Selon une information exclusive publiée par le sitePoint.fr, le ministre des Affaires étrangères se retrouve sous le feu de la colère d’une association de femmes diplomates, qui lui ont écrit une lettre.
Sur la photo de famille prise le 29 août à la fin de la conférence des ambassadeurs, Laurent Fabius apparaît tout sourire au premier rang, entouré de deux de ses ministres délégués – Yamina Benguigui pour la Francophonie et Hélène Conway-Mouret pour les Français de l’étranger – et de femmes diplomates. Les hommes, très largement majoritaires, se serrent derrière sur les escaliers.
Une image qui met donc en avant les femmes, pour dire l’effort du Quai d’Orsay en faveur de la parité – dans un ministère qui part de loin ? Le même jour, le ministre des Affaires étrangères a reçu une lettre qui l’accuse de jouer contre l’effort de promotion des femmes au sein des Affaires étrangères, et contre leur accès à des postes à responsabilité. L’association Femmes et diplomatie, qui regroupe une centaine d’adhérentes, n’y va pas par quatre chemins. Et si le ton de la missive demeure courtois, diplomatie oblige, ses auteurs se montrent directs et fermes.
« Seule femme au conseil de direction »
Le remplacement, le 23 août, de Nathalie Loiseau à la tête de la direction générale de l’administration et de la modernisation du ministère – elle est alors la seule femme à ce niveau de responsabilité à l’administration centrale – par Yves Saint-Geours, auparavant ambassadeur au Brésil, a ouvert les hostilités. « Nous souhaitons vous faire part de notre étonnement devant les conditions du remplacement de Mme Nathalie Loiseau, écrit Femmes et diplomatie. Nous ne remettons pas en cause le droit du ministre de procéder à la nomination de personnes dont il apprécie les mérites, ni les qualités de M. Saint-Geours. Toutefois, nous regrettons la façon dont le remplacement de Mme Loiseau a été opéré : sans faute professionnelle, sans préavis, sans nouveau poste. »
Puis, après un développement sur l’action de Femmes et diplomatie en faveur d’une amélioration de la gestion des ressources humaines et de la « prise en compte des contraintes familiales », l’organisation enfonce le clou. « Dans ces conditions, nous ne pouvons que regretter la méthode employée vis-à-vis de Mme Loiseau, l’une des rares diplomates femmes ayant accédé à un niveau aussi élevé de responsabilité au sein du ministère, et seule femme au conseil de direction qui examine les grandes orientations concernant l’organisation du ministère avant de vous les soumettre. Cette mesure ne nous paraît par ailleurs pas à la hauteur des objectifs du gouvernement en terme de parité. »
« Association instrumentalisée »
Une copie de la lettre a été adressée au directeur de cabinet de Laurent Fabius, au secrétaire général, au successeur de Nathalie Loiseau et au directeur des ressources humaines : quatre hommes ! Femmes et diplomatie, club informel doté de statuts associatifs en 2008, joue sur du velours en prenant la défense de la directrice générale « exécutée » par son ministre, a fortiori dans un Quai d’Orsay sous domination masculine.
Les coulisses du remplacement de Nathalie Loiseau racontent pourtant aussi une autre histoire. Car cette diplomate de 48 ans, entrée au ministère en 1986, figure parmi les fondatrices de Femmes et diplomatie et ne s’est pas fait que des amis au fil de sa carrière. « Avec cette lettre, elle instrumentalise une association qu’elle a contribué à créer », lâche un diplomate. De plus, selon plusieurs sources, des postes lui ont bel et bien été proposés, dont l’ambassade de France en Belgique, qu’elle a refusée.
Proche d’Alain Juppé
Directrice des ressources humaines du ministère (un poste où l’on se ménage des soutiens, mais aussi des inimitiés), avant d’être promue directrice générale de l’administration par Alain Juppé, en novembre 2011, Nathalie Loiseau est une proche de ce dernier. Elle faisait partie de son cabinet lorsqu’il a, une première fois, dirigé le Quai d’Orsay de 1993 à 1995. Malgré ses tentatives de résistance, le départ de cette protégée de Jean-David Levitte, le sherpa de Nicolas Sarkozy durant son quinquennat, était acté sitôt les socialistes de retour aux affaires.
En plaidant avec ardeur la cause de l’ex-directrice générale, Femmes et diplomatie appuie en tout état de cause là où ça fait mal au Quai d’Orsay. Un rapport interne, « La promotion des femmes dans l’encadrement supérieur du ministère des Affaires étrangères et européennes », remis à Alain Juppé en mars dernier, note que si la parité progresse à petits pas, « ces progrès demeurent à la fois fragiles et insuffisants ». Ainsi, seuls 14 % des ambassadeurs sont des femmes (contre 41 % en Finlande, par exemple). Pour respecter les quotas de nominations de femmes chez les hauts diplomates, inscrits dans la loi, les hommes du Quai d’Orsay vont devoir cravacher.
DOCUMENT : La lettre envoyée par l’association Femmes et diplomatie au Quai d’Orsay.