Ils parlent de restaurer le califat légendaire des temps légendaires de l’Islam. Il serait plus juste de parler de canifat.
Ce n’est pas par la persuasion, ce n’est pas par l’amour, ce n’est pas par les urnes, ce n’est même pas par les armes qu’ils espèrent vaincre, c’est par la seule terreur qu’ils visent à étendre sur la terre.
Aux peuples vaincus, le vainqueur se présente volontiers sous son meilleur jour. Parce que le gagnant, dans l’euphorie de la victoire, pardonne plus aisément au perdant non seulement le mal qu’il lui a fait, mais les dommages qu’il a lui-même subis. Par tactique. Par calcul. Par politique. Parfois même – mais c’est plus rare – par humanité. Ou tout simplement par économie. Parce qu’il est plus intelligent et plus productif d’administrer un territoire conquis avec le concours des élites et des populations locales que sans elles et contre elles. Les Romains ne procédèrent pas autrement avec les Gaulois.
La France fit encore une fois, à son corps défendant, l’expérience d’un tel comportement à l’été 1940. Les actualités cinématographiques, les radios et les journaux sous le contrôle de l’occupant, tous les moyens de propagande que la technique mettait à sa disposition s’évertuèrent alors à donner un visage aussi avenant que possible à la Wehrmacht. Le soldat allemand, plus que « correct », venait en aide aux populations abandonnées, les ravitaillait, les protégeait, fraternisait, et une affiche restée célèbre montre en effet une petite fille dans les bras d’un militaire feldgrau, sous le regard reconnaissant d’une maman dont le mari, allez savoir pourquoi, est curieusement absent de cette scène attendrissante.
Au fil du temps et des années noires, les choses se détériorèrent comme on sait. La présence prolongée d’une armée étrangère sur notre sol, les prélèvements de toute sorte qu’elle opérait, les restrictions, les mesures coercitives prises contre telle ou telle catégorie politique ou raciale, les premiers actes de résistance, les sabotages, les attentats, l’évolution de la guerre modifièrent progressivement et profondément le tableau édifiant des débuts. Les murs se couvrirent de ces affiches qui, comme le chante Aragon, « cherchaient un effet de peur sur les passants ». Les arrestations, les rafles, les déportations, les exécutions se multiplièrent. Il n’en reste pas moins que, jusqu’à la fin, les autorités d’occupation et le gouvernement de Vichy cherchèrent à maintenir un semblant d’ordre public et social en invitant les Français à rester à l’écart du conflit et en leur garantissant sous cette seule condition la relative tranquillité que pouvaient leur laisser les alertes et les bombardements.
Il est tout à fait remarquable que même sous les pires dictatures du siècle passé, dans l’Allemagne nazie de Hitler, dans la Russie soviétique de Staline, dans la Chine « populaire » de Mao, les monstres qui accumulaient les victimes par millions ont toujours choisi de taire, de dissimuler, de minimiser ou de nier plutôt que de mettre en lumière les horreurs mêmes qu’ils perpétraient. Reste de respect humain, crainte, malgré tout, de réactions horrifiées de masses courbées par la crainte mais largement abusées et mystifiées par les mensonges d’une propagande qui chantait les réussites, les réalisations et la gloire du régime ? Il ne parut jamais dans le Volkischer Beobachter aucun reportage sur Auschwitz, dans la Pravda d’enquête sur le Goulag, dans le Quotidien du Peuple de témoignage sur le Lao Gai.
Les pratiques de l’État islamique en Irak et au Levant tranchent avec cette prudence et nous ramènent aux plus basses époques, aux pires épisodes de l’histoire de l’humanité. Comme les guerriers mongols de Gengis Khan et de Tamerlan, comme les Khmers rouges de Pol Pot, loin de cacher leurs crimes et leurs atrocités, les fous furieux qui combattent, meurent et tuent au nom d’Allah, ne se contentent pas de les avouer, ils les proclament, ils les mettent en scène, ils en font la base même de leur propagande, la matière de leurs vidéos, le scénario de leurs films, l’instrument de leurs futures victoires. Dans la dernière de leurs productions, visible sur le Net, Au son des épées, les djhadistes n’hésitent pas à se montrer tels qu’ils sont, sans peur et sans pitié, sans la moindre faille, sans la moindre faiblesse, sans le moindre sentiment, passant indifféremment au fil de leurs kalachnikovs et de leurs couteaux militaires et civils, ceux qui les combattent comme ceux qui se rendent, comme ceux qui implorent leur pitié, comme ceux dont la tête, la profession, la religion, l’attitude, l’origine ne leur agréent pas, multipliant et filmant les exécutions de masse, les décapitations et les égorgements. Ces animaux ont une face humaine qu’ils tentent avec succès de faire disparaître sous les turbans qui leur font un front bas, sous les cagoules et sous les barbes qui les font ressembler à des ogres, à des bêtes féroces. Ils parlent de restaurer le califat légendaire des temps légendaires de l’Islam. Il serait plus juste de parler de canifat.
Ce n’est pas par la persuasion, ce n’est pas par l’amour, ce n’est pas par les urnes, ce n’est même pas par les armes qu’ils espèrent vaincre, c’est par la seule terreur qu’ils visent à étendre sur la terre, à l’ombre de leur drapeau noir, un empire de peur, de mort et de nuit.
Source : Boulevard Voltaire