Il est impératif de critiquer les politiciens progressistes autoproclamés et d’analyser soigneusement leurs propos. Cela pourrait ouvrir la porte à des améliorations réelles de la politique, écrit Sam Husseini.
Dans son allocution du Nouvel An traitant de la création d’une commission exploratoire pour la présidence, la sénatrice Elizabeth Warren a soulevé un point important : « À l’heure actuelle, Washington fonctionne très bien pour les riches et les gens qui ont de bons contacts mais pas du tout pour les autres. »
Elle n’a pas dit « l’économie ne fonctionne pas bien » ou autre chose de ce genre, comme nous avons pu entendre de nombreux politiciens le dire maintes fois.
Elle a plutôt affirmé le contraire à plusieurs reprises : « Selon moi, Washington fonctionne très bien pour les grandes compagnies pharmaceutiques mais pas pour les gens qui essaient d’obtenir une ordonnance. Washington fonctionne très bien pour les universités privées à but lucratif et les organismes de prêts étudiants, mais pas pour les jeunes qui croulent sous l’endettement. Cette liste est interminable. Le problème que nous avons actuellement à Washington, c’est que tout marche très bien pour ceux qui ont de l’argent pour acquérir de l’influence. »
Au cas où quelqu’un n’aurait pas compris, elle l’a répété à nouveau : « Nous voulons un gouvernement qui ne travaille pas seulement pour les riches et les puissants. Nous voulons un gouvernement qui fonctionne pour tout le monde. »
Il est louable que Warren use de sa position et de ses capacités d’analyse pour éviter un piège rhétorique commun et qu’elle exprime l’évidence selon laquelle l’establishment fait largement le jeu des riches et de ceux ayant des relations lorsqu’il s’agit d’économie.
Silence sur ceux qui tirent profit de la guerre
Le problème, c’est qu’elle n’exprime pas cela de la même manière lorsqu’il s’agit de guerres sanglantes. Bien au contraire, sa liste de problèmes – les compagnies pharmaceutiques, les collèges à but lucratif et les établissements de prêts étudiants – omet ceux qui ont intérêt à ce que les guerres atroces se poursuivent.
Interrogée mercredi soir par Rachel Maddow au sujet de l’annonce récente de Trump concernant le retrait des troupes syriennes, Warren a déclaré que les guerres des États-Unis « ne marchaient pas ».
Elle n’a pas dit : « Les guerres fonctionnent très bien pour les entrepreneurs militaires, mais pas pour les citoyens ordinaires aux USA, en Syrie ou ailleurs. »
Warren, qui siège à la commission sénatoriale des forces armées, n’a pas dit : « Les guerres sont bonnes pour les riches qui en profitent, elles sont terribles pour les gens qui se font tuer. »
Au lieu de cela, Warren a en fait supprimée une partie de la rhétorique sur les guerres américaines ayant comme objectifs présumés la stabilité, les droits de l’homme ou la sécurité. Les bénéfices des entrepreneurs militaires ou des élites géopolitiques n’ont pas été examinés du tout.
Elle a dit qu’il était « correct » de retirer les troupes américaines de Syrie et d’Afghanistan, une position vraisemblablement positive, mais elle a ajouté : « Cela ne fonctionne pas, et prétendre qu’à l’avenir cela va fonctionner… c’est une forme de fantasme que nous ne pouvons tout simplement pas nous permettre de continuer à avoir. »
Ignorer les bellicistes
Mais une partie du fantasme consiste à ignorer totalement que les guerres fonctionnent vraiment très bien pour certains. En fait, si Warren entendait quelqu’un d’autre dire que « ça ne marche pas » au sujet de l’économie, elle les reprendrait probablement.
Warren a au moins le mérite d’avoir soulevé la question de ce que pourrait être le « succès » des guerres perpétuelles, ce qui est certainement mieux que la plupart des cols blancs de Washington. Les partisans de la guerre perpétuelle « doivent définir en quoi consisterait la victoire dans ces guerres, à quoi elle ressemblerait et comment la mesurer », a-t-elle dit.
