Dans sa première déclaration publique depuis sa libération, Assange a déclaré : « Si aujourd’hui je suis libre (…) c’est parce que j’ai plaidé coupable d’avoir fait du journalisme ».
Par Marjorie Cohn*
L’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe (APCE), le principal organe de défense des droits humains en Europe, a adopté le 2 octobre ,à une écrasante majorité, une résolution qualifiant officiellement le fondateur de WikiLeaks, Julian Assange, de prisonnier politique. Le Conseil de l’Europe, qui représente 64 nations, s’est déclaré profondément préoccupé par le traitement sévère subi par Assange, qui a eu un « effet dissuasif » sur les journalistes et les lanceurs d’alerte du monde entier.
Dans la résolution, l’APCE note que de nombreux dossiers publiés par WikiLeaks « fournissent des preuves crédibles de crimes de guerre, de violations des droits humains et de fautes commises par le gouvernement. » Les révélations ont également « confirmé l’existence de prisons secrètes, d’enlèvements et de transferts illégaux de prisonniers par les États-Unis sur le sol européen. »
Selon les termes de l’accord conclu avec le ministère américain de la Justice, Assange a plaidé coupable le 25 juin d’un chef d’accusation de complot en vue d’obtenir des documents, des écrits et des notes liés à la défense nationale en vertu de la loi américaine sur l’espionnage (Espionage Act). Sans cet accord, il risquait 175 ans de prison pour 18 chefs d’accusation dans un acte d’accusation déposé par l’administration Trump et maintenu par l’administration Biden, découlant de la publication par WikiLeaks de preuves de crimes de guerre commis par les États-Unis en Irak, en Afghanistan et à Guantánamo Bay. Après avoir plaidé coupable, Assange a été remis en liberté puisqu’il a bénéficié d’un allègement de peine pour les cinq années passées dans la prison de haute sécurité de Belmarsh, à Londres.
La veille de l’adoption de la résolution par l’APCE, Assange a livré un témoignage convaincant devant la commission des questions juridiques et des droits humains du Conseil de l’Europe. Il s’agissait de sa première déclaration publique depuis sa libération il y a quatre mois, après 14 ans de détention – neuf à l’ambassade de l’Équateur à Londres et cinq à Belmarsh. « La liberté d’expression et tout ce qui en découle se trouvent à une sombre croisée des chemins », a déclaré Assange aux parlementaires.
Un « effet dissuasif et un climat d’autocensure »
La résolution indique que « les accusations excessivement sévères» portées par les États-Unis à l’encontre Assange en vertu de la loi sur l’espionnage, « qui l’exposent à un risque d’emprisonnement à vie de facto », ainsi que sa condamnation « pour ce qui était – essentiellement – la collecte et la publication d’informations », justifient de le classer comme prisonnier politique, conformément à la définition énoncée dans une résolution de l’APCE de 2012 définissant ce terme. L’incarcération longue de cinq ans d’Assange à la prison de Belmarsh était « disproportionnée par rapport à l’infraction présumée. »
Notant qu’Assange est « le premier éditeur à être poursuivi [en vertu de la loi sur l’espionnage] pour avoir divulgué des informations classifiées obtenues auprès d’une lanceuse d’alertes », la résolution s’inquiète de « l’effet dissuasif et du climat d’autocensure pour tous les journalistes, éditeurs et autres personnes qui tirent la sonnette d’alarme sur des questions essentielles au fonctionnement des sociétés démocratiques. » La résolution note également que « la collecte d’informations est une étape préparatoire essentielle du journalisme » qui est protégée par le droit à la liberté d’expression garanti par la Cour européenne des droits humains.
Le principal organe de défense des droits humains en Europe note que de nombreux dossiers publiés par WikiLeaks « fournissent des preuves crédibles de crimes de guerre, de violations des droits humains et de fautes commises par les gouvernements. »
La résolution cite la conclusion de Nils Melzer, rapporteur spécial des Nations Unies sur la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, selon laquelle Assange a été exposé à « des formes de plus en plus sévères de peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, dont les effets cumulés ne peuvent être décrits que comme de la torture psychologique. »
Condamnant la « répression transnationale », l’APCE s’est dite « alarmée par les informations selon lesquelles la CIA surveillait discrètement Assange à l’ambassade d’Équateur à Londres et qu’elle aurait eu l’intention de l’empoisonner ou même de l’assassiner sur le sol britannique. » La CIA a invoqué le privilège des « secrets d’État » dans le cadre d’un procès civil intenté par deux avocats et deux journalistes au sujet de cette surveillance illégale.
