L’imam de Bordeaux Tareq Oubrou dénonce le projet tunisien sur « la complémentarité » de l’homme et de la femme.
Après le débat sur l’instauration de la charia dans la Constitution, une autre polémique s’empare de la Tunisie, un projet de loi remplace l’égalité par la complémentarité entre les sexes. Ce qui soulève l’indignation de milliers de Tunisiennes et ne fait pas l’unanimité chez les musulmans en France, comme en témoigne l’imam de Bordeaux.
Triste 13 août en Tunisie. C’est traditionnellement le jour de célébration de la journée de la femme et l’anniversaire de la promulgation du Code de statut personnel, un ensemble de lois instaurant l’égalité des sexes dans plusieurs domaines. Ce fut cette année une journée de manifestations pour le respect des droits de la femme.
Plusieurs milliers de Tunisiens et Tunisiennes sont descendus lundi soir dans les rues de Tunis pour s’opposer à un projet d’article constitutionnel. En cause : l’absence de mention de l’égalité entre hommes et femmes dans le texte. Celui-ci stipule que « l’État assure la protection des droits de la femme, de ses acquis, sous le principe de la complémentarité avec l’homme au sein de la famille. »
L’égalité remplacée par la complémentarité. Cet article, qui doit encore être adopté en séance plénière, a d’emblée soulevé la polémique, les dirigeants du parti islamique Ennahdha étant soupçonnés de vouloir imposer leur vision conservatrice de la société. Pour l’Association tunisienne des femmes démocrates et la Ligue tunisienne des droits de l’homme, qui ont organisé les manifestations, le texte ne reconnaît pas la femme comme étant « un être indépendant » et « vient consacrer une approche paternaliste qui donne à l’homme un pouvoir absolu tout en reniant à la femme son droit de citoyenne à part entière ».
Aucune référence au Coran
Selon Tareq Oubrou, imam de la mosquée de Bordeaux et théologien, il n’existe aucun fondement théologique à l’absence d’égalité entre les sexes. « Dans le Coran, l’homme et la femme ont une origine commune, il n’y a pas d’antériorité de l’homme comme dans la Bible. Les textes fondateurs ne laissent aucune marge d’interprétation à une quelconque différence. »
Il juge le terme de complémentarité vide de sens : « La complémentarité touche toute l’humanité et personne n’est autosuffisant. Mais derrière ce mot, on peut supposer que certains veulent y voir une division des tâches, les femmes à la maison, les hommes au travail. Mais dans les textes fondateurs, on ne trouve aucune interdiction canonique pour les femmes d’exercer des responsabilités. »
Pour lui, 99 % du droit des pays musulmans ne provient d’ailleurs pas des textes sacrés, mais des cultures, des conventions. C’est avec cette grille de lecture qu’il analyse les choix du législateur tunisien : « ceux qui font la loi partent du paradigme masculin dominant dans le pays, s’appuient sur une culture enracinée depuis longtemps ».
Ambiguïté des termes
Le texte résulte aussi de jeux politiques : « le législateur veut unir la nation tout entière. Faire une Constitution est un acte politique. Il faut plaire à tout le monde, les laïques et les islamistes plus ou moins modérés, les féministes et les conservateurs. Le mot de complémentarité avait certainement pour but d’apaiser tout le monde, mais c’est un mauvais choix. »
Tareq Oubrou prône l’inscription stricte de la notion d’égalité dans la Constitution, même s’il juge le mot tout aussi ambigu : « l’égalité parfaite n’existe pas. Il y a toujours selon les secteurs, les lieux, les temps, une domination d’un sexe. C’est la sociologie de Pierre Bourdieu. Ceci dit, en termes de droits, il faut se préserver de toute déviance en mentionnant explicitement que l’homme et la femme sont sur le même plan. Ce n’est qu’ainsi que le peuple tunisien pourra se prémunir de toute régression sociétale. »
Dans un communiqué diffusé lundi, le parti Ennahdha a tenu à se défendre, estimant que les reproches lui étant adressés sont le résultat « de confusion, voire même de provocation et d’exagération ».
Source : marianne2.fr