Les élections présidentielle et législatives des 7 et 8 décembre 2012, qui ont vu la victoire finale du président intérimaire sortant, John Dramani Mahama, et de son parti du National Democratic Congress (NDC), étaient très attendues. Par les 25 millions de Ghanéens, dont plus de 14 millions étaient appelés aux urnes pour choisir leur président pour les quatre années à venir et renouveler le Parlement de 275 membres, mais aussi par de nombreux pays africains voisins ou lointains.
Dans un sous-continent marqué par des élections violentes, comme en 2010 en Côte d’Ivoire et en mars-avril 2012 au Sénégal, le test ghanéen était particulièrement suivi. Un autre événement est encore venu donner du relief à un processus électoral plus marqué par excès que par défaut de transparence : le énième renversement antidémocratique, deux jours après la proclamation des résultats ghanéens, du gouvernement au Mali, autre pays d’Afrique occidentale secoué par l’instabilité politique après vingt ans d’expérience démocratique.
Alors que la « règle » répandue sur le continent africain veut que le pouvoir en place tripatouille le fichier électoral pour omettre le maximum d’opposants potentiels, tout en veillant à inscrire des électeurs fictifs afin d’accroître les chances de victoire, les élections au Ghana ont montré qu’il était possible de prendre un tout autre chemin.
À l’opposé de ce qui a cours chez les voisins, l’enregistrement des électeurs a été, de bout en bout, un processus consensuel dans ce pays anglophone d’Afrique de l’Ouest. Pour les scrutins de décembre, le Ghana a amélioré la constitution des listes électorales, jusque-là régie par des règlements datant de 1995, en adoptant le système d’enregistrement biométrique – certes déjà utilisé dans d’autres pays africains. À la demande non négociable de l’opposition, présentée en mai dernier comme condition à sa participation aux élections, un système de vérification des empreintes digitales a été ajouté au contrôle biométrique (photo avec code informatique), une procédure qui n’est appliquée qu’en Afrique du Sud à l’heure actuelle, et qui a certainement rallongé le rythme des opérations de vote.
Autre singularité, comme le souligne Vincent Tohbi Irié, chef de la mission d’observation de l’Electoral Institute for Sustainable Democracy in Africa (Eisa) « Les partis politiques sont associés à tous les aspects de l’enregistrement, relèvent les anomalies, les omissions de noms, les inscriptions suspectes, et reçoivent sous forme électronique l’ensemble des listes électorales, la cartographie électorale et la désignation des sites. Cela peut leur permettre de conduire leur propre audit de la liste électorale et de saisir la justice si les listes présentent des défaillances. » Il y a plus de deux décennies que les partis politiques de l’opposition au Cameroun – mais aussi ailleurs – réclament un tel dispositif, jusqu’ici en vain.
Le principal problème enregistré, hormis l’arrivée tardive de matériels électoraux dans certains bureaux de vote, a été la défaillance de quelques machines d’identification biométrique liée, dans la plupart des cas, au fait que les agents manipulaient ces instruments pour la première fois. La Commission électorale a ainsi dû prolonger le scrutin d’un jour afin de permettre aux électeurs qui n’avaient pas pu voter le premier jour en raison de ces pannes d’accomplir leur devoir civique.
Autre grande leçon que le Ghana donne au reste d’un continent plongé, la plupart du temps, dans l’organisation chaotique de scrutins par des structures peu fiables : le professionnalisme de sa Commission électorale. Celle-ci n’est pas affublée, comme pratiquement partout en Afrique, du qualificatif « indépendante » ou « autonome ». Et pourtant, l’on peine à trouver plusieurs institutions africaines similaires jouissant d’un tel niveau d’indépendance et bénéficiant d’une aussi grande crédibilité.
L’article 43 de la Constitution ghanéenne a octroyé les pleins pouvoirs à l’Electoral Commission pour organiser les élections et en proclamer les résultats. Le président de la Commission et les autres commissaires sont nommés à la suite de consultations entre différentes institutions et partis politiques. Tous veillent à ce que ces personnes soient parmi les plus intègres. La Commission gère tous les aspects du processus électoral : l’enregistrement des électeurs, la délimitation des circonscriptions, l’organisation des référendums et de toutes les consultations populaires… Sur le plan financier, souligne Vincent Tohbi, « la Commission est particulièrement bien dotée. Pour la seule année 2012, elle a bénéficié d’un budget de 128 millions de dollars. Le processus électoral est lui-même presque entièrement financé par le gouvernement ghanéen. Les contributions extérieures s’occupent surtout de la formation des services de sécurité, de l’éducation civique, etc., mais sont minimes en comparaison du budget électoral lui-même ».
Ce qui distingue le Ghana de beaucoup de pays africains, dont les scrutins sont majoritairement financés par des fonds en provenance de pays européens ou américains. Un pays qui se veut indépendant ne confie pas l’organisation des élections chargées de désigner ses dirigeants à des entités extérieures. Le Ghana dispose, avec sa Commission électorale créée depuis 1992, d’une solide expertise en matière d’organisation d’élections libres, transparentes et pacifiques. K. Afori-Gyan, à la tête de la Commission depuis sa création et qui s’apprête à partir à la retraite, a ainsi vu se succéder trois alternances politiques.
Tout n’est pas parfait, cependant. Le verdict de la Commission électorale a été contesté par le perdant, Nana Addo Dankwa Akufo-Addo, du New Patriotic Party (NPP) qui a jugé les résultats manipulés. Pour le candidat du NPP, ce scrutin-là était la dernière opportunité d’accéder au pouvoir, puisqu’il atteindra bientôt la limite d’âge prévue par la Constitution : 70 ans.
Mais, autre marque de maturité du personnel politique ghanéen : il s’est bien gardé d’appeler à la violence, et encore moins au boycott du Parlement, comme il avait fait en 1992. Cette fois-ci, il s’est plié à la procédure judiciaire prévue par la loi. Le NPP a ainsi déclaré qu’il attendait le verdict de la Cour suprême. Même pendant les moments de grande nervosité ayant précédé l’annonce des résultats, et surtout après le refus de Nana Akufo-Addo de « concéder » la défaite, les différents protagonistes sont parvenus à préserver la paix sociale. La police a certes dispersé les manifestants, dont certains devenaient agressifs, mais elle ne s’est pas laissé aller aux excès et brutalités qu’on peut observer ailleurs en Afrique en pareilles circonstances. Pour désamorcer les tensions et exhorter à la retenue, le coordinateur du Conseil national de sécurité, le lieutenant-colonel Larry Gbevdo-Lartey, a préféré convier les chairmen des deux partis rivaux du NDC et du NPP à une réunion.
La sixième élection au Ghana depuis la restauration de la démocratie en 1992 aura finalement tenu ses promesses. La forte participation populaire, plus de 79 %, est un autre indicateur de bonne santé démocratique d’un pays où les citoyens croient encore à leur classe politique et en l’alternance entre les deux partis qui structurent désormais durablement l’espace public. Une autre leçon à méditer, et pas seulement par des pays d’Afrique.