Bien avant sa démission consécutive à l’intervention des forces de sécurité pour briser les sit-in des pro-Morsi, le vice-président Mohamed El-Baradei était sévèrement critiqué en raison de ses positions jugées trop conciliatrices à l’égard des Frères musulmans. Comme le montre déjà cet article d’Ahram Hebdo.
Depuis qu’il a affiché son opposition à la violence à l’encontre des manifestants islamistes qui campent toujours sur deux places au Caire et son souhait d’un processus inclusif où ces derniers auraient leur place, le vice-président intérimaire Mohamed El-Baradei est visé par un concert de critiques. L’accusation, classique, le dépeint comme un agent américain, sioniste, travaillant contre l’intérêt de son pays : la présidence de la République a dû réagir pour démentir des rumeurs selon lesquelles El-Baradei avait récemment visité Israël.
Ainsi, un présentateur de la chaîne Al-Tahrir a piqué une crise de nerfs et déchiré en direct une transcription d’une interview récemment parue dans le quotidien américain Washington Post où El-Baradei « n’a pas mentionné le terrorisme des Frères, et les agents d’Al-Qaïda qui pullulent à la place de Rabea », où les sympathisants de l’ex-président Mohamad Morsi sont en sit-in. Alors qu’un autre présentateur de la chaîne Orbit écoute avec approbation les diatribes d’un « chercheur » qui explique comment, en empêchant les forces de l’ordre de faire leur travail, El-Baradei exécute le plan des Américains qui misent toujours sur les Frères.
Pour d’autres, en exigeant une solution négociée à la crise, El-Baradei fait fi de la volonté des millions d’Égyptiens qui sont sortis dans la rue le 26 juillet manifester leur soutien au chef de l’armée pour en finir avec le « terrorisme ». « Beaucoup de ceux qui se sont joints tardivement aux révolutionnaires ont été motivés par leur hostilité contre les Frères musulmans », dénonce l’ancien député libéral Moustapha Al-Naggar.
Les accusations proviennent notamment de journalistes et de présentateurs, mais aussi d’anciennes figures politiques connues pour la plupart pour avoir été proches du régime de Hosni Moubarak. « Les Frères musulmans sont d’accord avec les nostalgiques de l’ancien régime sur une chose : tirer sur Mohamad El-Baradei. Pour les premiers c’est un traître, pour les seconds c’est une persona non grata. Parce que les uns veulent nous ramener au 29 juin 2013 (avant la chute de Morsi) et les autres au 24 janvier 2011 (avant celle de Moubarak) », note Emadeddine Hussein sur les pages du quotidien Al-Shorouk.
Les sympathisants d’El-Baradei craignent qu’après l’avoir utilisé pour légitimer la destitution de Morsi, certains dans les cercles du pouvoir ne veuillent le voir disparaître au plus vite. « Nous rejetons cette campagne manigancée par certains services et par les partisans de l’ancien régime de Moubarak. Ces diffamations ne tarderont pas à viser tous les jeunes et tous les symboles de la révolution dans l’espoir de rétablir l’État de la corruption et de l’oppression », réagit un porte-parole du mouvement du 6 avril. « El-Baradei restera la source de sûreté, un point de lumière dans une mer d’ombre. Un défenseur des principes », écrit sur son compte Twitter, Ahmad Maher, un activiste du même mouvement.
À son retour en Égypte en février 2010, El-Baradei a trouvé à son accueil des centaines de jeunes enthousiastes qui voyaient déjà en lui le symbole d’un changement auquel ils aspiraient. Il n’a pas tardé à s’attirer les foudres du régime décadent de Hosni Moubarak et de ses médias, pour avoir réclamé des réformes. Un an plus tard, El-Baradei n’a pas déçu les jeunes révolutionnaires en descendant dans la rue parmi eux. Aujourd’hui encore, même au pouvoir, il reste « la voix et la conscience de la révolution ».
La rage, la chose la plus facile
Lors d’une interview qu’il a accordée à la chaîne Al-Hayat, le vice-président El-Baradei a réitéré ses propos appelant à l’arrêt de la violence et au dialogue. « C’est facile de dire écrasons les Frères (…). Mais il n’y aurait pas de solution basée sur l’exclusion. Les salafistes, les Frères, les laïcs, les libéraux … sont condamnés à vivre ensemble », a-t-il dit. « Ils doivent continuer à faire partie du processus politique, ils doivent continuer à participer à la réécriture de la Constitution et à présenter des candidats pour les élections parlementaires et présidentielle », a-t-il insisté. Il a également considéré la possibilité d’accorder l’immunité aux dizaines de membres des Frères musulmans emprisonnés, en tête desquels l’ex-président Mohamad Morsi, « tant qu’ils ne sont pas impliqués dans des actes punis par la loi », précise-t-il.
Sur la chaîne Al-Hayat, le vice-président a souhaité en finir avec cette phase pour s’attaquer aux objectifs initiaux de la révolution, et « commencer à s’intéresser aux 40 % d’Égyptiens illettrés, qui ne mangent pas à leur faim et qui sont privés de dignité humaine ».
Contrairement à ceux qui considèrent que la « révolution » du 30 juin 2013, qui s’est soldée par la chute de Morsi, est venue liquider celle du 25 janvier 2011 qui a amené les islamistes au pouvoir, El-Baradei a affirmé qu’il n’y a eu qu’une révolution qui vient de se rectifier le tir.
Affirmant travailler en harmonie avec le chef de l’armée, le général Abdel-Fattah Al-Sissi, lequel « comprend bien la nécessité de trouver une issue politique à la crise », le vice-président a néanmoins regretté deux incidents : la fuite du contenu de la rencontre la semaine dernière de la chef de la diplomatie européenne Catherine Ashton avec l’ex-président Morsi, qui a été publié par un quotidien « au grand mécontentement de la diplomate », et les déclarations mensongères d’un membre du Conseil de sécurité national (organisme militaro-civil). Celui-ci a prétendu qu’El-Baradei avait menacé de démissionner si les sit-in des Frères sont dispersés par la force.
El-Baradei a mis en garde contre le sabotage de ceux qui « veulent nous faire revenir en arrière, aux temps du régime policier ». À en juger par ces deux incidents, ceux-ci ont une présence dans les hautes sphères de l’État.
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