Dans sa critique la plus virulente du Premier ministre israélien Benjamin Netanyahou, l’ancien Premier ministre Ehud Olmert a lancé une série d’accusations dans une tribune publiée dans le journal israélien Haaretz. M. Olmert s’est joint à d’autres voix israéliennes qui accusent leur chef de file de détruire le pays. Ses propos sont cependant les plus forts et les plus élaborés de toutes les critiques. Sa première accusation à l’encontre de M. Netanyahou porte sur « l’action délibérée pour prolonger la guerre » à Gaza. « Le désir de faire durer les combats sans préciser de date de fin est la raison pour laquelle des objectifs précis n’ont pas été fixés pour les forces de combat.
Ehud Olmert*
J’accuse le Premier ministre israélien, Benjamin Netanyahou, de prendre des mesures délibérées pour prolonger la guerre entre Israël et les organisations palestiniennes. La volonté de faire durer les combats sans préciser de date de fin est la raison pour laquelle des objectifs précis n’ont pas été fixés pour les forces de combat.
J’accuse le premier ministre israélien d’avoir l’intention d’étendre la guerre et d’engager une confrontation militaire directe et totale avec le Hezbollah dans le nord, au lieu de parvenir, avec la médiation de la France et des États-Unis, à un accord avec le gouvernement libanais qui mette fin au conflit violent actuel et permette aux dizaines de milliers d’habitants du nord d’Israël qui ont été déplacés par les combats de rentrer chez eux.
J’accuse le premier ministre israélien de prendre des mesures délibérées visant à provoquer une flambée de violence généralisée en Cisjordanie, sachant que cela déclencherait l’expansion des crimes de guerre contre les Palestiniens qui ne sont en aucune façon impliqués dans le terrorisme. De tels crimes sont déjà commis par de nombreux Israéliens ; il ne s’agit généralement pas de conscrits militaires, mais plutôt de milices privées composées de voyous portant des armes qui, dans la plupart des cas, leur ont été remises – dans le cadre d’un processus douteux qui nécessite un examen juridique – à l’initiative d’Itamar Ben-Gvir. Ces armes servent à nombre d’entre eux dans leurs émeutes et les protègent lorsqu’ils brutalisent les Palestiniens : en brûlant leurs biens et en détruisant les champs qui sont une source de vie et de subsistance, ainsi qu’en tuant directement des innocents.
J’accuse le premier ministre israélien d’avoir délibérément abandonné les otages israéliens toujours détenus par les assassins du Hamas. Son refus de parvenir à un accord qui permettrait à tous les otages de rentrer en Israël est fondé sur l’argument selon lequel cela empêcherait une victoire totale sur le Hamas. Mais la victoire totale n’est pas une option aujourd’hui et elle ne l’a pas été depuis le jour où le premier ministre l’a présentée pour la première fois. Il s’agissait d’un objectif impossible à atteindre qui permettrait au premier ministre, à tout moment, de rejeter la responsabilité de l’échec sur l’armée et les forces de combat en général, et sur la personne qui les dirige, le lieutenant-général Herzl Halevi, en particulier. Le chef d’état-major des forces de défense israéliennes porte une grande responsabilité dans l’horrible échec du 7 octobre et, avec le courage qui a caractérisé tous ses actes depuis qu’il a revêtu l’uniforme pour la première fois, il a regardé la nation d’Israël dans les yeux et a admis sa responsabilité, ainsi que son devoir de tirer des conclusions personnelles de cette responsabilité au moment opportun.
Le premier ministre, qui, par l’intermédiaire de ses substituts, des membres de sa famille et de ses porte-parole dans les différents médias, mène systématiquement une campagne contre les dirigeants militaires, sécuritaires et politiques qui ne sont pas attentifs à chacun de ses mots, ne fait pas la chose évidente et naturelle que l’on attend de la personne qui, pendant de nombreuses années, a été la force dominante dans la définition des priorités militaires, sécuritaires et diplomatiques d’Israël. Il diffuse du poison, de l’incitation, du mépris et tente de saper la confiance du peuple d’Israël dans les commandants qui dirigent les forces de combat en temps de guerre.
J’accuse le premier ministre d’Israël de mettre délibérément en danger la vie des soldats, dans l’intention manifeste de les exposer à des dangers qui se soldent presque quotidiennement par des pertes humaines. Cela est dû à son refus de définir les objectifs des combats et de fixer des calendriers pour leur réalisation, ou de discuter de la manière dont la bande de Gaza et la Cisjordanie seront gouvernées lorsque les batailles prendront fin.
