Original et stimulant, l’essai de l’universitaire gabonais Jean-François Owaye (1), spécialiste de la défense, visite une tranche de la littérature orale d’Afrique centrale pour fixer le rôle de la guerre au niveau de l’herméneutique, d’une part, et repérer les éléments constitutifs d’un art militaire africain à partir du décodage du récit, d’autre part. Il s’attache à l’épopée Olendé, qui fait partie du patrimoine immatériel des Ambaama, peuple organisé en communautés matrilinéaires et segmentaires, et doté de structures politiques évolutives et cohérentes. Aujourd’hui, ils habitent le sud-est du Gabon, le Haut-Ogooué notamment, et des préfectures, dans le Nord et le Sud, du Congo-Brazzaville.
Publié initialement en 2007 aux Éditions du Silence, à Libreville, l’ouvrage s’occupe, dans sa première partie, de l’extension hégémonique des Ambaama et établit la pertinence historique du mythe à travers la reconstruction d’une longue migration dont les débuts remontent au xviiie siècle. L’épopée olendique en serait ainsi la synthèse, sorte de condensé où des éléments fantastiques et « légendaires » s’invitent dans la narration. C’est un premier élément de réflexion : contrairement à une certaine vulgate occidentale, on réaffirme ici « la plausibilité scientifique d’une historicité dans le mythe ».
En effet, dans le dépistage de la trajectoire migratoire des Ambaama telle qu’elle est décrite par l’auteur, qui en fait remonter l’origine la plus probable à Kribi, dans l’extrémité méridionale du littoral camerounais, il est possible d’établir le recoupage des sources sur des faits et des lieux importants. C’est le cas du voisinage des Ambaama avec les Kota du Gabon, qu’Owaye envisage en citant une étude du professeur Alihanga. Les Kota, selon diverses recherches d’historiens, sont une branche des Batanga, dont l’épicentre actuel se trouve justement à Kribi. Les Batanga, à leur tour, sont des « gens de l’eau », des Sawa, tout comme les Douala auxquels les Ambaama se sont rapprochés pendant leur longue odyssée.
Dans la même section, l’auteur s’interroge, à travers un dense décryptage, sur le statut de la guerre dans le récit olendique, et cela à partir d’observations plus générales. La guerre est-elle un fait de nature ? Est-elle perpétuelle ?
Dans l’analyse, des constats se dégagent autour d’une spécificité de la « guerre » en Afrique : elle serait la conséquence du « refus des conseils des pères », de « l’insoumission des guerriers aux génies ». De toute manière, elle ne doit pas durer trop longtemps « afin de ne pas troubler, outre mesure, les faisceaux des relations intercommunautaires ».
La deuxième partie du texte traite de l’organisation traditionnelle martiale pratiquée par les protagonistes-antagonistes de l’épopée. Avec une question, d’emblée posée, sur « l’existence d’un art militaire dans le récit épique africain ». Si les réponses apportées par Owaye ne tranchent pas, le champ spéculatif proposé est d’autant plus actuel en cette période de nouvelles guerres d’agression contre l’Afrique (Grands Lacs, Libye, Côte d’Ivoire, Sahel). Car le savoir militaire des anciennes sociétés africaines en tant que source de potentialités inexplorées peut suggérer des pistes de résistance adéquates face à l’apparente hyper-puissance de la haute technologie occidentale.
(1) Guerre, histoire et mythologie africaine, Jean-François Owaye, Mon Petit Éditeur, 224 p 25 euros