Depuis le début de l’été et jusqu’à la veille de l’élection du 8 novembre 2016, l’Amérique a été suspendue aux informations concernant la campagne de Donald Trump ; jusque dans quel abîme entrainera-t-il le pays ?
Depuis sa déclaration de candidature en juin 2015, les observateurs estiment que le « reality TV Star » de l’homme d’affaire a dépassé les limites acceptables. Pour certains, c’est la « promesse » de déporter 11 millions de migrants irréguliers, pour d’autre son appel à interdire aux musulmans l’entrée des États-Unis, qui ont le choqué. Ou encore sa répugnante imitation d’un journaliste handicapé physique, et son incroyable hypothèse à propos des raisons pour lesquelles une journaliste lui était hostile : elle avait ses règles ! N’importe laquelle de ces prises de positions et autres affabulations auraient mis fin à la carrière politique d’un candidat à la présidence… mais bizarrement, Trump a continué à gagner en popularité.
Début d’août, on a vu se multiplier les réactions indignées. Les parents du Capitaine Humayun Khan, soldat américain tombé en Afghanistan, se sont adressés aux medias. Le père, Khizr Khan, a fait remarquer que si Trump était déjà au pouvoir, son fils « ne se serait jamais retrouvé en Amérique, sa nouvelle patrie ». Et il a pris le texte de la constitution américaine, invitant le candidat républicain à regarder les mots « égalité des droits » et « liberté ». La réponse de Trump a été consternante. Il a demandé pourquoi la femme de M. Khan n’avait pas pris la parole, attribuant son silence aux diktats de l’islam fondamentaliste. Des dirigeants républicains ont réagi en critiquant cette remarque et suggérant que leur candidat devait apprendre comment s’adresser aux parents d’un « Gold Star », un héros de la guerre.
La fois suivante, fut la révélation d’une vidéo datant de 2005, montrant Donald Trump et Billie Bush (un cousin de la famille Bush) en train d’échanger des propos peu amènes sur la façon de coucher avec une femme en la forçant. La vulgarité de Trump, enregistré à son insu, a écœuré des dirigeants républicains, et certains se sont démarqués publiquement de leur candidat. Bien évidemment, un grand nombre de femmes ont fait connaitre publiquement leur indignation.
Tout en perdant des points dans les sondages, Trump ne s’est pas résigné à prendre un ton plus présidentiable. Bien au contraire, il a lancé un appel à tous ceux qui militent en faveur du « Second amendement », c’est-à-dire ceux qui considèrent comme un droit de porter une arme, de s’occuper de Hillary Clinton (une menace à peine voilée de l’éliminer physiquement).
Quant au débats entre les candidats, ils ont été pénibles, parfois surréalistes. Des élus du Parti républicain ont reconnu éprouver un sentiment de honte, sans pour autant rompre avec leur candidat de peur de perdre leur place au Congrès ou dans les organes de pouvoir locaux.
Finalement, les sondages actuels (y compris les plus crédibles, comme ceux de Nate Silver, qui se sont révélés exacts pour les résultats de ces dernières années) donnent Hillary gagnante – sans pour autant avoir des certitudes quant au Sénat – ce qui est très important pour la nomination des juges à la Cour suprême et à la Chambre des Représentants. Quant à Trump, il continue de refuser de dire qu’il acceptera les résultats de l’élection, ne reconnaissant pas la validité de la procédure électorale américaine, et se disant sûr qu’il y aura des fraudes destinées à l’éliminer. Qui plus est, il a appelé (pas très subtilement) ses supporters à avoir recours à la violence s’il ne gagne pas. En affirmant que l’élection sera truquée, Trump touche à un thème de plus en plus récurrent dans l’argumentaire du parti républicain, consistant à dire à l’avance que les démocrates essaient de voler les élections, et non de les gagner honnêtement. L’obsession des Républicains à ce sujet date de la fin des années 1990, après la mise en place du National Voters Registration Act de 1993, qui permet l’enregistrement automatique. Des républicains – entre autres – ont commencé à se plaindre du fait que s’enregistrer était devenu trop facile et que le processus était mal supervisé. La question des règlements électoraux et la légitimité des inscrits pour voter est devenue encore plus sensible en 2000, quand la Cour suprême a tranché à propos de l’élection présidentielle, attribuant à George Bush une victoire sur Al Gore par 537 voix d’avance dans l’État de Floride – État dirigé par son frère Jeb.
La question raciale a également refait surface dans les accusations de fraudes de la part des Républicains lors de l’élection, en 2008, du premier président noir du pays, Barack Obama. Des telles accusations ont souvent été dirigées contre des groupes minoritaires dans des villes comme Philadelphie ou Chicago. La notion de fraude généralisée est devenue une arme politique généralisée. Depuis 2010, seize États ont adopté de nouveaux règlements pour pouvoir voter, soi-disant au nom de la sécurité. De plus en plus, ils exigent que les électeurs fournissent une preuve de leur identité, ce que les jeunes, les pauvres et les minorités – souvent démocrates – ont du mal à produire. (La carte d’identité n’existe pas aux États-Unis)
On ne peut pas dire que les élections américaines sont « parfaites ». Au contraire, le système électoral national est un mélange de machines à voter anciennes, de bureaux de vote sous-financés et de listes d’électeurs pleines d’erreurs, incluant même des morts. On demande à ceux qui ont changé d’adresse tout en restant dans le même État de se ré-enregistrer (sans les en informer). Sans parler du système du collège électoral, mis en place au XVIIIe siècle. S’il est sûr qu’il y aurait des améliorations à introduire dans les modalités des élections, beaucoup de républicains refusent cependant de croire Trump lorsqu’il parle de fraudes. Un de ses opposants aux primaires, le gouverneur John Kasich, d’Ohio, a ironisé sur ces propos de Trump, « qui sont aussi ridicules, que les affirmations selon lesquelles nous n’avons jamais atterri sur la lune ! ».
L’appel de Donald Trump à ses supporters pour qu’ils viennent protester, y compris par la violence, est semblable à celui d’un dictateur, à celui qui prend le pouvoir par la force. En contestant ainsi une élection présidentielle, il risque de détourner le système démocratique – l’État de droit, le transfert pacifique du pouvoir – en questions conflictuelles touchant aux fondements du droit.