En tardant à voter le relèvement de la limite de la dette, les représentants extrémistes du Tea Party, majoritaires à la Chambre des représentants, ont conduit les États-Unis à l’une de ses plus graves crises récentes : menace de shutdown du gouvernement, paralysie de l’État, chômage technique de plus de 1,5 million de fonctionnaires (agences fédérales, services publics), risque de défaut de paiement du Trésor. Le blocage était tel que certains voyaient déjà la première économie mondiale à genoux ou devenant une nation mendiante.
L’entêtement suicidaire des républicains s’explique sans doute par le fait qu’ils voulaient faire payer au président la promulgation de l’« Obamacare », le nouveau système d’assurance-santé subventionné qui entrera en vigueur le 1er janvier prochain, une réforme qu’Obama lui-même considère comme la plus importante réalisation de sa mandature. Pour ce faire, ils n’ont rien trouvé de mieux que de reporter de plus d’un an le vote du budget. Une immaturité qu’il est inutile de chercher à comprendre, encore moins à justifier.
Comme nombre de ses collègues, le président républicain de la Chambre des représentants, John Boehner, au demeurant plus conservateur qu’extrémiste, a attendu la dernière minute pour se rallier à ce texte. Sans doute a-t-il craint de perdre son rôle à la tête de la Chambre. En effet, pour lui et pour d’autres députés, la question centrale portait non seulement sur l’avenir du budget américain, mais aussi sur leur avenir propre. Il leur importait ainsi de rester plus conservateurs que jamais, dans un pays qui tarde à évoluer. Car l’Amérique est loin d’avoir changé. Les groupes d’affaires du Grand Old Party continuent d’injecter des millions de dollars pour préserver leur influence néfaste auprès d’une partie de la population. Le racisme à l’arrière-goût islamophobe à l’encontre du président noir est vivace. Le 13 octobre, des réactionnaires de droite ont même défilé devant la Maison-Blanche en brandissant des drapeaux de la Confédération – le Sud esclavagiste pendant la guerre civile. Soutenu par la présence remarquée des sénateurs Ted Cruz et Sarah Palin, l’ultra Larry Klayman a alors appelé Obama, qu’il a qualifié de « président qui s’incline devant Allah », à « laisser tomber le Coran »…
Les extrémistes de la Chambre, qui ont tenté de prendre le gouvernement en otage, se sont donc finalement rendus sans obtenir de rançon. Si l’économie américaine a souffert de cette longue crise, dont on peut deviner les effets désastreux sur le monde, une bonne surprise mérite néanmoins d’être signalée : Obama a tenu ferme sur sa position, refusant cette fois le moindre compromis. Une stratégie qui a payé (les employés fédéraux mis au chômage ont déjà repris le travail !) et qui a montré que les petits arrangements opérés ces dernières années avec ses adversaires ne sont pas forcément les meilleurs procédés pour convaincre.
Pour autant, cette victoire, acquise de haute lutte, ne doit pas être l’occasion de sabler le champagne. La loi relevant le plafond de la dette permet au Trésor américain d’emprunter, mais seulement jusqu’au 7 février prochain. Les représentants des deux chambres du Congrès sont en outre attendus pour négocier un budget pour le reste de l’année 2014. Rien n’est donc véritablement joué. Va-t-on revivre le cauchemar ridicule et irresponsable de ces semaines d’affrontement qui ont entaché la vie politique ? Aux États-Unis, on sait désormais que, à l’instar d’autres nations souffrant de leurs franges les plus extrémistes, un dysfonctionnement radical de la gouvernance américaine est toujours possible. Une catastrophe qui, faut-il le rappeler, est le seul fait d’une minorité dont le socle repose sur l’intolérance, la bêtise et la rancœur.