Carlos Gomes Junior, grand favori du second tour de l’élection présidentielle en Guinée-Bissau, a été capturé par des militaires, qui contrôlent les bâtiments publics et les principales artères de la capitale, a-t-on appris vendredi de sources politiques et diplomatiques.
« Carlos Gomes Junior et l’ensemble du gouvernement ont été placés aux arrêts », a déclaré Ibrahima Alpha Diallo à Reuters.
Il assure que l’information lui a été confirmée par plusieurs personnes. De sources diplomatiques, on dit avoir été informé que Carlos Gomes Junior, ancien Premier ministre, a été placé « en lieu sûr ».
Ibrahima Alpha Diallo est l’un des candidats éliminés au premier tour de l’élection présidentielle, dont Carlos Gomes Junior est sorti largement en tête le 18 mars.
Le deuxième tour du scrutin présidentiel était fixé au 29 avril.
Des soldats ont attaqué jeudi soir à l’arme lourde la résidence de Carlos Gomes Junior, candidat à la présidence du parti au pouvoir PAIGC et largement impopulaire dans l’armée.
Vendredi matin, des soldats en armes gardaient les bureaux de la présidence et le siège de la radiotélévision nationale. D’autres ont pris position dans les principales rues de la capitale. La ville était calme. La plupart des chaînes de télévision et des stations de radio n’émettent plus.
Dans un communiqué lu à la radio RDP Africa, un « commandement militaire » dit avoir été contraint d’intervenir pour déjouer un « accord secret » entre Gomes Junior et l’Angola afin de « détruire les forces armées de Guinée-Bissau ». Ce « commandement militaire » affirme toutefois ne pas être intéressé par le pouvoir.
L’Angola, qui fournissait des conseillers à l’armée bissau-guinéenne, a annoncé il y a quelques jours la fin de cette coopération.
ARMÉE MÉCONTENTE
« Il est de notoriété publique que l’armée n’aime pas Carlos Gomes Junior, qui était sur le point de remporter la présidentielle. Seule alternative pour les militaires: le tuer ou s’assurer qu’il ne puisse pas être élu », a dit à Reuters un diplomate en poste à Bissau.
Carlos Gomes Junior a provoqué le mécontentement d’une partie de l’armée en raison de sa politique de réforme et de réduction des effectifs pléthoriques de l’institution militaire.
Des ministres et d’autres responsables comme le chef de la police judiciaire ont préféré se cacher. Plusieurs d’entre eux, comme le ministre de l’Intérieur, Fernando Gomes, ont dit craindre pour leur vie.
Le président par intérim, Raimundo Pereira, ancien président du Parlement et membre du PAIGC, aurait été arrêté par les militaires, selon une source politique.
RDP Africa a rapporté que la maison du président de la commission électorale nationale, Desejado Lima da Costa, avait été saccagée par des soldats. Selon le fils de Lima da Costa, Camilo, ni son père ni sa mère ne se trouvaient chez eux au moment de l’attaque. « Ils sont en sécurité », a-t-il dit.
Réunis jeudi soir à Abidjan pour discuter à l’origine du Mali, les ministres des Affaires étrangères de la Cédéao (Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest) ont condamné cette tentative de putsch à Bissau.
« Comme dans le cas du Mali, la Cédéao condamne formellement et sévèrement une telle tentative de coup d’Etat. C’est inacceptable et cela ne sera pas accepté par la Cédéao », a dit le chef de la diplomatie ivoirienne, Daniel Kablan Duncan.
TÊTE DE PONT DES CARTELS DE LA DROGUE
Le ministre des Affaires étrangères de Guinée-Bissau, Mamadu Djalo Pires, qui était à Abidjan, a réclamé une « réaction énergique » de la part de la communauté internationale face à ce « coup d’Etat ».
L’ambassade des Etats-Unis à Bissau a dénoncé une « atteinte au processus démocratique » et exigé le rétablissement du gouvernement civil. Le Portugal, ancienne puissance coloniale jusqu’en 1974, a lui aussi dénoncé ce coup d’Etat, dont on ignore qui le dirige exactement.
La Guinée-Bissau, devenue la tête de pont africaine des cartels de la drogue sud-américains pour faire transiter leur marchandise à destination de l’Europe, doit voter pour élire le successeur du président Malam Bacai Sanha, décédé dans un hôpital parisien en janvier des suites d’une longue maladie.
Au second tour, Carlos Gomes Junior devait affronter l’ancien président Kumba Yala, mais ce dernier a appelé au boycott du scrutin en affirmant que le premier tour avait été entaché de fraudes.
Quelques heures avant le début des événements à Bissau, Kumba Yala, qui dit avoir des liens étroits avec les militaires appartenant majoritairement à l’ethnie Balanta, avait mis en garde contre les « conséquences » de la tenue du second tour.
Les hauts gradés de l’armée sont considérés par les Etats-Unis comme des trafiquants de drogue et selon des diplomates l’armée est au courant de chaque avion chargé de cocaïne qui atterrit sur le territoire.
Avec Mamadu Cande à Bissau, David Lewis à Bamako et Joe Bavier à Abidjan, Pierre Sérisier, Guy Kerivel et Bertrand Boucey pour le service français
Reuters 13 avril 2012