Aux États-Unis, « le concept de secret d’État est utilisé pour protéger les responsables exécutifs de poursuites pénales pour des crimes tels que l’enlèvement et la torture, ou pour empêcher les victimes de réclamer des dommages-intérêts », note la résolution. Mais « la responsabilité d’agents de l’État dans des crimes de guerre ou des violations graves des droits humains, comme les assassinats, les disparitions forcées, la torture ou les enlèvements, ne constitue pas un secret qui doit être protégé. »
En outre, la résolution exprime une profonde préoccupation quant au fait que, selon les preuves accessibles au public, personne n’ait eu à répondre des crimes de guerre et des violations des droits humains commis par des agents de l’État américain et dénonce la « culture de l’impunité. »
« Le journalisme n’est pas un crime, a déclaré Assange.
C’est un des piliers d’une société libre et informée. »
La résolution indique que rien ne prouve que les publications de WikiLeaks aient porté préjudice à qui que ce soit et « regrette que, malgré la divulgation par Assange faisant état de milliers de décès confirmés – et jusque-là non déclarés – par les forces américaines et par la coalition en Irak et en Afghanistan, il ait été accusé de mettre des vies en danger. »
Le témoignage de Julian Assange
Le témoignage d’Assange devant la commission est poignant. « J’ai finalement choisi la liberté plutôt qu’une justice véritable […] La justice pour moi est maintenant exclue », a déclaré Assange. « Si je suis libre aujourd’hui, ce n’est pas parce que le système a fonctionné. Je suis libre aujourd’hui après des années d’incarcération parce que j’ai plaidé coupable de journalisme. » Il a ajouté : « J’ai plaidé coupable d’avoir cherché à obtenir des informations auprès d’une source. J’ai plaidé coupable d’avoir obtenu des informations de cette source. Et j’ai plaidé coupable d’avoir informé le public de la nature de ces informations. » Sa source était la lanceuse d’alerte Chelsea Manning, qui a fourni les documents et les rapports à WikiLeaks. « Le journalisme n’est pas un crime, a déclaré Assange. C’est un des piliers d’une société libre et informée. »
Assange a décrit la transition entre les années qu’il a passées dans une prison de haute sécurité et son témoignage devant les parlementaires européens comme un « changement profond et surréaliste. » Evoquant son isolement pendant des années dans une petite cellule, il a déclaré que « cela détruit toute conscience de son identité propre ne laissant que l’essence brute de l’existence ». Assange a déclaré : « Je ne suis pas encore tout à fait en mesure de parler de ce que j’ai enduré. Ma lutte incessante pour rester en vie, à la fois physiquement et mentalement. Je ne peux pas non plus parler de la mort par pendaison, du meurtre de mes camarades de prison et de la négligence médicale dont ils ont été victimes. »
La publication la plus tristement célèbre de WikiLeaks est sans doute la vidéo « Collateral Murder » de 2007, qui montre l’équipage d’un hélicoptère d’attaque Apache de l’armée américaine prenant pour cible et tuant 12 civils non armés à Bagdad, dont deux journalistes de l’agence Reuters, ainsi qu’un homme venu secourir les blessés. La diffusion de cette vidéo a « suscité un débat public », a déclaré Assange. « Aujourd’hui, tous les jours, des horreurs sont diffusées en direct, qu’il s’agisse de la guerre en Ukraine ou de la guerre à Gaza. » Il a cité des « centaines de journalistes » tués dans ces guerres.
Abordant le danger auquel les journalistes sont confrontés, Assange a déclaré : « La criminalisation des activités de collecte d’informations est une menace pour le journalisme d’investigation partout dans le monde. J’ai été définitivement condamné par une puissance étrangère pour avoir demandé, reçu et publié des informations véridiques concernant cette puissance ». Il a ajouté : « La règle fondamentale est simple. Les journalistes ne devraient pas être poursuivis pour avoir fait leur travail. »
Assange a prédit « davantage d’impunité, davantage de secret, davantage de représailles pour avoir dit la vérité et davantage d’autocensure » à l’avenir. « Les journalistes doivent être des militants de la vérité », a-t-il déclaré, soulignant l’importance de la « solidarité journalistique. »
Étant donné qu’Assange n’a jamais eu la possibilité d’intenter une action en justice pour violation de son droit à la liberté d’expression, la résolution du Conseil de l’Europe revêt une importance particulière au moment où il cherche à obtenir la grâce du président américain Joe Biden.
Bien qu’Assange se soit attendu à une forme de harcèlement juridique à la suite des publications de WikiLeaks et qu’il ait été prêt à « se battre pour cela », il a déclaré que « ma naïveté a été de faire confiance à la loi. Au bout du compte, les lois ne sont que des bouts de papier, et elles peuvent être réinterprétées pour des raisons d’opportunité politique. »
Assange a fait remarquer que les lois sont élaborées par la classe dirigeante, qui se contente de les réinterpréter lorsque les règles ne servent pas ses intérêts. Décrivant la procédure judiciaire dans son cas, Assange a noté que « tous les juges, qu’ils m’aient donné raison ou non au Royaume-Uni, ont fait preuve d’une extraordinaire déférence à l’égard des États-Unis. »
L’APCE exhorte les États-Unis à enquêter sur les crimes de guerre
La résolution invite les États-Unis, le Royaume-Uni, les États membres et observateurs du Conseil de l’Europe et les médias à prendre des mesures pour répondre à ses préoccupations.