J’accuse le premier ministre d’avoir formé un cabinet de sécurité composé d’un rare assortiment de personnes dépourvues de compétences, d’expérience ou de compréhension du système très complexe qui est censé fournir d’innombrables services et traiter d’innombrables problèmes. Ce gouvernement favorise clairement les intérêts personnels des ministres et des partis qu’ils représentent, ainsi que les intérêts des groupes de population connus pour soutenir le gouvernement, tout en ignorant la répartition égale du fardeau – l’un des principes fondamentaux de tout État démocratique, en particulier à un moment où une partie importante de la population s’effondre sous le joug et les difficultés créées par la guerre, tandis qu’une autre partie refuse de porter une partie du fardeau. Et tout cela parallèlement à la gestion manipulatrice et corrompue des ressources et des biens de l’État.
‘L’économie s’effondre, les services publics s’effondrent, des régions entières du pays sont désertées et le gouvernement n’a aucun plan et n’a fait aucun effort pour créer une réponse qui pourrait améliorer la situation et susciter une lueur d’espoir.’
La conséquence de ce misérable ensemble de membres du cabinet est un effondrement sans précédent de tous les services dont le public a besoin dans des circonstances normales, et surtout dans les circonstances très exceptionnelles dans lesquelles nous nous trouvons depuis octobre 2023. L’économie s’effondre, les services publics s’effondrent, des régions entières du pays sont désertées et le gouvernement n’a aucun plan et n’a fait aucun effort pour créer une réponse qui pourrait améliorer la situation et susciter une lueur d’espoir.
J’accuse le premier ministre israélien d’avoir délibérément tenté de détruire le tissu sensible des relations, vitales pour la sécurité d’Israël, avec les pays arabes qui sont liés à Israël par des accords de paix, principalement l’Égypte et la Jordanie. L’État affiche un mépris public pour les sensibilités sécuritaires de l’Égypte dans la zone de Rafah et sur la route Philadelphie, tout en sachant que Le Caire est susceptible de réagir en endommageant le format des relations qui existent entre les deux pays depuis des décennies. Ces relations constituent une infrastructure essentielle pour la sauvegarde des intérêts d’Israël en matière de sécurité. Le manque de respect pour l’Autorité palestinienne et les violences perpétrées sur les résidents palestiniens de Cisjordanie sous le regard des forces de sécurité – en particulier les forces directement subordonnées aux ministres Ben-Gvir et Bezalel Smotrich – pourraient déclencher une crise dramatique dans les relations avec la Jordanie. Une telle crise était déjà imminente. Le gouvernement le sait, le Premier ministre le sait, mais ils refusent de prendre les mesures nécessaires pour contrecarrer un mouvement qui vise à perturber la vie des résidents palestiniens de Cisjordanie, à avancer la possibilité de les déporter et à permettre l’annexion des territoires à Israël, sous l’inspiration de Ben-Gvir, Smotrich et de leurs partisans.
J’accuse le premier ministre d’Israël d’empêcher délibérément l’établissement d’un nouvel axe régional basé sur un partenariat entre les États arabes modérés tels que l’Égypte, la Jordanie, les Émirats arabes unis, le Bahreïn et l’Arabie saoudite, et éventuellement d’autres pays musulmans au-delà du Moyen-Orient. Une proposition de normalisation des relations, de paix et de coopération militaire et politique entre ces États et Israël est à l’ordre du jour depuis les événements d’octobre. L’État d’Israël, sous l’inspiration, l’orientation et la direction du Premier ministre, a fait échouer toute possibilité de parvenir à un tel accord, malgré son importance stratégique considérable pour la sécurité du pays et sa capacité à faire face à la menace iranienne.
