Les jeux Olympiques d’été se sont déroulés à Londres en 2012, durant la période du jeûne rituel des musulmans, le ramadan. Comme très souvent, de vifs débats ont eu lieu entre les tenants d’un athéisme olympique et les partisans du respect de la pratique religieuse.
Si, dans les faits, les 3 500 athlètes de confession musulmane n’ont pas tous suivi la prescription religieuse, les observateurs se sont interrogés sur cette pratique et ses implications sur sa compatibilité avec le support de haut niveau.
En 2006, le Dr Yacine Zerguini, membre de la commission médicale de la Fédération internationale de football association (Fifa) a publié une étude où il avance : « La pratique du ramadan n’est pas totalement incompatible avec la pratique du football de haut niveau, pour peu que l’on s’y prépare. Il est, pour cela, primordial de savoir avec précision les effets du jeûne sur l’organisme des footballeurs, pour adapter les programmes de préparation et d’entraînement délégué ainsi que les schémas nutritionnels. »
Le Pr Fallou Cissé, président de l’association des médecins du sport du Sénégal, affirme pour sa part : « Au Sénégal et partout en Afrique, le ramadan et le sport de haut niveau sont incompatibles. À cause de la chaleur qui provoque, avec l’effort intense, une forte sudation et donc une déshydratation […]. Le ramadan cause aussi chez le sportif une importante baisse du taux de sucre qui reste l’aliment préféré du cerveau. Or, lorsque le taux de sucre diminue, la lucidité baisse est donc aussi le rendement sportif. Faire le ramadan dans ce contexte peut entraîner des complications graves. Nous avons déjà eu à déplorer des cas de mort subite. »
Le Pr Cissé n’a pas été invité par les organisateurs – les cliniques Aspetar (Qatar) et Chahrazad (Algérie) et la Fifa – à Doha, au Qatar, les 25 et 26 novembre 2011. À cette occasion, une étude scientifique a été présentée. La première conclusion a été de constater l’absence d’effet significatif sur les performances lors des épreuves courtes, telles que le 100 mètres. En deuxième lieu, il a été révélé qu’en soi, le jeûne ne modifie pas non plus les performances sur les longues distances, à condition pour ce faire que la préparation soit adaptée aux changements physiologiques induits par le jeûne. En revanche, il a été impossible de mesurer les effets psychologiques d’un tel jeûne, certains athlètes affirmant que la perte physique était grandement compensée par la stimulation mentale induite par ce rite.
Les jeux Olympiques de Londres ont aussi été marqués par la controverse sur le port du voile par les sportives musulmanes. La pitoyable exhibition de la Saoudienne Wodjan Ali Seraj Abdulrahim Sharkhan, la première judokate à combattre la tête voilée (de noir), n’a pas perturbé le président du Comité olympique international (CIO) Jacques Rogge, qui a déclaré : « Le port du voile, comme du turban par les sikhs, est parfaitement compatible. C’est l’expression, sans prosélytisme ni zèle exagéré, d’une conviction religieuse. Allez-vous reprocher à un athlète de recourir à une croix ? Non. »
Le 5 juillet, les honorables membres de l’International Football Association Board (Ifab), gardiens des lois du jeu, ont répondu favorablement à la demande de la Confédération asiatique de football (AFC) et décidé de lever l’interdiction du voile islamique. Cette décision est une étape importante dans la guerre larvée menée dès les années 1990, à l’initiative de l’Iran, contre les règlements sportifs internationaux afin qu’ils s’ouvrent aux exigences vestimentaires imposées aux femmes des pays islamistes.
La Fifa, à la différence du CIO, a tenté de résister, en excluant à deux reprises, en 2010 et 2011, l’équipe féminine d’Iran, pour port du hijab. Il aura fallu toute l’influence du prince Ali, le régent de Jordanie, vice-président de la Fifa, pour trouver l’astuce permettant de contourner le règlement (article 4) interdisant toute expression politique ou religieuse. Il a mobilisé, en octobre 2011 à Amman, un groupe de réflexion dont la conclusion fut que le voile était « un signe culturel et non religieux » ! Il balayait ainsi la portée des déclarations de Farida Shojaee, responsable du département femme de la Fédération iranienne de football, selon laquelle « les officiels de la Fifa ont confondu le hijab religieux avec un costume national ».
Elle balayait tout autant les analyses des spécialistes des textes musulmans qui, à l’instar de Samir Amghar, chercheur à l’École des hautes études en sciences sociales, affirme sans la moindre ambigüité : « Les quatre écoles de jurisprudence dans la théologie musulmane qui édictent les normes en matière de loi islamique sont unanimes à affirmer que le port du voile relève d’une obligation religieuse. »
Il restait juste à savoir si le hijab sportif était sans danger. À la surprise générale, la Commission des experts médicaux de la Fifa chargée d’examiner les résultats des tests de sécurité réalisés sur différents échantillons de hijab a fait état, lors d’une réunion à Budapest en mai 2012, d’éléments la conduisant à réclamer avec force que l’interdiction du port du hijab ne soit pas levée !
Selon le Dr Michel D’Hooghe, chef de cette Commission, des essais supplémentaires, sont nécessaires, « certains médecins, y compris de pays musulmans », considérant que le port du hijab par les footballeuses « présenterait des risques de lésion au niveau du cou et de la carotide en cas de collision lorsque celle-ci se produit à grande vitesse ». Le prince Ali se dit « choqué » et affirme que ces points ont déjà été vérifiés. Indigné, il exige que le Dr D’Hooghe fournisse des preuves, oubliant que lui-même n’avait produit aucun rapport à l’appui de ses dires.
Les promoteurs de « la culture de la modestie et du hijab pour les femmes à travers le monde » veulent à tout prix faire croire que le hijab et le sport sont faits l’un pour l’autre. C’est oublier que le sport c’est d’abord la fête du corps, et que le hijab est une stigmatisation du corps féminin.
La décision de l’Ifab, bien que temporaire et expérimentale, contrevient aux règles fondamentales du sport qui définissent un code vestimentaire unique sans distinction d’origine, de conviction politique ou religieuse. Une telle permissivité est inconcevable dans le cadre aussi normé où seule la règle, notamment vestimentaire, permet la comparaison des performances sur une même base. Autres principes bafoués : la trêve sportive, chacun laissant ses convictions au vestiaire, et le rassemblement par le rejet de toute forme de discrimination.
Dans le passé, ces règles ont été appliquées de façon drastique. Affirmer comme Wilfried Lemke, le conseiller spécial du secrétaire général de l’Onu pour le sport au service de la paix et du développement, qu’autoriser le port du voile « ferait disparaître une barrière qui peut empêcher les femmes et les filles de pratiquer le football », c’est oublier qu’avant la révolution de Khomeiny en 1979, les Iraniennes ne concouraient pas voilées. C’est aussi oublier les pionnières, la Marocaine Nawal el-Moutawakil, première championne olympique africaine et musulmane, en 1984, à Los Angeles ; Hassiba Boulmerka, première médaillée d’or d’Algérie, en 1992, aux Jeux de Barcelone, qui dédia sa victoire aux femmes de son pays. Ni l’une ni l’autre n’étaient voilées. Ce sont ces pionnières et celles qui leur ont succédé que le CIO et l’Ifab ont trahies aujourd’hui. Leurs décisions constituent une régression qui enferme les femmes dans leur statut de citoyennes de seconde zone.