Le ministre cubain des Affaires étrangères, Bruno Rodriguez Parrilla, a exprimé la position du gouvernement cubain concernant les dernières annonces sur la levée du blocus, au cours d’une conférence de presse internationale tenue le 17 mars à La Havane.
Les autorités cubaines sont claires, ces mesures constituent un pas en avant mais ne suffisent pas et ne sont pas applicables dans les conditions actuelles. Barack Obama n’est reçu ni en sauveur, ni en héro, mais en « émissaire » d’une puissance qui doit lever d’urgence le blocus dans sa totalité. Ci-dessous la traduction de sa déclaration (traduction Afrique-Asie)
« Le 15 mars, les Départements du Trésor et du Commerce des États-Unis ont émis de nouvelles règles qui modifient l’application de certains aspects du blocus des États-Unis contre Cuba.
C’est la quatrième annonce de ce type depuis le 17 décembre 2014, lorsque les présidents des deux pays ont fait connaître la décision de rétablir les relations diplomatiques. Les mesures annoncées antérieurement ont peu modifié l’application réelle du blocus et n’ont pas été effectives du fait du caractère total et oppressif de celui-ci.
Nous étudions la portée et les effets pratiques des mesures annoncées aujourd’hui. On peut affirmer, sans aucun doute, que ce sont des mesures positives qui vont dans la bonne direction et dont la portée devra être vérifiée dans les faits. Certaines de ces mesures élargissent la portée des précédentes.
Voyages des citoyens nord-américains à Cuba
C’est le cas, par exemple, de celle qui autorise, maintenant, les voyages individuels des citoyens nord-américains dans le cadre d’ « échanges académiques » appelés « de peuple à peuple ». Il faut rappeler que, malgré cela, l’interdiction légale appliquée aux citoyens nord-américains de voyager individuellement à Cuba, est maintenue. La menace de sanctions pénales ou administratives appliquées aux voyages à Cuba constitue une interdiction absurde, injustifiée, qui ne devrait pas exister. Cuba est la seule destination interdite aux citoyens nord-américains. En adoptant cette mesure, cependant, les citoyens nord-américains sont obligés de conserver les reçus de toutes leurs dépenses et un rapport de toutes leurs activités, et il est exigé d’eux, de manière étrange, qu’ils consacrent le temps passé dans notre pays, non pas à profiter d’un contact ouvert avec les Cubains et à des merveilles de Cuba, mais, comme le dit littéralement la décision exécutive, « à promouvoir l’indépendance des Cubains ». Pourquoi maintenir cet interdit absurde ? Que sont devenues les libertés civiles des citoyens nord-américains ?
Utilisation du dollar dans les transactions
Autre mesure significative, l’autorisation donnée à Cuba d’utiliser le dollar dans ses transactions internationales. Cela concerne, sans aucun doute, un aspect important du blocus. Cependant, pour que cette mesure puisse être appliquée, il faut garantir les déclarations politiques à un très haut niveau du gouvernement des États-Unis, il faut des documents de nature juridique, de nombreux éclaircissements légaux de la part du Département du Trésor qui donnent une garantie juridique et politique aux banques étrangères et aux banques étatsuniennes. Les banques ont besoin de comprendre si cette mesure signifie réellement la fin, dans un futur proche, de la persécution financière de Cuba. Il faut annuler les effets intimidateurs accumulés pendant des décennies. En particulier dans la dernière période qui a vu l’application de sanctions contre des institutions bancaires internationales, c’est-à-dire étrangères, de pays tiers, pour une valeur de plus de 14 milliards de dollars, pour avoir eu des relations totalement légitimes avec Cuba.
Dans les prochains jours, nous allons essayé de réaliser des transferts en dollars avec des entités bancaires de pays tiers et aux États-Unis même, pour vérifier si ces transactions peuvent réellement être réalisées et si les banques extérieures et nord-américaines ont été informées qu’elles peuvent réaliser ces opérations avec Cuba sans crainte de représailles et de pénalités intimidatrices. Il faut espérer qu’à l’avenir ne se répéteront pas des pénalités comme celles qui ont été appliquées au cours des semaines passées – après les progrès du processus de rétablissement des relations diplomatiques, et après l’annonce des mesures antérieures – contre des banques comme l’Allemande Commerzbank et la Française, Crédit agricole.
