Alors que les Républicains sont sur le point de prendre un contrôle étroit de la Chambre des représentants au Congrès américain en janvier, l’administration Biden espère obtenir autant de fonds que possible pour la guerre par procuration en Ukraine contre la Russie avant que le centre des affaires législatives ne change de place sur la colline. La Maison-Blanche demande près de 45 milliards de dollars de nouveaux fonds. Qui d’autre pourrait mieux prospecter qu’un acteur-politicien accompli ?
Par M. K. BHADRAKUMAR
C’est le cas du président Vladimir Zelensky. Lorsque Zelensky a proposé dimanche de trouver le temps de se rendre à Washington pour quelques heures mercredi, le président Biden a rapidement accepté. Pour Zelensky aussi, il est payant d’être vu en train de tenir la main de Biden au milieu des rumeurs de lutte pour le pouvoir à Kiev.
Certes, d’un point de vue stratégique, la toile de fond de la décision de Zelensky de se rendre d’urgence à Washington aurait été le voyage d’un jour du président russe Vladimir Poutine à Minsk lundi, qui a secoué la géopolitique de la sécurité européenne. La décision du Kremlin de doter le Belarus d’une dissuasion nucléaire met Kiev et Washington en garde.
(Voir mon blogue NATO nuclear compass rendered unavailing https://www.indianpunchline.com/?s=NATO+nuclear+compass+rendered+unavailing).
En bref, le Belarus obtient exactement le pare-feu nécessaire pour continuer à soutenir l’opération militaire spéciale de la Russie en Ukraine. Il sert également un objectif vital pour Moscou, car le Belarus apporte la « profondeur stratégique » nécessaire à la prochaine phase des opérations militaires spéciales de la Russie en Ukraine.
En particulier, les rêves de l’OTAN de fortifier le fossé de Suwalki et de couper l’énorme base nucléaire de Kaliningrad sur la mer Baltique du Belarus et de l’arrière-pays russe se sont effondrés. En effet, l’histoire de l’après-guerre froide est en train de changer de cours dans la masse continentale eurasienne.
En effet, Moscou a peut-être signalé que la stratégie anglo-américaine visant à équiper l’Ukraine de manière stable et furtive pour frapper au cœur du territoire russe ne restera pas sans réponse. En fait, lundi, le président du Belarus, Alexandre Loukachenko, a déclaré que les systèmes de missiles S-400 et Iskander fournis par la Russie avaient été déployés pour le combat.
Iskander est un système unique de missiles balistiques mobiles doté d’une capacité de frappe de précision moderne, d’une portée de 400 km et d’une capacité nucléaire. Il est relié à un système en réseau de capteurs et de missiles de frappe rapide capables d’attaquer des cibles sur l’ensemble du théâtre dans un délai très court.
L’Iskander est capable de manœuvrer à des vitesses élevées de 2,1 km/s en phase terminale, il est équipé de brouilleurs pour contrer les chercheurs actifs et constitue un moyen utile de disposer d’une fonctionnalité contre les cibles mobiles ainsi que pour frapper des cibles stationnaires importantes, notamment les quartiers généraux, les installations de production industrielle, les infrastructures nationales civiles critiques et les sites de stockage durcis.
Au niveau stratégique, le système Iskander est susceptible de jouer un rôle central dans toute tentative russe de gestion de l’escalade et/ou de fin de guerre en Ukraine. De toute évidence, la Russie se prépare à toutes les éventualités.
D’autre part, Biden s’est montré à son meilleur niveau rhétorique, lançant des épithètes vitupérantes à l’encontre de Poutine et répétant le récit triomphaliste de Washington selon lequel il soutiendra l’Ukraine « aussi longtemps qu’il le faudra ».
Il convient toutefois de lire attentivement les feuilles de thé. Un haut responsable de la Maison Blanche, tout en confirmant mardi, lors d’un point de presse non attribué, que des missiles Patriot sont en route pour l’Ukraine, a également ajouté qu’il faudra des mois avant que les missiles Patriot n’arrivent en Ukraine, ainsi que « plusieurs mois » pour former les forces armées ukrainiennes à leur utilisation.
Le fonctionnaire a déclaré que le Pentagone « formera les Ukrainiens dans un pays tiers pour qu’ils puissent utiliser cette batterie. Une fois formés, ils se rendront en Ukraine avec la batterie pour l’exploiter ; ce ne sera pas du personnel américain qui s’en chargera. Et rien ne changera à cet égard… [Nous] ne cherchons pas à nous engager dans une guerre directe avec la Russie. Et rien ne changera à cet égard demain ».
