Une seule voie reste à explorer: la négociation entre Syriens en vue d’un accord de partage du pouvoir et de plus de liberté sous l’égide de l’ONU. Cette «solution syrienne » est ce que les Libanais peuvent espérer de mieux.
Le Liban est à nouveau le théâtre de combats qui lui rappellent son histoire sombre. La tension intercommunautaire est à son comble, et le pays connaît un nouvel épisode d’instabilité.
Toutes les décisions gouvernementales sont reportées: réforme des services publics, nomination des hauts fonctionnaires et loi électorale pour les élections législatives prévues pour 2013. Le Liban attend une solution syrienne. Or, après plus d’un an de révolte populaire, d’insurrection armée et de répression, la Syrie est dans l’impasse. Le pays, dominé depuis un demi-siècle par le parti unique et laïc Baas, risque la guerre civile et l’implosion confessionnelle: une évolution infernale qui menace hélas la mosaïque qu’est le Liban. Aucune médiation de la Ligue arabe n’a été proposée, et la mission des observateurs a échoué. L’opposition syrienne, notamment le Conseil national syrien (CNS), refuse toute négociation avec le pouvoir de Bachar al-Assad et rejette les propositions de la Russie. Et le chaos libyen a découragé les Occidentaux d’intervenir sur un terrain encore plus compliqué que celui de la Libye !
Proche par la géographie, le Liban a toujours subi l’influence syrienne à travers ses réseaux et alliés libanais, et cette relation fusionnelle et dominatrice existe quelque soit le pouvoir en place. Or le contexte actuel sème à nouveau la discorde entre Libanais pro et anti-Syrie (depuis samedi, les affrontements ont fait 14 morts et 48blessés). Récemment, Damas a menacé d’exporter le chaos hors de ses frontières. L’Arabie saoudite et le Qatar ont appelé à leur tour à armer l’opposition syrienne.
Et le terrain propice à cette guerre annoncée de deux côtés, c’est le Liban. Les conséquences de la crise syrienne y sont visibles, malgré les souhaits du gouvernement présidé par Najib Mikati (personnalité sunnite de Tripoli) de préserver la neutralité du pays, le gouvernement étant soutenu par le Hezbollah et le Courant patriotique libre (CPL) du général chrétien Michel Aoun, ainsi que par la majorité des partis prosyriens.
Depuis le début de la crise, les autorités libanaises craignent que le Nord-Libanne devienne une base arrière militaire de l’insurrection syrienne.
Cette politique insensible à la situation humanitaire est dénoncée par l’opposition, avec à sa tête le Courant du futur (CDF) de Saad Hariri, qui n’a pas digéré le coup politique orchestré par le Hezbollah et ses alliés pour faire chuter le gouvernement d’union nationale et chasser Hariri du pouvoir.
Le CDF estime qu’il est légitime d’aider les réfugiés syriens fuyant les combats vers le Nord-Liban. Chadi Mawlaoui, un salafiste impliqué dans l’aide aux réfugiés syriens, a été arrêté, soupçonné de collusion avec une organisation terroriste. Son arrestation a déclenché la colère d’une partie de la population du Nord, et des heurts ont eu lieu entre sunnites et alaouites (la minorité des Assad) au cœur de Tripoli, la capitale régionale. Ensuite, l’assassinat de deux cheikhs proches de l’opposition libanaise sur un barrage de l’armée a fait déborder le vase: les heurts ont atteint Beyrouth, où le siège d’un parti prosyrien a été attaqué dans un quartier sunnite. S’agit-il d’une bavure de l’armée libanaise, pourtant acteur majeur dans la stabilité du pays? Pour ne rien arranger, des pèlerins chiites libanais rentrant des Lieux saints en Iran ont été pris en otage à Alep par un groupe armé se réclamant de l’opposition syrienne.
Il existe un risque d’embrasement au Liban car les partis y sont souvent perçus en fonction de leur appartenance confessionnelle, même s’ils ne représentent pas toute la communauté. Chaque jour, les événements en Syrie mettent en péril le fragile tissu libanais.
Ainsi, les divergences sur la Syrie entre Courant du futur (sunnite) et Hezbollah (chiite), pivots de la politique locale, peuvent vite muter en guerre confessionnelle avec en filigrane la guerre froide entre Riyad et Téhéran.
Et la circulation libre des armes n’arrange rien. Faut- il rappeler que le régime syrien est un régime stalinien mais que l’Occident a traité avec lui depuis le début?
Le veto russe et chinois a empêché l’intervention militaire, et les sanctions économiques de l’UE n’ont pu mettre fin à la répression. Une «solution à l’irakienne» serait problématique pour le monde arabe.
Une seule voie reste à explorer: la négociation entre Syriens en vue d’un accord de partage du pouvoir et de plus de liberté sous l’égide de l’ONU. Cette «solution syrienne » est ce que les Libanais peuvent espérer de mieux.
*Jad Ouaidat est enseignant et journaliste à France24
LUNDI 4 JUIN 2012
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