L’Unesco et la délégation permanente de l’Angola ont célébré en décembre dernier, au siège de l’organisation, le 350e anniversaire de la mort de la reine angolaise et le 100e anniversaire de la naissance du poète et politicien antillais.
Qu’y a-t-il en commun entre la reine angolaise Nzinga Mbandi et Aimé Césaire ? À bien y regarder, le rapprochement entre ces deux personnalités de l’histoire africaine et de sa diaspora devient évident. Dans des contextes historiques, sociologiques et économiques différents, Nzinga Mbandi et Aimé Césaire ont fait de leur existence un combat pour la résistance contre la domination étrangère et le colonialisme qui a anéanti l’Afrique.
Au xve siècle, Portugais et Espagnols lancent de grandes expéditions à la conquête de territoires à travers le monde, pour étendre leur influence et développer les relations commerciales. Après l’arrivée des Portugais en Afrique centrale en 1482, les expéditions se transforment peu à peu en voyages mercantiles assortis de guerres de conquête. Puis la traite négrière se développe, bouleversant le paysage politique, social, économique et culturel de la région. Une région qui est alors divisée en plusieurs petits royaumes, ou potentats, dont le Ndongo.
C’est dans ce contexte que la reine Nzinga Mbandi s’impose comme une résistante. Suivant dès son plus jeune âge les traces de son père, le roi du Ndongo, elle prend le pouvoir en 1623 et règne jusqu’à sa mort, à l’âge de 82 ans. En redoutable chef de guerre, elle conduit ses troupes au front, défie les envahisseurs aux armes sophistiquées, élabore des techniques de combat, crée des alliances avec le royaume voisin du Matamba et des stratégies pour protéger son territoire et sa population. Son courage et sa détermination lui valent le respect de son peuple, mais aussi de ses adversaires avec lesquels elle communique en portugais, langue qu’elle apprit au contact des premiers colons lusophones.
En 1622, la princesse Nzinga est envoyée à Luanda par son frère Mani Ngola, qui a succédé à leur père, pour négocier un traité de paix avec le vice-roi portugais Don Correia de Souza au palais du gouverneur. Mais alors que ses hôtes lui proposent des coussins à même le sol, alors que le vice-roi a droit à un fauteuil, elle ordonne à l’une de ses domestiques de s’accroupir pour lui servir de siège. Cet épisode est souvent évoqué dans les arts et la littérature pour décrire le caractère de l’indomptable future reine – elle accéda au trône au 1624 –, qui voulait être considérée d’égal à égal. Les conquistadors devront négocier et conclure des accords politiques avec cette femme charismatique, lettrée et diplomate.
Sa détermination et son audace contribuent aujourd’hui à brosser le portrait de celle qui a réussi à conserver âprement son royaume et l’identité de sa région. De ce fait, la reine Nzinga reste indéniablement liée à l’histoire de l’Angola, incarnant la réconciliation et l’unification, si bien que les leaders nationalistes n’hésiteront pas à raviver son souvenir pendant la guerre de libération (1961-1974). Son rayonnement et son influence transcendent désormais les frontières, s’étendant en Afrique, en Europe et chez les descendants africains d’Amérique.
Non loin de ce continent américain, une petite île française des Caraïbes, la Martinique, voit naître en juin 1913 un autre futur symbole de l’anticolonialisme : Aimé Césaire.
Cet homme politique, écrivain et poète fait partie des grands hommes de l’histoire de France. Issu d’une famille modeste de Basse-Pointe, élève brillant du lycée Victor-Schœlcher de Fort-de-France, il obtient une bourse d’études pour le lycée Louis-le-Grand à Paris, où il rencontre le Sénégalais Léopold Sédar Senghor et de nombreux étudiants africains. À leur contact, il prend conscience de la situation coloniale et fonde, dès septembre 1934, en collaboration avec des camarades, L’Étudiant noir. C’est dans les pages de cette revue qu’il évoquera pour la première fois la notion de « négritude ». En effet, ainsi que l’a rappelé Beseat Kiflé Selassié en présentant à l’Unesco cette grande figure de l’anticolonialisme, le jeune homme prend peu à peu conscience de la composante africaine, totalement refoulée pendant la domination coloniale, de l’identité martiniquaise. De ce constat, va découler dans l’entre-deux-guerres le concept de négritude, le courant politique et littéraire surgi en réaction à l’oppression culturelle exercée par le système colonial français. Il mène dans un premier temps un combat littéraire et culturel, avant de se faire happer par la politique. Élu maire de Fort-de-France, le chef-lieu de la Martinique, en 1945, il devient l’année suivante député de son île à l’Assemblée nationale. En 1950, il publie Discours sur le colonialisme, où il dénonce fermement la politique française et le racisme de l’époque.
Parallèlement à sa carrière politique, Césaire continue à écrire et publie plusieurs recueils de poésie et des pièces de théâtre, toujours sur l’identité, l’indépendance des nations africaines ou encore la situation dramatique des pays récemment décolonisés. Il utilise son œuvre poétique comme un instrument de lutte pour prôner la liberté et pour contribuer à la prise de conscience de toute forme d’exploitation. Son travail littéraire a eu un écho considérable auprès des leaders des mouvements de libération africains durant les années 1960. Sa popularité reste d’actualité au vu des nombreux hommages qu’on lui a rendus, en Martinique, en Afrique ou en France.
Tant par leurs engagements politiques que par leurs idéaux sur la liberté des peuples et leur quête pour la paix et la dignité en Afrique, ces deux personnalités ont une portée universelle et intemporelle.