Avec l’assentiment des Russes et des Américains, le ministre syrien des Affaires étrangères Walid Mouallem – redoutable diplomate -, parviendra certainement à transformer Genève II en sommet de lutte anti-terroriste.
On se souvient des conférences de Lausanne et de Genève tenues en 1983 au chevet d’un Liban déchiré par une guerre civilo-régionale extrêmement meurtrière. Ce processus de négociation n’aboutit que six ans plus tard avec la signature des accords de Taëf qui encadreront une paix seulement effective à partir de 1990/91… avec bien des rechutes. L’histoire ne se répète pas mais balbutie souvent..
Dans la même veine de cette diplomatie lacustre, le grand mérite de Genève II qui s’ouvre aujourd’hui sur les bords du Léman, est très simple : la conférence a lieu et bien lieu en dépit des oracles qui la prétendaient impossible. Elle sera suivie par Genève III, IV et V, etc. Après trois années de confrontation et quelque 130 000 morts, ce sommet tripartite – américano-russo-syrien – amorce un processus diplomatique de première importance. Celui s’inscrit dans la séquence ouverte par l’accord du 10 septembre 2013 sur les armes chimiques syriennes, suivi par celui concernant le nucléaire iranien et la volonté américaine de normalisation avec Téhéran.
Genève II ne débouchera certainement pas sur la constitution d’un gouvernement syrien de transition doté de tous les pouvoirs exécutifs. Sur le terrain, l’armée gouvernementale reprend l’initiative et regagne tous les jours des positions stratégiques alors que la rébellion armée se déchire entre factions opposées. Avec le soutien des minorités alaouite, chrétienne, druze et kurde, Bachar al-Assad sera vraisemblablement candidat à sa succession pour un troisième mandat dans les semaines qui viennent.
Avec l’assentiment des Russes et des Américains, le ministre syrien des Affaires étrangères Walid Mouallem – redoutable diplomate -, parviendra certainement à transformer Genève II en sommet de lutte anti-terroriste. A la marge, il promettra l’ouverture d’une conférence nationale qui pourra rallier les mouvements de l’opposition intérieure qui n’ont pas de sang sur les mains. Sur les ruines du désastre engendré par les factions jihadistes armées par l’Arabie saoudite et le Qatar, la délégation syrienne aura beau jeu de tendre la main aux acteurs de l’opposition qui seront obligés de rallier la dynamique de reconstruction nationale.
Par conséquent, les coups de théâtre à répétition de la Coalition nationale syrienne (CNS), de cette opposition introuvable entretenue par les « Amis de la Syrie » dans les hôtels de Paris, de Londres et d’Istanbul, n’ont que très peu d’intérêt. Quoiqu’il arrive, le processus de Genève se déroulera sans cette « opposition cinq étoiles », constituée d’une jet set bobo au service des pays occidentaux et dont le leader actuel – Ahmed Jarba – ne cache même pas ses liens intéressés avec la famille royale saoudienne.
Ce qui est beaucoup plus triste est de voir la diplomatie de notre pays, ou ce qu’il en reste, se complaire dans l’entretien de cette opposition d’opérette qui nous crachera dessus à la première occasion. Ancien diplomate, le chercheur Jean-Pierre Filiu, qui pense qu’il suffit d’être arabisant pour avoir tout compris à la crise syrienne, parle à l’oreille d’un Laurent Fabius dont on se demande s’il défend encore les intérêts de la France… Mais le gâteau sur la cerise, c’est l’ « ambassadeur » thématique en charge du dossier : Eric Chevallier, ex-humanitaire kouchnérien bombardé par son mentor « ministre plénipotentiaire » et prêt aux contorsions les plus incohérentes… pourvu qu’elles lui assurent la suite de sa carrière.
Résultat des courses : la France est, opérationnellement absente du processus de Genève et reste derrière la vitre d’un théâtre dont nous avions toutes les clefs. Les Allemands ont eu au moins l’intelligence de se tenir en retrait et en position de médiation. Leurs services secrets assurent un canal de communication entre les services syriens et leurs homologues occidentaux, préparant ainsi les futures parts de marché des sociétés d’Outre-Rhin. Conformément à sa posture diplomatique incompréhensible – calée sur une conception droit-de-l’hommiste que, pratiquement personne ne partage dans la région -, la France aura le plus grand mal à participer à la reconstruction de la Syrie. Il lui sera aussi très difficile de ré-introduire ses entreprises en Iran après les ratages successifs du Quai d’Orsay qui, visiblement n’a toujours pas pris la mesure des projets américains en Asie centrale et en Asie Pacifique.
Tous les acteurs de la région le déplorent : non seulement la France est absente du processus de Genève, mais elle est, surtout en train de perdre ses derniers appuis dans la région en liquidant ce qui restait du gaullisme historique… Si elle ne sait plus entretenir sa différence avec les conceptions américaines ou israéliennes, la diplomatie française devient inutile. Quant à l’Europe…
Pour l’heure, Genève II se résume à un sommet tripartite qui, à défaut de mettre les belligérants face à face, réunit les parrains américain et Russe avec un régime syrien renforcé. Même si plus rien ne pourra être comme avant à Damas, Genève III et les sommets suivants s’efforceront d’enregistrer les ajustements nécessaires à la signature finale d’accords de Taëf-bis qui ramèneront un peu de stabilité dans cet Orient si compliqué.
*Etienne Pellot est Consultant international, expert des Proche et Moyen-Orient et des questions énergétiques
Source : espricors@ire>
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