Avide d’une gloire « napoléonienne », Nicolas Sarkozy, suivi comme son ombre de son hussard fidèle, Alain Juppé, n’a pas le cœur de célébrer à quelques jours du scrutin présidentiel, les hauts faits d’armes qui ont jeté à bas un dictateur sanguinaire et porté la démocratie sur le rivage des Syrtes.
Très modestement, en ayant presque l’air de s’en excuser, les experts du Centre international de recherches et d’études sur le terrorisme et l’Aide aux victimes du terrorisme (Ciret-AVT) et du Centre français de recherche sur le renseignement (CF2R), qui s’étaient rendus tant à Tripoli qu’à Benghazi, l’année dernière, au plus fort de la bataille, afin de bénéficier d’un éclairage aussi objectif que possible d’un conflit qui n’atteignait pas un haut degré d’intensité, ces imprudents, donc, avaient formulé leurs observations collégiales dans un document sobrement intitulé « Libye, un avenir incertain » dont, aujourd’hui, ils n’éprouvent nulle gêne à rappeler le contenu.
Qu’avaient-ils pronostiqué, ces témoins d’une épopée célébrée avec emphase par un « philosophe » dont les précédentes interventions en Yougoslavie avaient déjà fait la litière des extrémistes d’une religion qu’il est de bon ton à présent de mettre en accusation ? Essentiellement cinq menaces :
– Le démembrement d’un État autoritaire et paternaliste, gouverné par un personnage fantasque et dérangeant, sauf quand il s’agissait de lui offrir des contrats avantageux.
– Les divisions d’une opposition multiple, patchwork de monarchistes, de démocrates, d’anciens séides de Kadhafi, de fondamentalistes salafistes et de « soldats » d’Al-Qaïda sur fond d’une population hétérogène, fragmentée en tribus rivales et jalouses de leur identité et, par voie de conséquence, le retour à l’anarchie au sens propre, c’est-à-dire à l’absence d’État.
– La montée du fondamentalisme religieux avec son corollaire de la charia : nous avions alors indiqué que la loi islamique figurait dans le programme du CNT.
– La présence plus qu’inquiétante d’Al-Qaïda.
– Les trafics d’armes et les détournements vers l’Afrique subsaharienne de quantités impressionnantes d’armements lourds et de munitions.
Sommes-nous, un an après, démentis sur un seul de ces points ? Malheureusement, la réalité dépasse nos prévisions et nul homme politique ne peut en disconvenir alors que nous avions pris soin de diffuser notre document auprès de la totalité de la représentation parlementaire. Encore étions-nous restés en retrait s’agissant des prévisions concernant l’implosion prévisible de ce pays et les conséquences en Afrique subsaharienne, dont la rapidité de la décomposition ne doit rien au hasard.
Souvenons-nous encore : les sages recommandations de l’Union africaine balayées d’un revers de main par les Occidentaux, les inquiétudes de l’Algérie méprisées, et, six mois plus tard, notre appel, « l’Appel d’Alger », vilipendé par les soi-disant spécialistes du terrorisme quand nous déplorions que la France et l’Algérie ne se soient pas concertées sur l’attitude à prendre en Afrique francophone et la réponse aux agissements d’Al-Qaïda au Maghreb islamique. La faute à la France qui ne cesse de cultiver la méfiance envers ce pays émergent, bien géré et solide sur ses bases démocratiques.
Mais nous n’avions pas encore tout vu : alors que le feu est dans cette Afrique où nous avons tant investi, dans tous les sens du terme, notre boutefeu en chef, Alain Juppé, déclare que la France n’interviendra pas au sud du Sahara, alors que des accords d’assistance mutuelle nous lient à ces pays ; ce qui revient à dire que, non seulement nous nous sommes mêlés au Maghreb de ce qui ne nous regardait pas, mais que nous ne tiendrons pas nos engagements là où ils existent : admirable attitude, conforme à l’honneur et à la vérité dont curieusement personne ne souffle mot en pleine campagne présidentielle.
Nous en appelons solennellement à vous tous qui briguez la magistrature suprême et n’avez pas un mot pour le Mali menacé dans son existence et son essence, qui détournez le regard des avancées des pires fanatiques « religieux » d’un Islam défiguré, nous vous demandons si la France va encore longtemps se détourner du seul pays du Maghreb qui ne soit pas aux mains des islamistes et se démarquer de ses engagements internationaux vis-à-vis d’un autre pays proche et ami pour le laisser sombrer dans un naufrage « à la libyenne » ? M. Sarkozy et M. Juppé qui dégainez aussi facilement sur les bords de la Méditerranée, quelle soudaine pusillanimité vous frappe-t-elle en Afrique ?
Source : Centre international de recherches et d’études sur le terrorisme, Aide aux victimes du terrorisme (Ciret-AVT), Centre français de recherche sur le renseignement (CF2R), Paris, le 10 avril 2012.