Le retour d’Ahmad Chafiq à la course, 24 heures après son élimination par la commission officielle, a déclenché un débat juridique et politique sur le sort des élections présidentielles prévues les 23 et 24 mai.
« Chaos judiciaire », « Scandale », « Jeu politique », c’est ainsi que des juristes et des politologues ont qualifié le retour inattendu d’Ahmad Chafiq à la présidentielle après son exclusion. Dernier chef de gouvernement du président déchu Moubarak, Chafiq dont la candidature avait été à peine invalidée par la commission électorale mardi 24 avril, a été autorisé le lendemain soir à participer à la course présidentielle. Une décision qu’Ahmad Sarhane, porte-parole de sa campagne électorale, qualifie de « retour à l’État de droit et aux principes de la démocratie ».
Pourtant pour les Frères musulmans, il s’agit d’un défi à la volonté du peuple et une transgression flagrante de la loi. « La commission électorale n’est pas un tribunal pour faire des lois ou rendre des verdicts, c’est une instance chargée uniquement d’examiner la conformité des dossiers de candidatures aux règles établies par la Déclaration constitutionnelle et à la loi de l’élection présidentielle », indique Abdel-Moneim Abdel-Maqsoud, avocat de la confrérie.
Avis partagé par le député du parti islamiste modéré Al-Wassat, Essam Soltan. Celui-ci est l’auteur du projet de loi qui prive les symboles de l’ancien régime de toute activité politique pendant dix ans. Il qualifie le retour de Chafiq de « scandale juridique et constitutionnelle », se demandant si une telle commission sera digne de confiance quand il s’agit de décompter les voix des électeurs.
L’affaire a commencé par une décision de la commission électorale d’écarter Chafiq en vertu des récents amendements sur la loi de l’exercice des droits politiques. Cette loi de « quarantaine politique » a été hâtivement présentée au Parlement par le député islamiste, Essam Soltan, suite à l’annonce de la candidature de l’ex-chef des services de renseignements, Omar Soliman. En deux jours, le Parlement à majorité islamiste, craignant le retour des piliers du régime Moubarak, et en dépit des failles critiquées par les juristes concernant l’inconstitutionnalité de ce projet de loi, a approuvé la loi. Ce nouveau texte stipule l’interdiction à l’ancien président de la République, au vice-président, au premier ministre, au président du Parti national démocrate (PND), parti de Hosni Moubarak maintenant dissous, au secrétaire général ou aux membres de son bureau politique d’exercer des droits politiques pendant dix ans. La loi vise les personnes ayant occupé l’un de ces postes pendant les dix ans précédant le 11 février 2011, date de la chute de Moubarak.
Avant de la ratifier, le pouvoir militaire avait déjà demandé à la Haute cour constitutionnelle (HCC) qu’elle se prononce, mais elle avait refusé en expliquant qu’elle ne pouvait statuer sur une législation qu’après son entrée en vigueur. Le Conseil suprême des forces armées a fini par ratifier la loi.
La commission de la présidentielle a donc disqualifié Chafiq à qui s’appliquent les conditions d’exclusion mentionnées par cette loi entrée en vigueur. Ce dernier a fait appel estimant que lorsque la loi est entrée en vigueur, la commission avait déjà examiné et accepté son dossier de candidature. Un appel qui se base sur l’article 20 de la Déclaration constitutionnelle n’autorisant pas la rétroactivité des lois. Dans le mémorandum présenté à la commission électorale, les avocats de Chafiq ont également refusé la mise en application de la loi avant de consulter la HCC.
La commission a accepté la logique, décidant à la fois de réadmettre le candidat Ahmad Chafiq, en attendant que la cour statue sur la constitutionnalité de l’amendement à la loi électorale. Le secrétaire général de la commission de l’élection présidentielle, Hatem Bégato, a affirmé à la presse qu’une nouvelle exclusion de Chafiq était probable en cas de la ratification par la HCC de la loi de l’isolement politique. « La décision prise ne visait pas à faire retourner Chafiq à la course présidentielle, mais à suspendre son exclusion en attendant la décision de la Haute Cour », a-t-il déclaré.
Reste l’implication la plus sérieuse de cet imbroglio juridique, celle qui concerne le sort de l’élection présidentielle : si la loi s’avère constitutionnelle, les résultats de l’élection – à laquelle aura participé un candidat qui devrait être banni – pourront facilement être mis en cause, voire invalidés.
Le politologue Hassan Nafea trouve que cette situation chaotique est l’issue normale des politiques inconsistantes adoptées tout le long de la période transitoire. « S’il y avait eu une sincère volonté de protéger la révolution dès le début, le Conseil militaire aurait modifié et adopté cette loi excluant les symboles de l’ancien régime sans attendre jusqu’à la dernière minute pour le faire sous la pression de la rue », estime-t-il.
Source : Ahram hebdo (30 avril 2012)