Patrick Calvar, directeur général du renseignement, était entendu mardi dernier par les députés de la commission de la défense nationale et des forces armées. Il y a livré un état des lieux rare sur la menace terroriste en France.
« La question relative à la menace n’est pas de savoir « si », mais « quand » et « où » ». Cette analyse quant à l’ampleur de la menace terroriste qui pèse sur la France n’a rien d’inédit : des experts de tout bord et d’anciens juges spécialisés ont déjà tenu de tels propos. Mais cette phrase est cette fois l’œuvre de Patrick Calvar, le directeur général du renseignement intérieur. Le patron de la DGSI était auditionné mardi par la commission de la défense nationale et des forces armées de l’Assemblée. Un récit rare et sans détour sur l’évolution de cette menace, riche en enseignement. En voici les principales données à retenir.
La France reste le pays « le plus menacé »
Pour Patrick Calvar, c’est un fait : « la France est aujourd’hui, clairement, le pays le plus menacé ». Bien sûr par le groupe djihadiste Etat islamique (EI), qui a revendiqué les attentats de novembre et « dont un des numéros de la revue francophone ‘Dar al Islam’ titrait (en février 2015, Ndlr) : ‘Qu’Allah maudisse la France’ ». Mais d’autres organisations tiennent également l’Hexagone dans le viseur. Al-Qaïda au Maghreb islamique (AQMI), « en tant qu’organisation héritière du Groupe islamique armé (GIA) des années 1990 considère toujours la France comme l’ennemi numéro ». Reste Al-Qaïda dans la péninsule arabique (AQPA) qui « nous stigmatise de la même façon » et dont les frères Kouachi, auteurs du massacre de Charlie Hebdo, se réclamaient.
Une menace spécifique à l’EI…
« Nous savons que Daesh planifie de nouvelles attaques et que la France est clairement visée », livre sans détour le directeur du renseignement intérieur. Et pour cause : « l’organisation rencontre des difficultés militaires sur le terrain et va donc vouloir faire diversion et se venger des frappes de la coalition ». Et Patrick Calvar dessine ce que pourrait être le prochain projet d’attentat de l’EI :
Nous risquons d’être confrontés à une nouvelle forme d’attaque : une campagne terroriste caractérisée par le dépôt d’engins explosifs dans des lieux où est rassemblée une foule importante, ce type d’action étant multiplié pour créer un climat de panique.
Comme pour le 13 novembre, l’organisation utiliserait « des combattants sur zone (…) empruntant les mêmes routes qui facilitent l’accès à notre territoire ». Ces routes, empruntées par les commandos du 13 novembre pour se rendre de la Syrie jusqu’en Europe « sont variées et nous en ignorons encore certaines, notamment pour ce qui concerne Abaaoud ou les ressortissants européens ». L’une d’entre elles est désormais bien connue et reste problématique : « la filière des migrants », à l’instar de deux membres du commando entrés en Europe par l’île de Leros. Une menace d’autant plus prégnante que l’EI « dispose d’individus capables de passer à l’action ».
…et ses 400 combattants Français entre la Syrie et l’Irak
Selon les chiffres livrés par Patrick Calvar, moins de 400 Français ou résidents en France participent à des opérations militaires dans la zone syro-irakienne. Au total, le contingent français sur zone se chiffrerait à 645 individus dont 245 femmes, « qui ne participent pas aux combats », et 20 mineurs, « qui au contraire s’y livrent ». 173 Français sont présumés morts sur place. 244 sont revenus en France tandis que 201 se trouvent en situation de transit : de la France vers la zone ou de la zone vers la France. Enfin 818 personnes ont manifesté des velléités de départ. Des chiffres que Patrick Calvar nuance toutefois : « ils ne reflètent pas nécessairement la réalité parce qu’il y a toujours un chiffre noir que nous ne connaissons pas ».
Deux tendances se détachent cependant. D’une part, « une stagnation des départs » pour la Syrie :
Il est plus compliqué de se rendre dans la zone concernée et on compte beaucoup moins de volontaires car les bombardements ont un effet dissuasif.
D’autre part, un accroissement des « intentions de retour sur notre sol » qui se heurte à la politique répressive de l’EI sur la question :
L’organisation considère les intéressés comme des traîtres à exécuter immédiatement dès lors qu’ils souhaitent quitter la Syrie
Depuis août 2013, 15 projets terroristes « bloqués »
Sur le plan judiciaire, le renseignent intérieur compte 261 dossiers en cours impliquant plus de 1.000 individus. « Nous avons procédé à plus de 350 interpellations. Au moment où je vous parle sept personnes sont gardées à vue. Chaque semaine nous interpellons des gens », confie le directeur de la DGSI face aux députés. Plus de 220 personnes sont mises en examen dans des dossiers de terrorisme, plus de 170 ont été écrouées et plus de 50 placées sous contrôle judiciaire. « Depuis août 2013, mon service a bloqué 15 projets terroristes en France », assène enfin Patrick Calvar.
Les enfants du djihad : une vraie problématique à terme
Les services de la DGSI recensent 400 enfants mineurs dans la zone syro-irakienne. « Une réalité totalement inconnue ou en tout cas jamais soulignée », estime Patrick Calvar. « Les deux tiers sont partis avec leurs parents, le tiers restant étant composé d’enfants nés sur place et qui ont donc moins de quatre ans », ajoute-t-il. Au-delà du casse-tête légal (état-civil, responsabilité parentale) que poserait leur retour, le chef du renseignement entrevoit un enjeu sécuritaire
« Ces enfants sont entraînés, instrumentalisés par Daech. Il faut savoir également qu’ils s’entraînent aux armes à feu. Nous disposons de vidéos montrant des enfants qui exécutent des prisonniers ; ainsi, sur l’une, on voit un Français de onze ou douze ans – sans manifester aucune émotion – tirer une balle dans la tête d’un individu que Daech suppose être un agent des services israéliens. Et le patron du renseignement intérieur de conclure sur le sujet : « il va donc falloir, j’insiste, s’occuper de ces enfants quand ils reviendront ».
L’enjeu libyen
Les attentats du 13 novembre l’ont démontré : les services de renseignement ne peuvent plus se contenter de prendre en compte les seuls Français ou résident en France. « De nombreux Nord-Africains se trouvent dans les zones considérées (Tunisiens, Marocains Algériens). Ils ont la capacité de venir très facilement sur notre territoire et la plupart sont francophones », note Patrick Calvar. Et ces derniers auraient désormais « un intérêt particulier » en Libye, où l’Etat islamique est implanté dans plusieurs villes. « Il y a quelques semaines, pour la première fois, nous avons interpellé trois individus qui partaient pour la Libye », révèle-t-il. Quelques Français se trouveraient aujourd’hui dans la zone libyenne, ce qui peut laisser craindre à une montée de filières : « il suffit qu’une personne s’y rende et fasse ensuite appel à ses amis », explique Patrick Calvar. Et d’ajouter : « un mouvement s’amorce, et il faudra compter avec ceux qui quitteront la Syrie pour la Libye plutôt que pour l’Europe ».
Source : Le Figaro
https://i.f1g.fr/media/figaro/805x453_crop/2016/05/19/XVM257fb4de-1da9-11e6-a082-a876a86da71b.jpg