Taxe de 10% sur le dollar
Je voudrais annoncer que le gouvernement cubain a décidé de supprimer la taxe de 10% appliquée aujourd’hui au dollar nord-américain quand il rentre dans notre pays. Je dois rappeler que cette taxe a été appliquée à l’utilisation de l’argent liquide en dollars étatsunien, en 2004, comme une mesure justifiée de légitime défense contre l’extraordinaire renforcement, à cette époque, de la persécution financière. Cette taxe des 10% a servi à compenser les risques et les coûts qu’a générés, jusqu’à maintenant, l’utilisation du dollar par les institutions financières cubaines. Je précise que la décision de supprimer la taxe ne sera effective qu’après avoir vérifié avec la banque internationale correspondante de nos banques, la possibilité d’utiliser le dollar étatsunien dans nos opérations, et que ces opérations sont effectuées en toute normalité. La taxe ne sera supprimée dans les faits que lorsque la persécution financière cessera.
Interdiction aux banques cubaines d’ouvrir des comptes correspondants aux États-Unis
La mesure annoncée concernant l’utilisation par Cuba du dollar étatsunien n’est, en aucun cas et malheureusement, synonyme de normalisation des relations bancaires entre Cuba et les États-Unis, contrairement à ce que nous pouvions espérer dans ce contexte. Actuellement, conformément aux règles du gouvernement des États-Unis, les banques cubaines ne peuvent disposer de comptes correspondants dans les banques nord-américaines. Ce qui signifie qu’aujourd’hui, nos banques ne peuvent pas avoir de comptes correspondants dans les banques nord-américaines, condition sine qua non pour entretenir des relations financières normales. Cela oblige à continuer de passer par des tiers pour les opérations financières cubaines, avec le maintien de l’augmentation des coûts opérationnels, des formalités associées et les effets dissuasifs liés à l’accumulation de très fortes pénalités.
Je voudrais demander au gouvernement des États-Unis pourquoi il n’a pas franchi ce pas maintenant, pourquoi il ne peut le faire, pourquoi il a exclu de cette mesure l’autorisation aux banques cubaines d’ouvrir des comptes correspondants dans les banques étatsuniennes, en particulier à la veille d’un moment aussi important de nos relations bilatérales, que la visite à La Havane du président Barack Obama.
Pas de mesures sur les investissements américains à Cuba
De même, ce dernier n’a fait aucune annonce concernant la possibilité d’investissements nord-américains dans notre pays – en dehors de ceux déjà approuvés auparavant, qui ne sont pas inclus dans cette dernière série de mesures – dans le secteur des télécommunications avec des propositions politiques claires. Comme il a été dit dans le récent Editorial del periódico Granma, Cuba a accepté le défi ; mais nous agirons dans le secteur des opérations de télécommunication sur la base des priorités nationales de l’information de notre société et nous continuerons à protéger la souveraineté technologique de nos réseaux.
Commerce bilatéral limité
Nous avons constaté, également avec déception, le maintien de l’interdiction des importations de produits cubains aux États-Unis, y compris les médicaments et les produits biotechnologiques. De sorte que le commerce bilatéral limité, éloigné des règles du commerce internationale, de la liberté de navigation, à caractère discriminatoire, mais qui fonctionne aujourd’hui de manière extrêmement limitée entre les deux pays, reste encore strictement unilatérale. Ni les produits, ni les services cubains ne peuvent être exportés aux États-Unis. Seule a été modifiée l’interdiction absurde faite aux citoyens étatsuniens de consommer des produits ou des services cubains dans des pays tiers, pas seulement à Cuba, pas seulement aux États-Unis. Désormais, la consommation de ces produits ou services est autorisée. Mais si un citoyen nord-américain visite le Canada et désire acheter certains produits cubains qu’il souhaite ramener avec lui, une bouteille du meilleur vieux rhum au monde ou les meilleurs cigares, ou s’il veut bénéficier de certains traitements cubains aux États-Unis, il n’est pas autorisé à le faire.
Pourquoi les citoyens étatsuniens, dans ce cas particulier de la relation bilatérale, ne peuvent utiliser les vaccins cubains contre le cancer de dernière génération ?
Pourquoi ne peuvent-ils pas accéder au traitement unique cubain du pied diabétique qui a démontré une efficacité qu’on ne trouve dans aucun autre produit sur le marché mondial ?
Les exportations américaines a Cuba continuent d’être limitées, malgré notre nouvelle Loi sur les investissements, l’ouverture de la Zone spéciale de développement de Mariel et les opportunités qu’offrent l’économie cubaine.
Artistes et athlètes cubains
Parmi les mesures annoncées, sont autorisés les contrats et les rémunérations de citoyens cubains non immigrants, c’est-à-dire qui séjournent temporairement en territoire étatsunien. Si bien que nos artistes reconnus par la culture étatsunienne, nos excellents sportifs pourront signer des contrats. Mais c’est une mesure discriminatoire pour les citoyens, les artistes, les athlètes, les personnes de notre pays.