Mais, à l’image de la plupart des membres de l’establishment politique américain, Warren n’examine pas vraiment les motifs sous-jacents : « Lorsque vous vous retirez, vous devez vous retirer dans le cadre d’un plan, vous devez savoir ce que vous essayez d’accomplir dans l’ensemble du Moyen-Orient et les pièces du puzzle doivent s’emboîter », a dit Warren, ajoutant que « c’est pourquoi nous avons besoin d’alliés ».
Quels alliés ? La France, la Grande-Bretagne et la Turquie – la puissance coloniale traditionnelle de la région ? Ou l’état d’Israël perpétuellement agressif et oppressif ? Ou l’Arabie saoudite tyrannique ?
Et ça c’est plutôt la question. La politique étrangère des États-Unis apparaît comme un gloubi-boulga – sans énoncé clair de ce qui est censé être accompli – parce que ses objectifs déclarés obscurcissent les objectifs réels.
L’idée que l’establishment américain entraîne le pays dans des guerres pour des raisons financières ou géopolitiques ultérieures doit être considérée comme la règle classique. Au lieu de cela, c’est très mal ficelé.
De toute évidence, les entrepreneurs militaires tirent profit des guerres.
Armes contre drogues
En effet, le pouvoir du « secteur de la défense » – euphémisme manifeste, semble être beaucoup plus important que celui des compagnies pharmaceutiques sur lesquelles Warren se concentre.
Selon OpenSecrets.org, les cinq principaux entrepreneurs militaires – Northrop Grumman, Boeing, Lockheed Martin, General Dynamics et Raytheon – ont plus que doublé leurs dépenses politiques par rapport aux cinq plus grandes sociétés du secteur pharmaceutique (14,4 millions de dollars contre 7,7 millions). Pour en savoir plus, voir les écrits de William Hartung, tels que « Corporate Patriots or War Profiteers ? » [Patriotes institutionnels ou profiteurs de guerre ?]
Plus grave encore, les objectifs géopolitiques de l’establishment américain reposent souvent sur la guerre même. Dahlia Wasfi a plaidé en 2015 dans Battling ISIS : Iran-Iraq war redux que « La stratégie officieuse d’Obama pour combattre l’état islamique est peut-être calquée sur celle de Ronald Reagan pour l’Iran et l’Irak dans les années 1980 : une guerre longue et prolongée pour renforcer l’hégémonie américano-israélienne dans cette région ». Voir aussi de Robert Naiman « WikiLeaks Reveals How the U.S. Aggressively Pursued Regime Change in Syria, Igniting a Bloodbath » ainsi que « Is U.S. Policy to Prolong the Syrian War ? » [« WikiLeaks révèle comment les États-Unis ont agressivement poursuivi le changement de régime en Syrie, provoquant un bain de sang » et « La politique des États-Unis est-elle de prolonger la guerre de Syrie ? »]
En 2015, le sénateur Bernie Sanders appelait de ses vœux une plus grande intervention saoudienne au Moyen-Orient en disant: Les Saoudiens doivent « se salir les mains ». Margaret Kimberley, David Swanson et moi-même l’avions critiqué pour cela.
Aujourd’hui, Sanders a pris les devants au Congrès en critiquant la guerre saoudienne au Yémen, ouvrant la porte à la possibilité d’un soulagement de cette immense souffrance. J’aimerais qu’il soit encore meilleur en matière de politique étrangère, mais il s’agit là peut-être d’un progrès important, bien que l’ACLU [American Civil Liberties Union : Union américaine pour les libertés civiles NdT] ait critiqué la résolution du Congrès.
Il est impératif de critiquer les politiciens présumés progressistes et d’analyser soigneusement leurs propos. Cela pourrait ouvrir la porte à des améliorations réelles de la politique, comme dans le cas de Sanders. Et dans le cas d’Elizabeth Warren, il s’agit simplement de lui demander de cesser d’occulter la guerre pendant qu’elle analyse les questions économiques.
Sam Husseini est un journaliste indépendant, analyste confirmé à l’Institute for Public Accuracy et fondateur de VotePact.org, qui encourage les démocrates et les républicains désenchantés à faire équipe. Suivez-le sur Twitter @samhusseini.
Source : Consortium News, Sam Husseini, 04-01-2019
Traduit par les lecteurs du site www.les-crises.fr. Traduction librement reproductible en intégralité, en citant la source.