Perchée sur un petit village de montagne, l’œil résolument tourné vers la Méditerranée, Nadia Sari-Bey est tout un mélange. De son Algérie natale, elle garde la chaleur, le sel, le goût pour l’orfèvrerie. Dans sa France d’aujourd’hui, elle a apprivoisé la glace, la technique, le brillant. La création de l’association Paraf autour de l’artisanat s’est imposée à elle, avec douceur et force, comme une évidence. Entretien.
Paraf veut être un trait d’union entre l’Algérie et la France. Vous pensez que ces pays en ont besoin ?
Ils ont besoin d’une histoire plus humaine. L’Algérien est particulier, même par rapport à ses confrères tunisiens ou marocains. Sa vivacité est singulière. Il conserve une espèce d’humour permanent, même dans le tragique. Il a appris à se placer au-dessus de la barbarie du monde. Je voudrais que les Français apprennent à connaître cet Algérien-là. Ils en sont toujours un peu loin.
L’exercice est un peu difficile, non ?
Il y a un côté viscéral chez l’Algérien qui peut être dérangeant pour un Français. Il n’est pas toujours facile de vivre les préjugés. Il faut nous montrer plus intelligents, plus performants, plus constructifs en matière d’humanité. Il y a eu beaucoup de malheurs dans cette histoire entre l’Algérie et la France, mais aujourd’hui, on est là pour essayer de faire autrement. La langue nous réunit, même si le français n’est pas aussi florissant en Algérie qu’il y a quelques années. J’ai grandi en arabe, mais j’ai un attachement pour cette langue française. Il faut combiner, équilibrer ces deux côtés,
Paraf est donc née en France, à Aiguilles…
J’aime cette naissance parce que, pour moi, Aiguilles est au centre du monde. Avec le Partenariat Algérie France, j’ai l’impression de réinvestir cette langue arabe que j’oublie de pratiquer faute d’interlocuteurs algériens autour de moi. L’association est née en France mais avec cette coloration algérienne que j’aime, un côté rigueur et plein de promesses.
Quel est son objectif ?
Arriver à toucher les jeunes, majoritaires en Algérie, leur donner des outils, des moyens d’aller de l’avant. Faire qu’ils prennent conscience qu’ils sont vivants et capables de se prendre en main. Ces jeunes vivent une blessure aveugle, presque inconsciente. Ils sont dans une espèce d’ignorance d’eux-mêmes, de ce qu’ils sont, de la place qu’il devrait avoir dans une société dont ils sont les premiers acteurs. Ils doivent croire en eux. La liberté de penser passe avant celle de parler. Je voudrais aussi amener un public français à se rendre compte du potentiel encore très méconnu qui existe en Algérie. C’est cette espèce d’alchimie des deux qui me plaît, quelque chose de l’ordre de l’humain. L’humain m’intéresse énormément.
Concrètement, vous pensez à quel projet ?
Je viens de Tlemcen, une ville au patrimoine culturel extrêmement riche, qui a eu ses tisseurs, ses orfèvres, etc. Or tout ce qui est artisanal, qui vient de la main se délite, devient moribond puis disparaît. La première action de Paraf sera de récupérer ce savoir-faire, répertorier ces artisans dont le nombre s’amenuise et mettre en place, avec des artisans de France, des ateliers et des formations à destination de jeunes. Il importe de réhabiliter les objets artisanaux, leur donner une nouvelle histoire, faire la jonction entre la tradition et le moderne, et rétablir une certaine économie dans ces lieux. Par l’échange, il s’agit de valoriser les artisans des deux rives et, pourquoi pas, amener des investisseurs et des professionnels du tourisme à s’intéresser à ce qui se passe en Algérie. L’idée de mettre en vitrine tout ce travail, d’exposer ces objets, bijoux, tapis, etc., dans des endroits déshérités, le Sud par exemple, est essentielle. Car toutes ces actions ne sont pas solitaires, elles s’enchaînent. Chaque action appelle une autre action. La relation entre l’Algérie et la France est toujours en construction. Je ne fais que passer, effleurer quelques petites têtes. D’autres prendront invariablement le relais. Et c’est tant mieux.
Contact : association.paraf@gmail.com