Elle invite les États-Unis, État observateur, à réformer la loi sur l’espionnage de 1917 afin d’exclure de son champ d’application les journalistes, les rédacteurs en chef et les lanceurs d’alertes qui divulguent des informations classifiées dans le but d’informer le public de crimes graves, tels que la torture ou l’assassinat. Pour obtenir une condamnation pour violation de la loi, le gouvernement devrait être tenu de prouver l’intention malveillante consistant à nuire à la sécurité nationale. Elle demande également aux États-Unis d’enquêter sur les accusations de crimes de guerre et autres violations des droits humains dénoncées par Assange et Wikileaks.
L’APCE a demandé au Royaume-Uni de revoir sa législation en matière d’extradition afin d’exclure celle-ci pour des délits politiques, et de procéder à un examen indépendant des conditions de traitement d’Assange à Belmarsh, afin de déterminer s’il s’est agi de torture ou de traitement inhumain ou dégradant.
En outre, la résolution exhorte les États du Conseil de l’Europe à améliorer encore la protection des lanceurs d’alerte et à adopter des lignes directrices strictes pour empêcher les gouvernements de classifier des documents Secret Defense lorsque cela n’est pas justifié.
Enfin, la résolution exhorte les médias à établir des protocoles rigoureux pour le traitement et la vérification des informations classifiées, afin de garantir un traitement responsable et d’éviter tout risque pour la sécurité nationale et la sécurité des informateurs et des sources.
Bien que l’APCE n’ait pas le pouvoir de légiférer, elle peut exhorter les États du Conseil de l’Europe à prendre des mesures. Étant donné qu’Assange n’a jamais eu la possibilité d’intenter un procès pour violation de son droit à la liberté d’expression, la résolution du Conseil de l’Europe revêt une importance particulière au moment où il cherche à obtenir la grâce du président américain Joe Biden.
Commentaire recommandé par le site Les Crises.fr
RGT // 17.10.2024 à 10h18
Finalement, le « Conseil de l’€urope » au bout de 14 ans (de vie perdue pour Julian, ne l’oublions pas) finalement, dans un effet de manche digne des pires parodies de justice, s’est finalement décidé à se bouger alors que cette action, compte-tenu de sa gravité, aurait dû être traitée il y a 14 ans.
Entérinant donc le fait que les procès en sorcellerie entraînant un « bon bûcher » sont toujours l’apanage des plus puissants et de leur inquisition sanguinaire.
Et bien sûr, concernant les crimes qui avaient été dénoncés par les publications, les victimes pourront toujours se brosser pour que les assassins soient un jour condamnés, mais surtout que les commanditaires soient un jour inquiétés (jusqu’au « prix Nobel du pet » lui-même qui a aussi allègrement supervisé tous ces massacres).
Finalement, la principale différence entre le « phare de la Démocrassie » et la Corée du Nord consiste dans le fait que la Corée du Nord ne procède pas à de tels massacres en dehors de son propre territoire.
Et quand la CPI avait tenté de procéder à la simple étude du dossier de la « démocrassie » la plus sanguinaire de l’histoire humaine, ses membres les plus influents se sont retrouvés forcés de renoncer sous peine de subir les mêmes sévices que Julian Assange.. Pour résumer « Va ch*** dans ta caisse, tais-toi et occupes-toi des « criminels » que nous avons désignés ».
Même les pires dictateurs et monarques les plus absolus n’ont jamais pu dans le passé se montrer aussi ignobles.
Espérons que les poursuites à l’encontre des criminels israéliens portent leurs fruits et que ces poursuites sonnent le glas de l’hégémonie du « camp du Bien ».
Par Marjorie Cohn
*Marjorie Cohn est professeur émérite à la Thomas Jefferson School of Law, ancienne présidente de la National Lawyers Guild et membre des conseils consultatifs nationaux d’Assange Defense et de Veterans For Peace, ainsi que du bureau de l’Association internationale des juristes du parti démocrate. Elle est aussi Doyenne fondatrice de l’Académie populaire de droit international et Représentante des États-Unis au conseil consultatif continental de l’Association des juristes américains. Parmi ses ouvrages on compte Drones and Targeted Killing : Legal, Moral and Geopolitical Issues [Drones et assassinats ciblés : questions juridiques, morales et géopolitiques]. Elle est co-animatrice de l’émission de radio « Law and Disorder. »
Source : Truthout, Marjorie Cohn, 04-10-2024
Traduit par les lecteurs du site Les-Crises