Le nouveau numéro d’Afrique Asie est paru. Lisez l’éditorial en avant-première.
L’histoire se répète en Afrique. À chaque fois qu’un attentat terroriste frappe un pays, des voix s’élèvent pour redire le caractère global du fléau et la nécessité d’une réponse concertée entre nations pour en venir à bout. Puis plus rien, ou presque. L’État frappé se débrouille comme il peut, et les mesures communautaires de lutte envisagées se résument finalement à quelques réunions d’officiers sans lendemain.
En l’espace de cinq mois, les djihadistes ont attaqué successivement Bamako, Ouagadougou, Abidjan, et encore Bamako. Bien que les modes opératoires de ces attaques meurtrières soient quasi identiques, les États d’Afrique de l’Ouest n’ont pu les empêcher en amont. La faute à des systèmes de défense et de sécurité encore défaillants et dérisoires face à la puissance de feu des terroristes ? Sans doute. Mais ces limites n’auraient-elles pas dû susciter une véritable union des forces de sécurité, et particulièrement des services de renseignement, pour prévenir et enrayer la menace terroriste en amont ?
Cette nécessaire réorientation stratégique qui rendrait prioritaires les actions collectives africaines bute encore sur des antagonismes nationaux exacerbés par les multiples influences occidentales dans la région. Plusieurs puissances, en effet, sont présentes dans la zone avec des services de renseignement et parfois des troupes au sol ne recherchant pas forcément les mêmes objectifs. Ce qui rend la coordination des efforts de lutte difficile, voire impossible.
Par ailleurs, la résurgence actuelle des groupes terroristes est concomitante avec la destruction de la Libye par l’Otan et ses alliés. Les armes déversées en Libye pour aider les rebelles à assassiner Kadhafi, ajoutées aux stocks d’armes de l’arsenal libyen d’alors, tombées aux mains des djihadistes, ont contribué à transformer la Libye, notamment sa partie méridionale, en une immense base arrière du mal nommé État islamique. Ce sont les groupes touaregs ayant quitté la Libye avec armes et bagages qui ont d’abord occupé militairement le nord du Mali, avant d’en être chassés par l’opération française Serval et les forces tchadiennes. Ils ont donné le coup d’envoi à la vague actuelle de dissémination de groupuscules djihadistes en Afrique de l’Ouest.
Certains de ces groupes, toujours affiliés à Al-Qaïda ou proches de cette mouvance, sont cachés en Libye, devenue un État failli. D’autres se terrent dans leurs bastions du nord du Mali (Ansar Dine, le groupe d’Iyad Ag Ghali), et agissent désormais aussi dans le centre (Front de libération du Macina), dans la région de Tombouctou (Aqmi) ou dans la bande proche des frontières du Burkina Faso et du Niger (Mujao). Ansar Dine-Sud est même à l’œuvre vers la frontière avec la Côte d’Ivoire. Des alliances se sont construites entre Aqmi et Daech, permettant de dédoubler la capacité de nuisance terroriste. La grande crainte est désormais que ces groupes venus du nord de l’Afrique fassent la jonction avec la brutale secte nigériane Boko Haram, déjà active au Nigeria, au Cameroun, au Tchad et au Niger, pour former une association de criminels encore plus redoutables.
Le pire semble à venir, plusieurs États africains ayant abandonné l’initiative de la politique de sécurité nationale pour se mettre sous le parapluie des États-Unis, de la France ou de la Grande-Bretagne, réputés être adeptes du double jeu sur d’autres théâtres d’opérations.
En même temps, les bouleversements intervenus dans des pays de la région, comme au Burkina avec l’exil d’anciens membres du Régiment de sécurité présidentielle assoiffés de vengeance, les incertitudes ouvertes par des élections bâclées telles celles qui viennent d’avoir lieu au Niger, ou encore la forte tension sociale qui précède la présidentielle au Tchad, risquent à leur tour d’affaiblir le front des pays du Sahel, premières cibles de l’offensive djihadiste d’Aqmi et de ses supplétifs locaux.
Les répercussions du terrorisme sur les économies des pays visés, mais également sur celles des pays limitrophes qui ont jusqu’à présent échappé à ce fléau, ne peuvent que nuire à la cohésion sociale nécessaire pour faire face aux défis actuels. Il est urgent d’apporter une réponse concrète à une jeunesse désœuvrée et sans repères, première proie des recruteurs djihadistes et autres trafiquants qui sillonnent la région.