Des opposants au président égyptien Mohamed Morsi se pressaient devant son palais mardi après avoir franchi un barrage gardé par l’armée, à quelques kilomètres d’une manifestation de partisans du chef de l’Etat islamiste.
Dans l’après-midi, plusieurs centaines de manifestants ont réussi à franchir sans heurts un barrage de blocs de béton et de barres de métal, installé pour protéger le complexe présidentiel à Héliopolis, dans la banlieue du Caire. Ils ont ainsi pénétré dans le périmètre de sécurité du palais présidentiel, à l’extérieur du bâtiment, lui-même protégé par des murs de plus de quatre mètres de haut, des soldats et des chars. »Les gens qui se sont sacrifiés pour se débarrasser d’une dictature laïque vont se retrouver avec une dictature islamiste, et c’est pire », a expliqué Miral Brinjy, une manifestante d’une vingtaine d’années. Emmenée par le Front du salut national (FSN), l’opposition manifestait également sur la place Tahrir, haut lieu de la contestation dans le centre de la capitale. Le FSN, qui rassemble des partis et groupes de tendance majoritairement libérale et de gauche, a rejeté le référendum de samedi et le projet de Constitution qui doit être soumis au vote, estimant que le texte ouvrait la voie à une islamisation accrue de la législation et manquait de garanties pour les libertés. Dans un communiqué, Amr Moussa, ancien patron de la Ligue arabe et figure du FSN, a fait part de sa « position et de celle du Front qui est de reporter ou d’annuler le référendum ». En face, le camp islamiste, qui soutient M. Morsi, était rassemblé à Nasr City, à quelques kilomètres du palais présidentiel. Plusieurs dizaines de milliers de personnes défilaient près de la mosquée Rabaa, certains brandissaient des drapeaux égyptiens et saoudiens, selon un journaliste de l’AFP. »Je suis ici pour soutenir la Constitution et la stabilité qu’elle va nous apporter », a affirmé un manifestant, Ahmed Hassan, se disant favorable à « la loi islamique ». Ces manifestations concurrentes font redouter de nouveaux affrontements, après des accrochages entre opposants et partisans de M. Morsi qui ont fait 7 morts et des centaines de blessés dans la nuit du 5 au 6 décembre près de la présidence. Aux petites heures du matin mardi, onze personnes ont été blessées lorsque des inconnus ont ouvert le feu à la chevrotine et ont lancé des cocktails Molotov sur des manifestants sur la place Tahrir, selon le ministère de la Santé. Par un décret pris lundi, M. Morsi a rendu à l’armée le pouvoir d’assurer l’ordre et d’arrêter des civils, jusqu’aux résultats du référendum. Ce droit très décrié rappelle la période où les militaires ont dirigé le pays, entre la chute de Hosni Moubarak en février 2011 et l’élection du nouveau président en juin. Cette décision remet au premier plan l’influente armée égyptienne, qui se faisait discrète depuis la mise en retraite en août de son chef, le maréchal Hussein Tantaoui. L’armée était réapparue dans le jeu politique samedi pour exiger un « dialogue » pour sortir de la crise actuelle. L’institution militaire s’est posée en garante de la stabilité du pays, en mettant en garde contre un « désastre » qu’elle ne « laisserait pas faire ». Des organisations de défense des droits de l’Homme comme Amnesty International ou Human Rights Watch ont dénoncé le risque de violations des droits de l’Homme comme celles qui avaient marqué la période où l’armée assurait le pouvoir de transition. La crise qui traîne en longueur ne fait qu’agraver l’incertitude qui pèse sur l’économie égyptienne. Et mardi, le gouvernement égyptien a décidé de geler sa demande d’aide de 4,8 milliards de dollars auprès du Fonds monétaire international (FMI) en raison des troubles. »Nous avons demandé officiellement le report d’un mois des négociations avec le FMI, en raison de la situation politique dans le pays », a déclaré le Premier ministre, Hicham Qandil. A Washington, le FMI a assuré qu’il restait « prêt » à soutenir l’Egypte. Les autorités du Caire et les équipes du FMI s’étaient mises d’accord fin novembre sur ce plan d’aide qui devait encore être approuvé par le conseil d’administration du Fonds d’ici à la fin de l’année.
