Les planificateurs à Jérusalem et Tel Aviv ébauchent toutes sortes de schémas pour concentrer les Bédouins dans des municipalités, à l’encontre de leur mode de vie traditionnel. Sur le papier, les plans ont l’air raisonnables. En réalité, ils sont destinés à réaliser les mêmes projets que pour la vallée du Jourdain : prendre des terres aux Arabes et les transmettre à des colons juifs.
Et revoilà John Kerry, pour la nième fois (mais qui compte encore ?) pour faire la paix entre nous et les Palestiniens.
C’est un effort très louable. Malheureusement il repose sur des prémisses fausses, à savoir : que le gouvernement israélien veut une paix basée sur la solution à deux états.
Kerry, réticent ou incapable de reconnaître cette simple vérité, cherche à la contourner. Il tente des approches dans différentes directions, espérant convaincre Benjamin Netanyahou. En imagination, il entend Netanyahou s’exclamer : « Bon sang, pourquoi n’ai-je pas pensé à ça !? ».
Et le voilà donc qui s’amène avec une nouvelle idée : commencer à résoudre les problèmes de sécurité d’Israël et en finir avec ses soucis.
Pour le moment, ne parlons pas des autres « problèmes centraux », dit-il. Considérons vos préoccupations et voyons comment les affronter. J’ai amené avec moi un authentique général de combat avec un authentique plan de sécurité. Jetez donc un coup d’œil !
Cette approche repose sur une fausse prémisse, produit de la prémisse d’ensemble, à savoir que les « soucis de sécurité » de notre gouvernement sont authentiques. Kerry exprime la croyance de l’Américain de base, à savoir que si des gens raisonnables s’assoient autour d’une table et analysent un problème, ils trouveront une solution.
Il y a donc un plan. Le général John Allen, ancien commandant de la guerre en Afghanistan, le met sur la table et explique ses mérites. Il répond à beaucoup de préoccupations. Le sujet principal est l’insistance de l’armée israélienne sur le fait qu’Israël devra continuer très, très longtemps à contrôler la vallée du Jourdain, quelles que soient les frontières du futur État de Palestine.
Comme la vallée du Jourdain constitue environ 20 % de la Cisjordanie qui, avec la bande de Gaza, constitue environ 22 % de l’ancienne Palestine, ceci est un non-point de départ
Pour notre gouvernement, c’est la valeur numéro un.
Le Jourdain, un des fleuves les plus célèbres dans l’histoire de l’humanité mondiale, est en réalité un ruisseau assez petit d’environ 250 km de long et quelques dizaines de mètres de large. Il prend ses sources dans les hautes terres de Syrie qu’on appelle le Plateau du Golan et finit sans gloire dans la Mer Morte, qui est en réalité un lac intérieur. Pas vraiment un fleuve…
Comment a-t-il atteint l’importance stratégique qu’il a actuellement ?
L’explication qui suit est simplifiée mais pas très éloignée de ce qui s’est vraiment passé.
Juste après la guerre de juin 1967, quand toutes les terres palestiniennes furent tombées aux mains d’Israël, des groupes d’experts agricoles affluèrent en Cisjordanie pour voir ce qui pouvait être exploité.
La majeure partie de la Cisjordanie consiste en collines rocheuses très pittoresques mais guère appropriées aux méthodes agricoles modernes. Chaque pouce de terre arable était utilisé par les villages palestiniens, ayant recours à des terrasses ou à d’autres méthodes anciennes. Pas bon pour de nouveaux kibboutzim.
Sauf… la vallée du Jourdain.
Cette vallée qui fait partie du grand rift syro-africain est plate. Logée entre le fleuve et le Massif central palestinien, elle est riche en eau. Pour l’œil exercé d’un kibboutznik elle était idéal pour l’agriculture mécanisée. Par ailleurs elle était peu peuplée.
Presque tous les dirigeants israéliens importants de l’époque avaient une expérience agricole. Levy Eshkol, le premier Ministre, avait été responsable pendant de nombreuses années des implantations juives, avant la création de l’État. Le ministre de la Défense Moshe Dayan, était né dans un kibboutz et avait grandi dans un village coopératif (moshav). Le ministre du Travail Yigal Allon n’était pas seulement le général célèbre de la campagne de 1948 mais il était le directeur du principal mouvement kibboutz. Son mentor était Israel Galili, autre directeur de kibboutz, l’éminence grise de Golda Meir.
C’est Allon qui fournit le prétexte militaire pour rester en possession de la vallée du Jourdain.
Il conçut un plan sécuritaire pour l’état israélien d’après 67. L’élément central était l’annexion de la vallée.
Connu sous l’appellation de « Plan Allon », il avait – et a toujours – une emprise majeure sur la pensée politique israélienne. Officiellement le gouvernement israélien ne l’a jamais adopté. Il n’existe pas non plus de carte autorisée du Plan. Mais il a été discuté interminablement.
Le Plan Allon prévoit l’annexion de toute la vallée du Jourdain, des côtes de la Mer Morte et la bande de Gaza
Pour ne pas couper le reste de la Cisjordanie du Royaume hachémite de Jordanie (ainsi nommé d’après le fleuve), le Plan laissait un couloir ouvert entre les deux territoires près de Jéricho.
On supposait généralement qu’Allon avait l’intention de rendre la Cisjordanie au Royaume. Mais il ne s’en souciait pas. À la Knesset, lorsque je l’accusai de contrecarrer l’établissement d’un état palestinien, il m’envoya une note disant : « Je suis prêt pour un état palestinien en Cisjordanie. Alors pourquoi suis-je moins une colombe que toi ? »
Les bases militaires du Plan Allon n’étaient pas entièrement ridicules – à l’époque.
