Dans une tribune au NYT, Lawrence Wilkerson ( chef de cabinet du Secrétaire d’Etat Colin Powell de 2002 à 2005 et qui a servi 31 ans dans l’armée américaine et fut assistant particulier du général Powell (1989-1993) alors que ce dernier était chef d’état major des armées) lance un cri d’alarme contre le risque de voir l’actuelle administration s’engager dans la même voie guerrière qui avait conduit G.W. Bush à plonger les Etats-Unis dans le bourbier irakien. « J’ai contribué à faire des mauvais choix qui se répètent » avait titré sa tribune.

L’ancien Secrétaire d’Eta américain sous Bush en flagrant délit de fake news à l’ONU à propos des prétendues armes de destruction massive de Saddam Hussein pour vendre la guerre de Bush contre l’Irak en 2003. Il avouera plus tard que ce moment fut la « honte de sa vie ».
Cela fait quinze ans, cette semaine, que Colin Powell, alors Secrétaire d’État, s’est exprimé à l’ONU pour plaider en faveur d’une guerre préventive contre l’Irak. Alors que j’étais son chef de cabinet, j’ai aidé le Secrétaire Powell à démontrer clairement que la guerre était le seul choix, que lorsque « nous sommes confrontés à un régime qui a des ambitions de domination régionale, qui dissimule des armes de destruction massive et qui offre un sanctuaire et un soutien actif aux terroristes, nous ne sommes pas confrontés au passé, nous sommes confrontés au présent. Et si nous n’agissons pas, nous seront confrontés à un futur encore plus menaçant ».
Après la présentation de M. Powell, en cette froide journée, j’ai réfléchi à ce que nous avions fait. Sur le coup, j’ai pensé que tout ce travail ne valait rien, et que, malgré nos efforts, nous n’avions pas gagné l’adhésion internationale. Mais, ensuite, les statistiques du jour et de la semaine suivante ont démontré qu’il avait convaincu nombre d’Américains. Je savais que c’était pour cela qu’il avait été spécialement choisi pour faire l’intervention : sa réputation auprès du peuple américain était plus solide que celle de tout autre membre de l’administration Bush.
Le président George W.Bush aurait décidé de la guerre même sans l’intervention à l’ONU, ou si le Secrétaire Powell avait lamentablement échoué. Cependant, le sérieux du Secrétaire était un élément significatif de l’effort, durant deux années, par l’administration Bush, pour embarquer les Américains dans le wagon de la guerre.
Cet effort a conduit à une guerre optionnelle avec l’Irak, une guerre qui a provoqué des pertes catastrophiques pour la région et pour la coalition conduite par les États-Unis, une guerre qui a déstabilisé tout le Moyen Orient.
Il y a à peine un mois, l’ambassadrice américaine aux Nations unies, Nikki Haley, déclarait que l’administration avait la preuve « indiscutable » que l’Iran ne respectait pas les résolutions du Conseil de sécurité sur son programme de missiles balistiques et sur le Yémen. Exactement comme M. Powell, Nikki Haley a présenté des images satellite et autres preuves matérielles réservées à la communauté du renseignement américain pour justifier sa déclaration. Mais les preuves se sont avérées insuffisantes.
Il est étonnant de constater à quel point ce moment fut similaire à celui de la présentation par Powell, en 2003, des armes de destructions massives irakiennes, et comment les méthodes de l’administration Trump ressemblent, globalement, à celles du président Bush et du vice-président Dick Cheney. En regardant Nikki Haley, à l’Agence de renseignement de la Défense, j’ai eu envie de projeter la vidéo de Powell sur le mur derrière elle pour que les Américains puissent immédiatement se rendre compte comment ils étaient entraînés sur la même pente qu’en 2003 – c’est-à-dire la guerre. Sauf que cette guerre contre l’Iran, un pays de presque 80 millions d’habitants, dont le vaste potentiel stratégique et la difficulté du terrain en font un défi bien plus grand que l’Irak, serait dix à quinze fois pire que la guerre d’Irak en termes de victimes et de coût.
Si nous voulons une déclaration un peu plus officielle des plans de l’administration Trump pour l’Iran, il suffit de lire le récent communiqué du National Security Strategy (document préparé périodiquement par l’Exécutif du gouvernement pour le Congrès qui présente les principales questions de sécurité nationale et préconise un traitement par l’administration. NDT) qui dit que « plus longtemps nous ignorerons les menaces des pays déterminés à proliférer et développer des armes de destruction massive, pires seront les menaces, et moins nombreuses nos options». L’équipe Bush-Cheney n’aurait pas pu mieux dire lorsqu’ils envisageaient l’invasion de l’Irak.
