
Des véhicules militaires turcs patrouillent près de la ville syrienne de Saraqeb, dans la province d’Idlib (nord-ouest), en 2019. Les efforts de la Turquie pour un rapprochement avec Damas pourraient signer la fin du groupe islamiste terroriste HTS, qui contrôle la majeure partie du nord-ouest de la Syrie Photo : AFP
Bien que rien ne prouve que la Turquie soutienne directement HTS, Ankara a été l’un des principaux soutiens d’autres rebelles islamistes du même calibre.
Par HAID HAID*
Les efforts de la Turquie pour normaliser les relations diplomatiques avec le gouvernement syrien ont alimenté le malaise des groupes d’opposition armés syriens (https://www.reuters.com/world/middle-east/syria-opposition-uneasy-after-turkish-syrian-defence-ministers-meet-2023-01-04/), conduisant certains opposants au régime du président Bachar el-Assad à craindre la fin de leur cause, qui dure depuis une décennie.
Parmi les plus inquiets figure Hayat Tahrir al-Sham (HTS), une organisation politique et armée islamiste sunnite qui contrôle la majeure partie du nord-ouest de la Syrie. Bien que rien ne prouve que la Turquie soutienne directement HTS, Ankara a été l’un des principaux bailleurs de fonds d’autres groupes d’opposition au cours du conflit syrien qui dure depuis 12 ans.
La Turquie a des intérêts communs avec HTS et ils se sont coordonnés sur des questions spécifiques. La Turquie et la Syrie ont commencé à travailler au rétablissement de leurs relations (https://www.reuters.com/world/middle-east/erdogan-wanted-meet-syrias-assad-turkish-media-2022-09-16/- et si elles trouvent un terrain d’entente, cela pourrait bouleverser les efforts déployés pour défier le régime d’Assad et, de fait, signer la fin de HTS.
Assad a conditionné à plusieurs reprises la réconciliation avec Ankara au retrait complet des troupes turques du nord de la Syrie. Damas insiste également sur la fin du soutien d’Ankara aux groupes d’opposition armés (https://www.reuters.com/world/middle-east/assad-says-turkey-talks-must-be-based-ending-occupation-2023-01-13/).
Si certains groupes armés sont susceptibles de survivre à l’expansion territoriale du gouvernement, il est peu probable que le HTS en fasse partie. En effet, le groupe est désigné comme une organisation terroriste par Ankara et Damas en raison de son ancienne affiliation à Al-Qaïda. En fait, les efforts de la Turquie pour se réconcilier avec la Syrie constituent une menace existentielle pour HTS (https://www.reuters.com/article/us-mideast-crisis-syria-turkey-idUSKCN1LG1XM).
Le déploiement des forces turques à Idlib en 2017, destiné à empêcher le gouvernement syrien de s’emparer du dernier bastion rebelle, a été permis par HTS, qui a contribué à offrir un environnement plus sûr aux troupes turques.
Aujourd’hui, le groupe craint que cette histoire n’amène ses partisans à conclure que HTS favorise les pourparlers de la Turquie avec Assad – une perception qui pourrait menacer l’unité du groupe et alimenter la colère de leur public.
Le chef de HTS, Abu Mohammad al-Jolani, a rapidement dénoncé le rapprochement syro-turc. Dans une déclaration vidéo, Jolani a déclaré qu’il ne se réconcilierait pas avec Assad et a promis de poursuivre le combat jusqu’à ce que Damas soit « libérée » (https://shaam.org/news/syria-news/alj-wlany-yaln-rfdh-almbahthat-byn-alnzam-wtrkya-wyatbrha-anhrafaan-yms-ahdaf-althwrh).
Jolani s’est également engagé à ne pas céder de territoire à Damas. HTS est largement considéré comme le groupe armé le plus fort et le plus cohérent du nord-ouest de la Syrie. Il est donc important pour les groupes rebelles de s’assurer de sa participation à la lutte contre le gouvernement afin de mieux défendre leurs territoires.
Pour enfoncer le clou, HTS a multiplié les attaques contre le gouvernement syrien ces dernières semaines. Contrairement au calme relatif de l’année dernière, HTS aurait mené 11 opérations contre les forces gouvernementales le mois dernier et ciblé des cellules pro-gouvernementales opérant à Idlib.
Mais HTS poursuit également une stratégie nuancée, conscient que sa survie dépend du maintien de bonnes relations avec son voisin du nord.
Par exemple, plutôt que de s’engager dans des confrontations directes avec les forces gouvernementales, HTS a concentré ses opérations sur des sites militaires défensifs derrière les lignes ennemies. Cela est probablement dû au fait que HTS veut éviter d’alimenter les tensions avec la Turquie, qui maintient un cessez-le-feu négocié avec la Russie en mars 2020.
En outre, HTS s’est abstenu de critiquer directement la politique étrangère de la Turquie et a adopté un ton plus conciliant. Dans une déclaration de décembre, HTS a reproché au régime d’Assad son manque de volonté de répondre aux préoccupations de la Turquie et a exhorté Ankara à « préserver ses valeurs et ses acquis moraux en soutenant les opprimés ».
Il a également exprimé sa compréhension pour les « pressions auxquelles la Turquie est confrontée aux niveaux local et international ». Il s’agit notamment de la nécessité pour la Turquie de faire des progrès pour faciliter le retour des réfugiés syriens et de contrer la « menace kurde » avant les élections turques de mai.
En privé, HTS a été plus direct. Des sources locales me disent que HTS a tenu une réunion en décembre avec des responsables turcs au cours de laquelle les dirigeants du groupe ont exprimé leur inquiétude quant à la réconciliation avec la Syrie et ont réitéré leur engagement à respecter les accords avec la Turquie.
La réponse calculée de HTS semble être motivée par une évaluation selon laquelle les négociations entre Ankara et Damas ont peu de chances de donner des résultats. Le point de vue du groupe est partagé par de nombreux observateurs de la Syrie qui prédisent que les pourparlers vont stagner parce que la Turquie et la Syrie restent très éloignées l’une de l’autre sur de nombreuses questions (sans parler de la réticence du régime Assad à faire des compromis).
Cela pourrait expliquer pourquoi la réaction de HTS jusqu’à présent a été conçue pour assurer son public national de son engagement dans le combat, plutôt que de persuader agressivement la Turquie de mettre fin aux pourparlers avec Assad.
Bien entendu, les paris sont ouverts si les pourparlers entre Ankara et Damas aboutissent à une percée inattendue. Dans un tel scénario, HTS utiliserait probablement d’abord ses canaux diplomatiques avec Ankara pour parvenir à un compromis qui lui permettrait de préserver, dans la mesure du possible, ses intérêts.
Il pourrait s’agir, par exemple, de se retirer de zones spécifiques à Idlib en échange d’une expansion dans le nord d’Alep.
À défaut d’un compromis mutuellement accepté avec la Turquie, le groupe se tournerait sans aucun doute vers des moyens plus agressifs pour survivre.
Quelle que soit la façon dont le rapprochement turco-syrien progresse, les temps sont durs pour l’opposition syrienne à Idlib – ceux qui combattent et ceux qui aspirent simplement à la fin d’années de souffrance.
Cet article a été fourni par Syndication Bureau, qui en détient les droits d’auteur.
HAID HAID
*Haid Haid est un chroniqueur syrien et un consultant associé au programme Moyen-Orient et Afrique du Nord de Chatham House.