Il faut se rappeler la situation de… disons 1968. Le Royaume de Jordanie était officiellement « un pays ennemi », même s’il y avait toujours eu une alliance secrète avec ses rois. L’Irak était un état fort et son armée très respectée de nos militaires. La Syrie avait été battue dans la guerre de 1967, mais son armée était toujours intacte. L’Arabie Saoudite, avec ses énormes richesses, était derrière eux. (qui aurait jamais imaginé que les Saoudiens deviendraient un jour nos alliés contre l’Iran ?).
Le cauchemar militaire israélien était que toutes ces forces militaires se rassemblent soudain sur le sol jordanien et attaquent Israël, traversent le fleuve, s’unissent aux Palestiniens de Cisjordanie et envahissent Israël même. À un certain point, entre la ville cisjordanienne de Tulkarem et la Méditerranée, Israël n’a que 14 km de large.
C’était il y a 55 ans. Aujourd’hui, ce tableau est effectivement ridicule. La seule menace militaire possible contre Israël vient de l’Iran, et elle n’inclut pas une attaque par des troupes massées au sol. Si des missiles iraniens arrivent sur nous, les troupes israéliennes sur la rive du Jourdain ne seront que de simples spectateurs. Ils n’auront rien à regarder. Le défi sera relevé bien avant que les missiles n’approchent.
Quant aux stations d’alerte, on peut les installer dans mon appartement à Tel Aviv. Les quelque 100 kilomètres d’ici au Jourdain ne feront pas de différence.
Il en va de même pour d’autres « soucis de sécurité », comme de garder des stations d’alerte en Cisjordanie.
Le général américain écoutera poliment et se retiendra le plus possible pour ne pas éclater de rire.
Aujourd’hui il n’y a pratiquement plus un seul arabe dans la vallée du Jourdain. De temps en temps les quelques Palestiniens restants sont maltraités par l’armée, histoire de les persuader de partir.
Il y a plusieurs implantations juives tout au long de la vallée, installées par le Parti Travailliste quand il était encore au pouvoir. Les résidents n’utilisent pas la force de travail des villages palestiniens voisins, mais des travailleurs meilleur marché et plus efficaces de Thaïlande. Le climat très chaud, car toute la vallée est sous le niveau de la mer, permet la culture de fruits tropicaux.
La seule ville palestinienne qui reste est Jéricho, une oasis verdoyante, la ville la plus basse de la terre. Le chef des négociateurs palestiniens, Saeb Erekat, y vit (bien qu’en 1948 son père dirigeât les combattants palestiniens de Abou Dis, maintenant une banlieue de Jérusalem Est annexé). Quelquefois les participants des « négociations de paix » de Kerry s’y rencontrent. Erekat, personne sympathique que je rencontrais dans des manifestations, est dans un état de résignation – dans les deux sens.
Supposant un instant que le général convainque Netanyahou que son plan sécuritaire est magnifique et résout tous nos problèmes militaires, quelle différence cela ferait-il ?
Absolument aucune.
En lieu et place, d’autres « préoccupations » viendraient à l’avant-plan. Il y en a un stock inépuisable.
Il en va de même pour l’autre histoire qui remplit les journaux et les programmes de télévision en Israël ces jours-ci : l’expulsion des Bédouins dans le Neguev.
Les Bédouins habitent ce désert du Sinaï-Néguev depuis des temps immémoriaux. D’anciennes peintures sur pierre égyptiennes montrent leurs barbes caractéristiques (la même barbe que j’ai ramenée de la « guerre » de 1948, après avoir combattu dans le Néguev.
Pendant les premières années de l’État d’Israël, des tribus entières de Bédouins ont été déplacées et expulsées. Les prétextes sont un air connu : prévenir une attaque égyptienne du sud.
La vraie raison était bien sûr de les dépouiller de leurs terres et de les remplacer par des colons juifs. Les mordus de l’histoire des USA se rappelleront le traitement infligé aux natifs amérindiens. L’Armée (notre armée) a mené plusieurs opérations importantes mais les Bédouins ont un taux de natalité féroce et maintenant ils sont près d’un quart de million.
Les bureaucrates veulent « judaïser » le Néguev
Étant des Bédouins, ils vivent avec leurs chèvres sur des vastes territoires dispersés. Le gouvernement tente (à nouveau) de les chasser. Les bureaucrates veulent « judaïser » le Néguev (tout en essayant en même temps de « judaïser » la Galilée [dans le nord d’Israël]). Par ailleurs, l’idée qu’un nombre relativement restreint de gens occupent de si grands pans de territoire leur déplaît, même si ce sont des terres stériles.
Les planificateurs à Jérusalem et Tel Aviv ébauchent toutes sortes de schémas pour concentrer les Bédouins dans des municipalités, à l’encontre de leur mode de vie traditionnel. Sur le papier, les plans ont l’air raisonnables. En réalité, ils sont destinés à réaliser les mêmes plans que pour la vallée du Jourdain : prendre des terres aux Arabes et les transmettre à des colons juifs.
Uri Avnery, né en 1923, est un écrivain israélien, militant des droits des palestiniens et pacifiste convaincu, fondateur de Gush Shalom (Le Bloc de la Paix). Il appartient à la gauche radicale israélienne et se définit comme post-sioniste. Il a contribué au livre de CounterPunch : The Politics of Anti-Semitism.
Source :
https://www.counterpunch.org/2013/12…
Traduction : Info-Palestine.eu – Marie Meert