Par exemple, la rémunération que reçoit un artiste ou un musicien reconnu, ou un athlète cubain, à l’occasion d’événements significatifs ne pourra répondre aux lois fiscales qui existent dans notre pays et mettra le citoyen ou la citoyenne cubain en situation d’illégalité. De même, ont été établies des règles ridicules pour empêcher qu’un seul centavo de cet argent puisse arriver dans les caisses du secteur public à Cuba.
Je réaffirme que pour qu’il y ait de relations normales dans le domaine du sport, il faut que cesse la politique qui conditionne la contractualisation des joueurs de base-ball cubains par les clubs étatsuniens, au renoncement à sa résidence dans notre pays. Je reconnais, cependant, que l’autorisation de ces contrats est un pas positif.
Transport maritime
Une autre mesure qui aura un effet positif bien que limité, selon ce qu’a annoncé le Département du Trésor, concerne l’interdiction faite aux navires qui ont transporté des marchandises à Cuba, d’entrer dans les ports nord-américains pendant un délai de 180 jours, ce qui de façon évidente augmente les coûts du fret. Cela signifie que, désormais, un bateau qui transporte des marchandises des États-Unis à Cuba, pourra poursuivre ses opérations sans attendre. Nous parlons de navires nord-américains. C’est une mesure qui ne bénéficie pas à Cuba, mais qui bénéficie, et c’est déjà une bonne chose, aux bateaux américains.
Liste noire
Les citoyens et les entreprises cubains et d’autres pays continuent d’apparaître dans une liste arbitraire, intitulée « Nations spécialement désignées », une liste noire qui les empêche de réaliser des transactions avec des entreprises nord-américaines et leurs filiales. Toutes ces restrictions auraient pu être éliminées aujourd’hui ou pourraient l’être dans les prochaines semaines ou mois par une décision unique et strictement présidentielle.
Blocus toujours en vigueur
La réalité est que le blocus économique, commercial et financier contre Cuba est toujours en vigueur après les dernières annonces. Ce n’est pas seulement mon opinion. Le secrétaire du Trésor des États-Unis, Jack Lew, vient de dire que le blocus limite « de façon très, très significative » le volume des échanges entre Cuba et les États-Unis.
Ses éléments dissuasifs et punitifs sont toujours en vigueur.
– Des entreprises étatsuniennes et étrangères ont été frappées d’amendes dans une période très récente pour avoir offert des services et des équipements américains à Cuba
– Une entreprise étrangère qui commercialise le nickel et le rhum cubains a vu ses lignes de crédit annulées et ses transferts bancaires rejetés, y compris en monnaies différentes du dollar américain
– Des banques étrangères ont fermé les comptes bancaires en monnaie différente de pays tiers, au personnel de santé cubain qui offre sa collaboration dans des pays africains.
– Des filiales d’entreprises américaines dans des pays tiers refusent quotidiennement, jusqu’à ce jour, leurs services à des missions diplomatiques et des entités cubaines à l’étranger.
À moins que ne soient adoptées d’autres décisions présidentielles voire législatives, le blocus est, reste et restera l’obstacle décisif, l’obstacle majeur au développement économique de Cuba et la source de privations pour notre peuple.
C’est pour cela que nous répétons que son élimination sera essentielle pour avancer dans la normalisation de relations bilatérales entre les États-Unis et Cuba. De la même manière que le territoire illégalement occupé pour la Base navale de Guantanamo doit être restitué à notre peuple pour aboutir à la normalisation.
Ingérence
De hauts fonctionnaires du gouvernement étatsunien ont déclaré dans les dernières heures que l’objectif des nouvelles mesures approuvées est de « donner le pouvoir» au peuple cubain. Le peuple cubain a acquis son indépendance il y a des décennies. Quelque chose doit mal fonctionner dans la démocratie étatsunienne si elle parle de donner le pouvoir à d’autres peuples. C’est dans les peuples que résident la souveraineté et c’est la démocratie réelle qui donne le pouvoir, pas les gouvernements.