Il s’agissait clairement d’une tentative de réduire le battage médiatique, pour ainsi dire. Moscou avait prévenu que si les États-Unis allaient de l’avant avec la fourniture de Patriot à l’Ukraine, il y aurait des « conséquences ».
Par ailleurs, le responsable américain a également réaffirmé que « le président [Biden] a été très clair depuis le début. Il n’en a pas démordu et n’en démordra pas demain, ni le mois prochain, ni l’année prochaine, que les États-Unis n’enverront pas de forces en Ukraine pour combattre directement les Russes. »
Au cœur de la visite de M. Zelensky se trouve la nécessité urgente pour l’administration Biden d’obtenir le soutien « bipartisan » et « bicaméral » du Congrès pour un financement supplémentaire de 45 milliards de dollars pour l’Ukraine.
Cela dit, lorsqu’on lui a demandé, lors de la conférence de presse conjointe avec M. Zelensky à la Maison Blanche, s’il était possible de fournir à l’Ukraine des missiles à longue portée qui pourraient frapper la Russie, M. Biden a admis sans ambages : » L’idée que nous donnions à l’Ukraine du matériel fondamentalement différent de ce qui existe déjà là-bas risquerait de faire éclater l’OTAN, l’Union européenne et le reste du monde… [Les alliés des États-Unis] ne veulent pas déclencher une troisième guerre mondiale… « .
« J’ai passé plusieurs centaines d’heures en tête-à-tête avec nos alliés européens et les chefs d’État de ces pays, et j’ai expliqué pourquoi il était dans leur intérêt, à une écrasante majorité, de continuer à soutenir l’Ukraine. Ils le comprennent parfaitement, mais ils ne cherchent pas à entrer en guerre avec la Russie. Ils ne cherchent pas une troisième guerre mondiale. »
Il s’agit d’une déclaration extraordinaire. En effet, bien que le voyage de Zelensky à Washington ait été chorégraphié comme une démonstration stratégique d’unité, les lignes de faille ne peuvent être occultées – une crainte latente que le soutien à Kiev puisse s’affaiblir à mesure que les combats se prolongent. En d’autres termes, l’argument selon lequel l’aide américaine à l’Ukraine ne doit pas être un « chèque en blanc » ne peut que prendre de l’ampleur au Congrès.
Biden prévoit que le conflit ukrainien sera un thème de campagne en 2024 et que des questions se poseront. Comme l’écrit The Hill, « les sceptiques soutiennent que les États-Unis n’ont pas d’intérêts vitaux en jeu en Ukraine, que l’afflux d’argent vers Kiev est excessif et pollué par la corruption, et que la guerre est une distraction par rapport à la pléthore de problèmes domestiques qui exigent de l’attention. »
De même, l’angoisse dans l’esprit des Européens est palpable : le commentariat anglo-saxon et les politiciens d’Europe du Nord et de l’Est imposent leur agenda. De manière significative, le président allemand Frank-Walter Steinmeier, un diplomate expérimenté, a eu un appel avec le président chinois Xi Jinping mardi, coïncidant avec le voyage de Zelensky à Washington.
Le compte-rendu chinois souligne qu’au cours de l’échange de vues sur l’Ukraine, Xi Jinping a exprimé son soutien à l’UE « dans la démonstration de son autonomie stratégique et dans la conduite de l’établissement d’une architecture de sécurité européenne équilibrée, efficace et durable afin de réaliser une paix durable et une stabilité à long terme sur le continent européen ».
Il est certain que le fait que la visite de M. Zelensky ait été marquée par une grande quantité d’armes et une absence totale de pourparlers de paix suscitera l’inquiétude à Berlin et à Paris, qui restent après tout le centre de gravité du débat sur la politique européenne. L’inquiétude grandit quant à l’ampleur de la question de la fin de la guerre en Ukraine.
Le fait est que la Russie semble déterminée à ne pas reculer et que les chances d’une victoire ukrainienne pure et simple relèvent du fantasme. Si le Patriot est une arme défensive destinée à prolonger l’impasse, Iskander est susceptible de changer la donne.
PAR M. K. BHADRAKUMAR
Indian Punchline