Lundi 3 septembre. Mahé, aux Seychelles, accueille l’assemblée générale de la Confédération africaine de football (Caf). Un seul point de l’ordre du jour intéresse les cinquante délégués : l’amendement (qui n’aurait pas été déposé dans le délai statutaire de quatre-vingt-dix jours) de l’article 6 des statuts proposé par Mohamed Raouraoua, le président de la Fédération algérienne de football. Le nouveau texte dit : « Tout candidat aux élections de la présidence de la Caf, outre les compétences nécessaires, devra être ou avoir été membre du comité exécutif de la Caf. »
La démarche de Mohamed Raouraoua n’est pas dénuée d’arrière-pensée. Elle sert en premier lieu les intérêts du Camerounais Issa Hayatou, candidat à un septième mandat à la tête de la Caf et soucieux d’éliminer tout concurrent. Elle balise la route de l’Algérien qui ambitionne de succéder à… Hayatou.
L’amendement est dénoncé par l’ancien international camerounais Joseph-Antoine Bell : « La proposition est fallacieuse. Elle fait honte à l’Afrique. Elle démontre qu’il n’y a pas que les hommes politiques pour tordre le cou à la démocratie. » Il ajoute : « Issa Hayatou et ses lieutenants veulent transformer la Caf en un bunker. Ils sont convaincus que les Africains ne veulent plus d’eux à la tête de leur football, alors ils se barricadent avec des textes pour se maintenir au pouvoir. Leur objectif est d’éloigner de la Caf toutes les intelligences africaines. »
Me Augustin Senghor, président de la Fédération sénégalaise, a qualifié l’amendement de « véritable recul ». Il estime « anormal de réduire le collège électoral un nombre limité de personnes ». C’est-à-dire transformer le comité exécutif en un Politburo à la… nord-coréenne.
Hayatou a-t-il sollicité Raouraoua pour pondre l’amendement discriminatoire ? Vraisemblablement oui, même si les deux hommes ne s’aiment pas beaucoup. Mohamed Raouraoua, qui ne vient pas du football, est un indicible prédateur. L’homme est intelligent, malin et rusé, capable de séduire ou de rouler dans la farine ses interlocuteurs, autoritaire et imbu de sa personne. Depuis son accession à la présidence de la Fédération algérienne, il n’a eu de cesse de courir les postes dans les instances internationales du football. Il est aujourd’hui membre des comités exécutifs de la Caf et de la Fifa.
À Mahé, Hayatou lâche dans l’assemblée sa meute de « chiens de garde ». En fait partie le Guinéen Almamy Kabele Camara. Un personnage falot qui a été inspiré de prénommer l’un de ses fils… Hayatou. Il en a été largement récompensé puisqu’il est aujourd’hui vice-président de la Caf. Plus agressif et mordant, l’enragé béninois Anjorin Moucharafou, fondateur et unique membre (?) d’une association fantôme dénommée Groupe d’actions pour le renouveau du football en Afrique (Garp). Celui-ci distribue des T-shirts et des casquettes à l’effigie de Hayatou et publie, de temps à autre, des pamphlets à la gloire du lamido du ballon. L’ancien arbitre sénégalais Badara Sène, fidèle homme de main, se joint à eux. Ce sifflet retraité s’y connaît en coups… francs.
Lors des assemblées générales, la meute harcèle les délégués – tous défrayés et indemnisés. Elle agite la carotte et le bâton, multiplie les promesses et les menaces. Travaillés au corps, les représentants des fédérations finissent, tels des moutons de Panurge, par entrer dans le rang, c’est-à-dire par se soumettre à la volonté présidentielle. Le 3 septembre à Mahé, il s’en est trouvé quarante-quatre sur cinquante pour voter, à main levée (ainsi que l’a voulu Hayatou), l’amendement Raouraoua. Seuls six délégués ont osé le rejeter. Le tout s’est joué sous les yeux – certains affirment avec son feu vert – du président de la Fifa, Joseph Blatter.
L’amendement adopté entre en vigueur le 3 décembre, alors que l’assemblée élective est prévue pour… mars 2013 au Maroc et que les candidatures doivent être déposées quatre-vingt-dix jours plus tôt. Le texte voté ne précise pas si, seuls, les membres élus du comité exécutif (CE) sont concernés ou si les membres cooptés et ceux qui siègent au CE de la Fifa (ils assistent aux réunions sans droit de vote) le sont aussi. Tout comme il ne définit pas « les compétences nécessaires » exigées de tout candidat.
Principale cible du remue-ménage juridique : l’Ivoirien Jacques Anouma. Membre du CE de la Fifa depuis 2007 et ex-président de la Fédération ivoirienne (2002-2012), il s’est déclaré candidat à l’élection présidentielle de la Caf de 2013, et il a les moyens de son ambition.
« Je suis visé mais pas concerné, réplique-t-il. Je suis membre du comité exécutif de la Caf depuis 2007. Si Hayatou et les siens estiment que je n’en fais pas partie, je n’aurais aucune honte à saisir le Tribunal arbitral du sport (TAS) à Lausanne. Nous allons attaquer ce système antidémocratique qui prône la candidature unique d’Issa Hayatou et refuse de promouvoir l’alternance. » Le dépôt des candidatures pour l’élection présidentielle se serait ouvert le 11 septembre et qui prendrait fin le 3 décembre.
En 2007, Anouma présidait l’Union des fédérations ouest-africaines (Ufoa). Hayatou, inquiet de son ascension, avait fomenté, avec l’aide du Nigérian Amos Adamu, un « coup d’État » pour le destituer. L’Ivoirien, sûr de son droit, a pu compter sur le soutien de la Fifa. Il a choisi de « négocier » avec Hayatou et s’est mis en réserve. Il a obtenu l’organisation du premier Championnat d’Afrique des nations (Chan) en 2009. À cette occasion, il a déroulé, à Abidjan, le tapis rouge pour le président de la Caf, qui a été décoré par Laurent Gbagbo. Cette fois-ci, Anouma mènera-t-il jusqu’au bout la bataille de la légitimité démocratique ?
(1) Souverain traditionnel en pays foulbé, en Afrique de l’Ouest et centrale.