Si le gouvernement des États-Unis veut servir le peuple de Cuba, aider le peuple de Cuba, alors qu’il lève le blocus, comme on le demande. Il ferait mieux de donner le pouvoir au peuple étatsunien lui-même. Pourquoi ceux qui paient des impôts ne sont pas consultés sur la politique monétaire, sur la politique fiscale, la politique migratoire ? Pourquoi on ne demande pas et on ne soumet pas à la consultation du peuple étatsunien, aux citoyennes et citoyens nord-américains la politique éducationnelle, la politique de l’emploi, la politique de la santé, la politique du salaire égal à travail égal pour les femmes ? Pourquoi Wall Street ne transfert pas le pouvoir aux gens qui paient les impôts ? Nul ne peut sérieusement dire que le pouvoir n’est pas dans les mains de Wall Street, mais dans celui du peuple étatsunien.
Grandes divergences
Nous saluons la position du président Barack Obama contre le blocus et les appels réitérés qu’il a lancés au Congrès pour le lever. Nous avons exprimé notre reconnaissance et notre satisfaction, y compris pour ce qu’a fait le président de la république de Cuba, Raul Castro Ruz. Je dois, cependant, reconnaître que persistent de grandes divergences entre le gouvernement des États-Unis et celui de Cuba en matière de système politique, de démocratie, de droits humains, d’application et d’interprétation du Droit international. De grandes divergences liées au concept de souveraineté nationale, de profondes divergences liées au maintien de la paix et la sécurité internationales, de grandes divergences par rapport aux guerres impérialistes non conventionnelles qui sont en train de provoquer des vagues de réfugiés en Europe.
Nous trouvons, également, une différence avec la conception du gouvernement nord-américain de ses relations avec l’Amérique latine et les Caraïbes. Nous avons de grandes divergences sur notre empathie sans restriction, notre pleine solidarité avec la République bolivarienne du Venezuela et avec l’union civile et militaire de son peuple dirigée par le président Nicolas Maduro Moros, et nous réitérons au gouvernement des États-Unis notre exigence d’élimination ou d’abrogation du décret présidentiel récemment renouvelé qui qualifie le Venezuela de menace exceptionnelle et extraordinaire pour la sécurité nationale des États-Unis, sans aucune justification, de façon arbitraire et agressive.
Le Congrès doit lever le blocus
Tout en reconnaissant les pas faits par le président des États-Unis avec la modification de certains aspects du blocus contre Cuba, je voudrais insister sur notre espoir que le Congrès des États-Unis fasse son devoir en agissant selon la volonté des citoyens étatsuniens, y compris l’immigration cubaine, qui réclament de manière de plus en plus large, tout comme le réclame unanimement la communauté internationale et pratiquement tous les secteurs de la société étatsunienne, que le Congrès lève définitivement et totalement le blocus contre Cuba.
Je veux insister, à la veille de cette importante visite, sur le fait que Cuba s’est impliqué et continuera de le faire dans la construction d’une nouvelle relation avec le gouvernement des États-Unis, en toute souveraineté et fidèle à ses idéaux de justice sociale et de solidarité.
Souveraineté
Dans notre relation avec les États-Unis, il n’y a, en aucune manière, sur la table des négociations, la perspective de changements internes à Cuba, qui sont et seront de la souveraineté exclusive de notre peuple.
Personne ne pourra exiger que pour aboutir à la normalisation des relations entre les deux pays, Cuba doit renoncer à un seul de ses principes, ni à sa politique extérieure profondément et historiquement engagée pour les causes justes dans le monde et dans la défense du droit à l’autodétermination des peuples.
Dans les jours prochains, notre peuple et notre gouvernement recevront le président des États-Unis, Barack Obama, avec l’hospitalité qui distingue Cuba, et avec le respect et la considération dus à sa condition de chef d’État.
Tel est le sentiment, telle est la volonté du peuple cubain. (…) Nous espérons que le président des États-Unis rendra hommage au héros national José Marti qui incarne tellement les sentiments de nos peuples et notre conception de notre destin. (…) Nous espérons que pendant ces jours, le président Obama connaîtra mieux notre pays et rencontrera les organisations de notre société civile, plus de 2000, qui participent à tous les secteurs de la vie nationale.
L’émissaire étatsunien pourra apprécier une nation engagée dans son développement économique et social, dans l’amélioration du bien être et la garantie de la dignité totale de ses citoyens, d’un peuple qui jouit de droits et qui peut montrer des réalisations qui malheureusement sont une chimère pour de nombreux habitants de la planète, malgré le fait d’être un pays sous blocus et sous-développé.
La visite du président Obama, et je conclurai ainsi, sera, également une occasion importante pour identifier de nouveaux pas qui pourront être franchis dans les mois prochains pour faire avancer le processus des relations bilatérales, sur la base du respect et de la réciprocité, pour le bénéfice des deux pays et des deux peuples. »
(Traduction C.A.D.)