Le Washington Post a fini par révéler, le 5 février, que les États-Unis possèdent une base secrète de drones en Arabie Saoudite. Le quotidien connaissait l’existence de cette base depuis plus d’un an mais a préféré garder le secret (partagé par d’autres médias) à la demande de l’administration Obama.
En quoi cette information concerne-t-elle le grand public ?
L’Arabie Saoudite est un pays gouverné par des dirigeants autoritaires pratiquant la duplicité, qui a longtemps financé l’extrémisme islamiste. Les bonnes relations entretenues par les États-Unis avec ce régime anti-démocratique sont l’une des raisons de l’impopularité de l’Amérique dans le monde musulman.
Si Oussama Ben Laden s’est lancé dans une croisade contre les États-Unis, c’est avant tout parce qu’il ne supportait pas la présence de troupes américaines sur le sol de son pays natal. La présence militaire américaine y a débuté pendant la Guerre du Golfe, alors que les Américains étaient à la tête d’une coalition destinée à repousser Saddam Hussein hors du Koweït.
« Ben Laden, comme de nombreux musulmans, considère que la présence de ces infidèles armés en Arabie Saoudite constitue une profanation des lieux saints », expliquait le journaliste David Plotz, dans un article publié sur le site internet Slate, le 14 septembre 2001. « Et c’est pour cette raison qu’il a soutenu les attentats sur les sites militaires américains en Arabie saoudite, qu’il a essayé de déstabiliser le gouvernement saoudien et qu’il a fomenté les attentats contre les ambassades américaines au Kenya et en Tanzanie le 7 août 1998, huit ans jour pour jour après l’arrivée des premiers soldats américains sur le sol saoudien. »
Une piètre opinion des États-Unis
En 2003, après l’invasion de l’Irak, les États-Unis ont annoncé qu’ils allaient retirer le gros de leurs troupes d’Arabie Saoudite. En janvier 2009 dans un sondage réalisé par Gallup, 60% des Égyptiens déclaraient qu’ils auraient une meilleure opinions des Etats-Unis si le pays retirait toutes ses troupes d’Arabie Saoudite. 40% des Syriens, 39% des Jordaniens, 52% des Saoudiens, 40% des Palestiniens, 55% des Tunisiens, 40% des Libanais et 30% des Algériens, pensaient la même chose. Je vous laisse calculer les millions de personnes qui ont une piètre opinion de notre pays.
La base de drones
Le Président Obama devait donc avoir de bonnes raisons pour vouloir mener des frappes de drones depuis l’Arabie Saoudite. « La base a été établie il y a deux ans afin d’intensifier la traque contre Al-Qaïda dans la Péninsule arabe, et notamment au Yémen, relate le Washington Post. Et John Brennan, l’ancien chef de station de la CIA en Arabie Saoudite a joué un rôle décisif dans les négociations avec Riyad. » [Nommé au poste de directeur de la CIA par Obama en janvier dernier, John Brennan attend d’être confirmé dans ces nouvelles fonctions par le Sénat].
Les secrets sont faits pour être révélés
Il aurait été souhaitable qu’il y ait un débat afin d’évaluer l’opportunité stratégique d’une base de drones en Arabie Saoudite au regard des risques potentiels de représailles.
Bien entendu, ce risque était plus faible si la base secrète était restée indéfiniment cachée aux yeux du public, mais cette probabilité était nulle. Apparemment, de nombreux médias connaissaient l’existence de cette base et il était donc un peu présomptueux de croire qu’elle allait rester secrète bien longtemps. Les présidents américains se comportent toujours comme si les secrets n’étaient pas faits pour être éventés.
Le New York Times nous en dit plus sur le déroulement des évènements :
« La première frappe au Yémen commanditée par le gouvernement Obama en décembre 2009 a été un véritable désastre : les missiles de croisière américains chargés de bombes à sous munitions ont tué des dizaines de civils, notamment des femmes et des enfants. Une autre frappe, six mois plus tard, a entraîné la mort d’un vice-gouverneur très populaire, ce qui a donné lieu à des manifestations de colère dans le pays ainsi qu’à un attentat qui a mis hors service un pipeline.
Peu de temps après, la CIA commençait discrètement à construire une base de drones en Arabie Saoudite afin de relancer les frappes au Yémen. D’après la Maison Blanche, c’est en septembre 2011 que la CIA a utilisé la base saoudienne pour la première fois dans le cadre de l’opération destinée à tuer Anwar al-Awlaki [un des leaders de la filière yéménite d’Al-Qaïda]. »
A quoi la base a-t-elle servie dernièrement ?
« Il y a eu au moins cinq frappes de drones au Yémen, depuis le début de l’année, qui ont tué au moins 24 personnes. Ces frappes s’inscrivent dans la continuité d’une accélération notable ces deux dernières années avec au moins 63 frappes aérienne depuis 2009, selon The Long War Journal, un site internet qui rassemble les données sur les frappes aériennes, pour un bilan qui s’élève à des centaines de victimes. De nombreux militants tués dernièrement étaient très jeunes et n’avaient apparemment pas de grandes responsabilités au sein d’Al-Qaïda. »
Pour résumer, la base construite par la CIA en Arabie Saoudite est à l’origine de nombreuses frappes mortelles, qui tuent apparemment des gens qui ne sont pas très actifs au sein d’Al-Qaïda.
Et l’on voudrait nous faire croire qu’il n’y a aucun risque de retour de flamme (blowback, ndlr) ?
Conor Friedersdorf
Article original : Let’s Hope Obama’s Secret Drone Base in Saudi Arabia Doesn’t Inspire Blowback
Source : mecanoblog
12 février 2013