiré d’un roman de Yasmina Khadra : Ce que le jour doit à la nuit. Le second est un chercheur et écrivain, Badr’eddine Mili, qui tente de percer « l’énigme » Benjamin Stora et son rôle dans la fédération d’une cohorte de nouveaux historiens qu’il a pris sous son aile de professeur spécialiste de l’histoire maghrébine à Paris. Avec ce postulat : « L’histoire de l’Algérie sera écrite par la diaspora algérienne. »
Les deux articles, publiés par Algérienews et Le Soir d’Algérie, appellent ouvertement à une « troisième mi-temps », pour que les vaincus de l’Histoire se donnent l’illusion d’avoir gagné le match. À défaut de les publier intégralement par manque de place, nous livrons de larges extraits de l’un et un résumé étoffé de l’autre.