J’accuse le premier ministre israélien d’avoir délibérément tenté de détruire l’alliance politique, sécuritaire et militaire entre Israël et les États-Unis. L’aspect stratégique des relations entre Israël et les États-Unis n’a pas commencé avec la création de l’État. Il s’est construit au cours d’un processus long et prolongé qui a pris un tournant après la guerre des Six Jours. Depuis lors, les États-Unis sont devenus le partenaire, l’allié et le soutien d’Israël, lui fournissant une aide et des équipements d’une ampleur et d’une intensité sans précédent dans notre courte histoire et qui font également exception au modèle des relations de l’Amérique avec d’autres États au cours des dernières générations. Pendant de nombreuses années, la stabilité politique d’Israël sur la scène internationale a reposé sur le soutien absolu des États-Unis. En 1973, au plus fort de la guerre du Kippour, c’est l’Amérique qui nous a envoyé de l’aide dans le cadre d’un pont aérien qui, de l’avis de beaucoup, a permis de mettre fin à la guerre dans ce qu’Israël a qualifié à l’époque de victoire écrasante. Depuis lors, les États-Unis ont fourni à Israël des milliards de dollars d’aide chaque année. L’ensemble de l’armée de l’air israélienne repose entièrement sur des appareils américains : avions de chasse, avions de transport, avions ravitailleurs et hélicoptères. Toute la puissance aérienne d’Israël repose sur l’engagement américain à défendre Israël. Nous n’avons pas d’autre source fiable pour les fournitures essentielles d’équipements, de munitions et d’armes de pointe qu’Israël ne peut pas fabriquer lui-même. Ces derniers mois, des centaines d’avions de transport américains ont atterri sur les bases de l’IAF, transportant des milliers de tonnes d’équipements et de munitions militaires avancés et vitaux.
Les accusations lancées par le Premier ministre à l’encontre des Américains, selon lesquelles ils retardent la livraison de matériel militaire et, par conséquent, la victoire totale d’Israël, ne sont rien d’autre qu’une provocation irresponsable. Tout au long de cette guerre, le président américain Joe Biden a démontré son engagement illimité en faveur d’Israël et de sa sécurité. Même en ce qui concerne les otages, on peut constater l’énorme différence entre le premier ministre israélien et le président américain. Alors que le premier utilise des tactiques d’incitation, de provocation, de mépris et de rejet à l’encontre des membres des familles des otages et des victimes qui ne sont pas d’accord avec ses décisions – même s’il s’agit de membres de son propre peuple, dont il est responsable de la situation – Joe Biden les a tous accueillis avec amour et a fait preuve du dévouement et de l’émotion d’un véritable ami comme personne d’autre.
‘Chaque jour supplémentaire où cet homme maudit continue d’assumer la responsabilité nominale de la gestion de l’État est un jour qui pose un danger concret pour son avenir et son existence.’
À l’époque où Israël était concrètement menacé par l’Iran, les porte-avions américains sillonnaient les eaux du Moyen-Orient. Lorsque des missiles iraniens ont été tirés depuis la région du Yémen, ils ont été neutralisés par les forces américaines. Lorsque l’Iran a décidé de riposter à l’assassinat en Syrie d’un membre des gardiens de la révolution (bien qu’Israël n’ait jamais revendiqué cet acte), l’Amérique et, par conséquent, la Grande-Bretagne, la France et les États arabes ont été en première ligne de la défense d’Israël. Le Congrès a approuvé un programme d’aide de plusieurs milliards de dollars pour Israël, en plus d’une aide annuelle de près de 4 milliards de dollars. Depuis la création de l’État, il n’y a pas eu de précédent en termes d’ampleur, de force et d’impact sur le champ de bataille. Netanyahou tente à présent de faire voler en éclats tout ce système complexe. Ses démonstrations de vantardise et d’arrogance à la télévision, dans lesquelles il critique le président des États-Unis et ses actions, sont une performance magistrale d’irresponsabilité, de perte de sang-froid et de mépris pour les besoins les plus élémentaires d’Israël, ainsi qu’une tentative calculée de saboter la campagne de réélection de M. Biden.
Pour chacune de ces accusations, Netanyahou doit être jugé par le tribunal du peuple d’Israël. Cela ne doit pas être retardé. Chaque jour supplémentaire où cet homme maudit continue d’assumer la responsabilité nominale de la gestion de l’État est un jour qui pose un danger concret pour son avenir et son existence.
Netanyahou ne veut pas que la guerre prenne fin, il ne veut pas que les otages rentrent chez eux vivants et il ne veut pas d’un accord dans le nord qui permette aux habitants de rentrer chez eux. Il ne veut pas que cessent les mauvais traitements et les meurtres des résidents palestiniens de Cisjordanie. M. Netanyahou veut une guerre sans fin tout en affaiblissant les relations d’Israël avec ses voisins et avec les États-Unis.
Netanyahou veut détruire Israël, rien de moins. Le temps est venu de l’expulser.
Ehud Olmert
*Ehud Barak est un ancien Premier ministre israélien. Il avait déclenché la guerre contre le Liban en 2006 qui s’était soldée par une défaite cuisante de l’armée israélienne face à la résistance libanaise conduite par le Hezbollah.
Haaretz – 26 juin 2024
Traduit par Brahim Madaci