Fin juin, une question d’examen donnée par un enseignant de l’université Paris-VII a porté sur le cas réel d’une famille palestinienne décimée pendant l’attaque israélienne sur Gaza à l’hiver 2008-2009. Il s’agissait d’une question de droit humanitaire parmi les quatre questions d’examen d’un certificat de médecine humanitaire. Le lobby pro-israélien en France s’est offusqué, et, sollicité en urgence, le président de l’Université a désavoué publiquement son confrère et s’est déclaré « consterné ». Les médias s’en sont saisis, amplifiant s’il en était besoin cette consternation sélective. Tout cela prêterait à rire si, pendant la même semaine, il n’y avait pas eu dix morts à Gaza, sous les bombes israéliennes.
À Gaza, on est au courant de la question d’examen. Les médias arabes s’en sont fait l’écho, et chacun ici y va de son commentaire. Adel Awadallah, professeur de chimie à l’université de Gaza, sait de quoi il parle. Pendant la guerre de l’hiver 2008-2009, il logeait avec d’autres familles, toutes du nom d’Awadallah, dans le même immeuble. Sept familles et trente-cinq personnes au total. L’un de ses frères, responsable politique, était sur la liste des personnes « recherchées » par Israël, c’est-à-dire qu’on cherchait à l’assassiner. Les consignes à ce moment-là à Gaza étaient claires : les personnes « ciblées » devaient absolument entrer dans la clandestinité et rester cachées. C’est pour cette raison qu’il n’y a eu « que » deux responsables d’un certain niveau tués par Israël pendant l’attaque de Gaza : Nizard Ryan qui, par principe, affirmait qu’il ne quitterait pas sa maison, et Saïd Siam qui enfreignit les règles de sécurité et tenta de rendre visite à l’une de ses sœurs.
Dans le cas particulier de notre professeur de chimie, sa maison fut atteinte en pleine nuit par un premier obus. Pas vraiment un tir de semonce, puisque le projectile perfora l’immeuble de haut en bas, créant un trou d’un demi-mètre de diamètre à travers tous les niveaux jusqu’au rez-de-chaussée ! Par bonheur, personne ne fut blessé, et les familles se sont ruées à l’extérieur. Une dizaine de minutes plus tard, alors que les habitants étaient réfugiés dans la rue, à quelques blocs d’immeubles de là, un second tir détruisit entièrement le bâtiment.
Aujourd’hui, nous sommes en visite chez Adel qui vient tout juste d’emménager dans son nouvel appartement, après trois ans de locations successives. Comment a-t-il pu financer l’achat de cet appartement ? « Nous avons reçu une aide gouvernementale qui correspond à environ la moitié de ce que nous avons perdu. Le reste, c’est notre apport personnel. Nous sommes des réfugiés, mais l’UNWRA (1), à partir du moment où un membre de la famille est “recherché” par Israël, ne finance rien. »
À propos de la question d’examen que j’ai posée, Adel, comme beaucoup de Gazaouis, a une seule question vraiment à cœur : « Les étudiants ont-ils bien répondu ? » La réponse est oui. Quatre-vingt-un étudiants sur quatre-vingt-cinq ne passeront pas la session de septembre. Un seul a eu zéro à la question : pour lui, la bande de Gaza est une zone militaire qu’il est normal de bombarder. La très grande majorité des étudiants a parfaitement répondu.
Dans le cas de la famille Awadallah, une personne était précisément visée par l’armée israélienne. Si la famille avait été décimée, certains auraient pu déclarer un peu vite qu’il ne se serait pas agi d’un crime de guerre : la famille « abritait un combattant » ! « Faux, répond Adel, l’armée israélienne était parfaitement au courant que les personnes recherchées se cachaient et ne vivaient plus en famille. » Si Adel dit vrai, il ne se serait plus agi d’une attaque ayant provoqué nombre de victimes civiles, soit un crime de guerre. Il y aurait eu attaque délibérée et intentionnelle contre de seuls civils. Un crime contre l’humanité.