Arrêté le 28 octobre dernier et transféré dans la funeste prison de Kahrizak (sud de Téhéran), le blogueur iranien Sattar Beheshti, 35 ans, a été retrouvé mort une semaine plus tard dans sa cellule.
DOCUMENT – La traduction du dernier post de Sattar Beheshti :
Cela fait un certain temps que le régime islamique [la République islamique d’Iran, NDLR], en usant de toutes sortes de mesures répressives, incluant la torture et la menace d’exécution, a accentué la pression sur les activistes iraniens indépendants pour les empêcher d’exprimer leurs vues sur les affaires courantes du pays ! Un régime qui, sur une base quotidienne, pose toutes sortes de problèmes aux militants indépendants. Menaces par e-mails, filtrage des médias sur Internet, arrestation de gens en pleine rue, représentent le minimum de ce que réalise chaque jour ce régime.
Pas plus tard qu’hier, ces agents m’ont annoncé que ma mère devrait bientôt revêtir ses habits de deuil. « Tu devrais fermer ta gueule », m’ont-ils averti. « Je n’en ai pas besoin », leur ai-je répondu. « Tu es trop bavard », ont-ils objecté. « J’écris juste ce que je vois et entends », ai-je insisté. « Nous ferons de toi tout ce dont on a envie », ont-ils poursuivi. « Mais tu la fermeras pour de bon, ou alors pour toujours, dans l’anonymat le plus total ! Sans que personne sache ce qu’il t’est arrivé. » Ils m’ont alors répété que d’autres comme moi, « les peuples palestiniens et bahreïnis, demeurent dans la détresse, sans que cela émeuve qui que ce soit. Or, toi, tu es un traître pour ton pays ! »
Non, je ne suis pas un traître. Ni moi ni mes semblables. Nous adorons notre pays et notre peuple, et s’il y a des traîtres ici, c’est vous. Les coups de téléphone menaçants ne cessent de nous perturber, jour et nuit, comme si nous n’avions aucun autre choix que de nous taire. Je ne dis pas ça en tant que traître, mais en tant qu’Iranien : je ne peux me taire face à toute cette tragédie ; j’ose dire aujourd’hui que vous, messieurs, êtes ceux qui sont trop bavards. Vous êtes ceux qui, avec vos conneries quotidiennes, conduisent le pays chaque jour plus vite vers le désastre. Je ne resterai pas silencieux, même si la mort se profile à l’horizon. Les menaces, d’où qu’elles viennent, ne fonctionnent plus.
Propagande iranienne
Je ne resterai pas silencieux, peu importe où je serai conduit. C’est vous, messieurs, qui aurez à vous taire. Mettez fin à vos injustices et j’arrêterai de les dénoncer. Le régime islamique ne cesse d’insister sur la tragédie des peuples de Palestine et de Bahreïn, ainsi que celle d’autres pays, en dénonçant le manque d’informations et de soutien pour eux. Mais il ne pipe mot au sujet de la propagande que sa propre télévision diffuse, de manière si professionnelle. Ainsi, ce sont films et reportages à outrance qui évoquent la prétendue tragédie des peuples de Palestine et de Bahreïn. Ils visent à lobotomiser notre peuple. Mais en réalité, la propagande est si outrancière qu’elle ne fait que nous dégoûter.
Ainsi, la télévision d’État se garde bien d’évoquer les conditions désastreuses dans lesquelles vit notre propre peuple, de même que la violation flagrante des droits de l’homme en Iran. Pas un seul mot sur les arrestations quotidiennes, les emprisonnements, tortures et exécutions de masse. Pour briser leur volonté, ils détiennent nos prisonniers politiques dans les pires conditions possible. Non seulement ils ne disent rien à leurs avocats, mais ils empêchent même les prisonniers d’en bénéficier.
Familles menacées
Mais ce n’est pas tout, les familles ne sont pas informées du sort de leur être cher. Pire, elles sont elles-mêmes menacées à leur tour. Les familles n’ont pas le droit de communiquer sur le devenir de leur prisonnier. Ils vous menacent d' »aller plus loin en arrêtant vos filles », si vous ne vous soumettez pas au bon vouloir des autorités. « La ferme ! Ne prononcez pas le moindre mot à leur sujet », leur crie-t-on. Messieurs ! Pourriez-vous me dire de quelle loi il s’agit là ? Dites-moi où vous avez trouvé une telle loi avant de l’offrir au peuple d’Iran ? Est-il seulement possible de trouver un tel texte ailleurs que dans les dictatures ?
Croyez-moi, vous ne pourrez même pas le trouver dans les pires dictatures du monde. Et même dans ces pays, si une telle loi avait été mise en place, elle ne l’aurait pas été au nom de Dieu ou de la religion, mais au nom du gouvernement. Pourquoi devriez-vous arrêter, torturer et exécuter ? Et les familles garder le silence ? Pourquoi ne quitteriez-vous pas votre poste et ne vous soumettriez-vous pas à un gouvernement comme le vôtre ? Ainsi, vous aurez un avant-goût de ce que cela fait d’être le sujet d’un tel exécutif.
Des lois « indignes de la jungle »
Les lois de votre régime ne sont même pas dignes de la jungle. Si vous assumez ce que vous faites, pourquoi ne pas en être fiers au lieu de le nier ? Pourquoi n’autorisez-vous pas la libre circulation des informations sur vos actes, afin que d’autres pays dans le monde puissent apprendre de vous et de votre application de la démocratie ? Et dans le cas où vous seriez totalement au courant de votre médiocrité, et de la façon dont le monde se moque de vous, pourquoi continuer à être ce que vous êtes ? Pourquoi persistez-vous à agir de la sorte ?
Pourquoi les reporters étrangers peuvent-ils se rendre où ils le souhaitent dans le monde, alors qu’aucun journaliste n’est autorisé à entrer en Iran et à rapporter ce dont il a été le témoin ? Se maintenir au pouvoir pour quelques jours de plus justifie-t-il tant d’injustices ? Laissez-moi maintenant vous dire quelque chose. Si vous avez tellement peur de l’information, vous n’avez qu’à démissionner de vos fonctions, ou cesser d’infliger de telles injustices. N’arrêtez pas les gens, ne les torturez pas, ne les massacrez pas, afin qu’ils n’aient pas à vous dénoncer.
Briser les chaînes de l’injustice !
Dans le cas contraire, non seulement les dénonciations continueront, mais votre propre injustice finira bientôt par s’écrouler sur vos têtes. Informer les autres des misères que subit tout être humain est la responsabilité de chacun d’entre nous, et si quiconque échoue dans ce dessein, trahit sa propre conscience, il creusera par là même sa propre tombe. Pour vous, messieurs, qui tentez par tous les moyens de faire taire, une à une, même en privé, toute personne qui essaie de s’exprimer, arrêtez de nous menacer, car la peur n’a plus sa place dans nos coeurs. Ni le fouet, ni la torture.
Si « Nous allons t’arrêter » et « Nous allons te torturer si tu continues à informer les autres ! » demeure votre slogan, le nôtre est : « Nous avons pénétré dans cette arène, et nous n’abandonnerons pas avant de nous libérer des chaînes de l’existence, ou de briser les chaînes de l’injustice ! »
Longue vie à l’Iran et aux Iraniens ! J’offre ma vie à l’Iran ! »