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L’armée revient au premier plan, avec de gros risques
L’armée égyptienne, discrète depuis plusieurs mois, est revenue au premier plan à la faveur de la crise politique que traverse le pays, mais sa volonté affichée de rester neutre risque d’être mise à l’épreuve par le rôle de gendarme qui lui a été confié. Le ministre de la Défense et commandant des forces armées, Abdel Fattah al-Sissi, a appelé toutes les parties à un « dialogue » mercredi, plaçant l’institution militaire en pointe dans les efforts pour sortir de l’impasse. Dans des déclarations antérieures à cette décision, le général al-Sissi a promis que les militaires feraient preuve « d’une totale équité pour protéger la sécurité et la stabilité de la nation », et rempliraient leur rôle « sans tenir compte des pressions ». Le président islamiste Mohamed Morsi a ordonné lundi à l’armée d’assurer, avec la police, la sécurité d’ici à l’annonce des résultats du référendum constitutionnel de samedi, qui divise profondément le pays. Mais il a pour cela autorisé les militaires à arrêter des civils, un pouvoir très décrié durant la période de transition sous la direction de l’armée, entre la chute de Hosni Moubarak en février 2011 et l’élection de M. Morsi en juin 2012. Des organisations de défense des droits de l’Homme y voient un risque de répétition des violations des droits de l’Homme commises par les militaires durant la transition. L’armée joue, directement ou indirectement, un rôle capital depuis le renversement de la monarchie en 1952. Les quatre premiers présidents du pays – Mohammed Naguib, Gamal Abdel Nasser, Anouar el-Sadate et Hosni Moubarak – sont sortis de ses rangs. Elle a en outre accumulé un immense et opaque patrimoine économique. M. Morsi, issu des Frères musulmans, est le premier civil à occuper la présidence. D’abord placé sous étroite surveillance des généraux, il avait réussi à reprendre la main en août en mettant à la retraite le puissant chef de l’armée, le maréchal Hussein Tantaoui. Longtemps protégée des péripéties politiciennes grâce à des présidents acquis à sa cause, l’armée, qui s’est vu remettre le pouvoir par M. Moubarak, a dû s’impliquer directement dans la gestion du pays pendant 16 mois. »Sous la houlette de Tantaoui, elle a géré la période de transition et a exercé le pouvoir exécutif et législatif pendant plus d’un an. Elle s’est directement impliquée dans la vie politique », souligne Amr Rabie, de l’Institut d’études politiques et stratégiques al-Ahram. »Morsi a oeuvré pour la ramener à son rôle d’armée professionnelle, mais ces derniers jours ont montré qu’elle cherche encore à jouer un rôle politique », ajoute-t-il. Samedi, l’armée a sommé toutes les parties de « dialoguer » pour trouver une issue à la crise. Elle a laissé pointer la tentation d’être un recours, en affirmant qu’elle ne laisserait pas faire si l’impasse politique devait conduire à un « désastre ». Reste à savoir quel parti elle prendrait – celui du président islamiste ou celui de ses adversaires laïques-, en cas d’aggravation des tensions. »Il est difficile de savoir la réaction de cette institution » où règne le culte du secret, affirme M. Rabie. La prise de position de l’armée met toutefois une « énorme pression sur M. Morsi », contraint de voir la puissante institution refaire surface et de l’appeler à la rescousse pour maintenir l’ordre. L’analyste politique Emad Gad observe quant à lui que « l’armée affirme rester neutre, sauf que la situation dans le pays aujourd’hui est identique à celle d’avant la chute de Moubarak », quand l’armée avait refusé d’employer la force contre les protestataires. »Au cas où il y aurait des violentes confrontations et surtout si le sang coule dans la rue, l’armée va certainement devoir intervenir », affirme-t-il, car « que le président soit élu démocratiquement ou pas, il est de son devoir de chercher à préserver la sécurité et maintenir l’ordre ». Avec le risque que l’armée doive reprendre à zéro la transition amorcée après la chute de Moubarak, si elle était amenée de nouveau à contrôler le pays. « Elle aurait à gérer une nouvelle période de transition, avec une nouvelle feuille de route », souligne M. Gad.
Assawra (11 Décembre 2012 – Avec les agences de presse)