La Strategy présente l’Iran comme l’une des plus grandes menaces auxquelles doivent faire face les États-Unis, exactement comme le président Bush décrivait l’Irak de Saddam Hussein. Avec la Chine, la Russie et la Corée du Nord qui présenteraient des défis largement plus formidables que l’Iran, on peut se demander où l’équipe Trump trouve ses idées.
Peu importe que Nikki Halley ait raté son objectif et qu’en dehors de l’élite de la sécurité nationale, personne ne peut lire la Strategy. Nous avons déjà vu cela : une campagne construite sur la politisation du renseignement et des décisions politiques à court terme pour prôner la guerre. Et le peuple américain est apparemment devenu si habitué au bellicisme de l’Exécutif – approuvé presque unanimement par le Congrès – que de telles actions ne sont pas vraiment contestées.
Jusqu’à présent, les organes de presse ont été incapables de réfuter les fausses informations générées par la Maison Blanche de Trump sur l’Iran. Début novembre, les medias se sont emparés d’affirmations par des responsables américains anonymes selon lesquelles des nouveaux documents saisis dans la maison d’Oussama ben Laden apportent « des preuves du soutien de l’Iran à la guerre d’al Qaeda contre les États-Unis ».
Cela rappelle de façon frappante les efforts désespérés du vice-président Cheney, en 2002-2003- pour inventer des preuves de la relation entre Saddam Hussein et al-Qaeda en utilisant des détenus de Guantanamo. Cela rappelle les assurances du directeur de la CIA, George Tenet, à Powell que la connexion entre Saddam Hussein et Oussama Ben Laden était indiscutable à la veille de sa présentation à l’ONU. Aujourd’hui, nous savons à quel point M. Tenet s’est trompé.
Aujourd’hui, les analystes qui affirment les liens étroits entre al Qaeda et l’Iran, viennent de la Fondation pour la Défense de la Démocratie qui s’oppose de façon véhémente à l’accord sur le nucléaire iranien et appelle imperturbablement à un changement de régime en Iran.
Peu importe que 15 des 19 pirates de l’air de septembre 2011 étaient Saoudiens, et aucun d’entre eux Iraniens. Ou que, selon la communauté du renseignement américain, parmi les groupes enregistrés comme activement hostiles aux États-Unis, un seul est plus ou moins lié à l’Iran et que le Hezbollah n’a pas été sélectionné. Plus que jamais, la Fondation pour la Défense de la Démocratie apparaît comme le Bureau des Moyens spéciaux du Pentagone qui fournissait des mensonges pour soutenir le plan de guerre contre l’Irak.
Le plaidoyer de l’administration Trump pour la guerre contre l’Iran a une portée beaucoup plus large que le travail de Nikki Haley. Nous devrions y inclure l’ultimatum de non-certification, en janvier, selon lequel le congrès doit « régler son compte » à l’accord sur le nucléaire iranien malgré la réalité du respect de l’accord par l’Iran ; les pressions de la Maison blanche sur la communauté du renseignement pour concocter des preuves du non respect par l’Iran et le choix de l’administration de considérer les récentes manifestations en Iran comme le début du changement de régime. Comme l’administration Bush auparavant, ces événements apparemment sans lien entre eux, servent à monter une histoire dans laquelle la guerre avec l’Iran est la seule politique viable.
En regardant notre marche emboîtée vers la guerre contre l’Irak, je réalise que nous n’avons attaché aucune importance au fait que nous utilisions des renseignement faux ou sélectionnés, qu’il était irréaliste de prétendre que la guerre « se remboursera », alors qu’elle a coûté des milliards de dollars, que nous pouvions être terriblement naïfs de penser que la guerre amènerait la démocratie alors qu’elle a poussé la région dans une spirale descendante.
Le seul objectif de nos actions fut de vendre au peuple américain le plaidoyer pour une guerre en Irak. Les statistiques montrent que nous avons réussi. M. Trump et son équipe essaient de faire la même chose. Si nous n’y faisons pas attention, ils réussiront.
Sources :
I Helped Sell the False Choice of War Once. It’s Happening Again. – The New York Times
Threats to democracy in the Trump era – YouTube (Interview par la chaîne Democracy Now)
Traduction Christine Abdelkrim-Delanne