Aussi prévisible, aussi fort que soit le « Ouais, mais il n’y a rien de nouveau ici », aussi peu contraignant que soit l’arrêt de la Cour internationale de justice sur l’occupation ou l’administration israélienne en Cisjordanie et à Jérusalem-Est, c’est une déclaration désagréable et dangereuse.
Par Alon Pinkas
En fait, elle éclipse les pires craintes d’Israël dans la mesure où elle exige qu’Israël mette fin à l’occupation le plus rapidement possible, une occupation que la Cour juge illégale. Lorsque les juges arrivent à cette conclusion et exigent qu’Israël paie des réparations aux Palestiniens, Israël peut défier, ignorer, ridiculiser et attaquer l’opinion de manière moralisatrice autant qu’il le souhaite. Mais cet avis donne raison à de nombreux pays – ennemis et amis, détracteurs et partisans confondus.
La Cour a déclaré que l’occupation était devenue permanente et s’était transformée en annexion. En fait, toute la présence d’Israël en Cisjordanie est illégale, a estimé la Cour.
Le gouvernement de droite extrémiste et messianique de Benjamin Netanyahou peut (et va) rejeter cette décision comme étant un arrêt non pertinent d’un tribunal sans juridiction. Il dira que le tribunal n’a rien exprimé d’autre que de l’antisionisme qui a franchi la ligne fine de l’antisémitisme. Cela ne changera rien au fait qu’il existe désormais un large consensus dans le monde entier. La décision de la Cour n’a pas été facilitée par le vote de la Knesset cette semaine « contre un État palestinien », comme si cette question était actuellement sur la table et nécessitait une action urgente.
La Cour a déclaré que l’occupation était une annexion de facto, répondant ainsi à la question centrale qui lui avait été posée. Elle a ajouté que l’occupation consiste en « une discrimination systématique, une ségrégation et » – voici le redoutable mot en « a » – « un apartheid ».
En ce qui concerne les colonies, la Cour s’est fait l’écho de l’opinion mondiale et l’a armée. Elle a déclaré que les colonies étaient « illégales et contraires au droit international ».Et malgré le retrait unilatéral de 2005, Israël reste « une force d’occupation dans la bande de Gaza ».
La Cour a rendu sa décision sous la forme d’un avis juridique sur saisine des Nations unies, auxquelles elle fournit des avis à la demande dans le cadre de son mandat. En tant que telle, la décision n’est pas juridiquement contraignante, et même si elle est renvoyée par l’Assemblée générale au Conseil de sécurité pour application, on peut raisonnablement s’attendre à un veto américain.
Néanmoins, cette décision a des conséquences politiques considérables, en particulier dans le contexte de la guerre à Gaza et de l’opinion mondiale sur la poursuite de la guerre par Israël. L’avis ébranle en outre les arguments fondamentaux d’Israël quant à la nature de ses relations avec la Cisjordanie et Jérusalem-Est.
Des pays, des banques, des fonds de pension et des sociétés multinationales pourraient utiliser cet avis pour étendre les sanctions contre des individus, des colonies, des organisations et des sociétés israéliennes. Plus inquiétant encore, l’arrêt de la Cour ne manquera pas d’avoir un effet sur la Cour pénale internationale, la juridiction sœur de La Haye qui examine d’autres accusations de crimes contre l’humanité.
Plus inquiétant encore, la décision de la Cour ne manquera pas d’avoir un effet sur la Cour pénale internationale, la cour sœur de La Haye qui examine d’autres accusations de génocide et de crimes de guerre à l’encontre d’Israël. Elle pourrait émettre des mandats d’arrêt à l’encontre d’autres responsables que le premier ministre et le ministre de la défense.L’avis rendu vendredi mentionne Gaza au moins 15 fois, dans un document rédigé près d’un an avant le début de la guerre.Il décrit « le nombre élevé de victimes parmi les civils palestiniens […], y compris parmi les enfants » et souligne que « la situation à Gaza est insoutenable ».
Lorsque la saisine a été effectuée, elle a été soutenue à l’Assemblée générale des Nations unies par 87 pays et combattue par 23, dont les États-Unis, la Grande-Bretagne et l’Allemagne. La question fondamentale posée à la Cour était de savoir si l’occupation par Israël de la Cisjordanie et de Jérusalem-Est – une réalité en place depuis juin 1967, quelle que soit la définition qu’on lui donne – est « temporaire » ou si elle est devenue une caractéristique « permanente » conduisant à une annexion partielle ou totale.
En d’autres termes, les colonies israéliennes – c’est-à-dire d’importants transferts de population du pays occupant ou administrant vers le territoire occupé en partie ou en totalité, une présence militaire continue et de vastes travaux d’infrastructure – constituent-elles une occupation irréversible ?
Le droit international établit une distinction entre « l’occupation belligérante provisoire » et « l’acquisition territoriale par invasion et annexion », qui sont toutes deux illégales au regard du droit international. La conquête, c’est-à-dire l’annexion directe et l’acquisition de territoires par la force, est devenue illégale depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale.Elle est à la base des résolutions 242 et 338 du Conseil de sécurité des Nations unies, qui qualifient Israël d’occupant.
La conquête, en fait, était déjà mentionnée dans la Convention de La Haye de 1907.
Une fois qu’un territoire est occupé, le règlement de La Haye et les conventions de Genève fixent de nombreuses obligations à la puissance occupante. Les règles d’occupation visent à empêcher les mesures susceptibles de conduire à l’annexion, qui est strictement interdite par le droit international. L’interdiction de l’annexion par l’usage ou la menace de la force découle de l’article 2, paragraphe 4, de la Charte des Nations unies et a été réitérée dans la Déclaration relative aux principes du droit international touchant les relations amicales et la coopération entre les États.
L’essentiel de l’argumentation contre Israël devant la CIJ est empirique. D’un point de vue démographique, 650 000 Israéliens vivent dans des colonies à l’est de la ligne verte, la ligne d’armistice de 1949, également appelée frontières du 4 juin 1967, en référence à la veille de la guerre des six jours. Cette présence constitue une démonstration claire de l’occupation permanente.
D’où les remarques de la Cour sur les colonies. Cinquante-sept ans de présence militaire ininterrompue et étendue, de vastes investissements dans les infrastructures et de nombreuses déclarations d’intention s’opposant à la création d’un État palestinien ou faisant état d’une intention d’annexion n’indiquent guère que l’occupation est temporaire.
Dès 2004, la Cour internationale de justice a décrété que la « barrière de sécurité » – la barrière qu’Israël construisait en Cisjordanie pour se séparer des villes et villages palestiniens – constituait une annexion effective des zones situées à l’ouest de la barrière, le long de la frontière de 1967.
Abstraction faite de la nature non contraignante de l’arrêt de vendredi et de son manque de faisabilité politique, la Cour a essentiellement armé les pays, les institutions et les entreprises d’une justification raisonnée non seulement pour admonester Israël, mais aussi pour le pénaliser.
Personne ne pense que cet arrêt déclenchera une révision des politiques ou un réveil politique. Mais les pontifications, condamnations et moqueries intempestives en Israël sont tout aussi irréalisables. Ignorer la règle n’est pas une question de politique ou de morale. C’est l’absence de politique ou de morale.
Alon Pinkas
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19 juil. 2024
Traduit par Brahim Madaci