Une fois de plus, les Palestiniens paient un lourd tribut à cause des mutations que connaît le monde arabe. Aujourd’hui, c’est au tour des Palestiniens de Syrie de chercher un nouveau refuge.
Al-Akhbar – Haisam Shamlouni, Maher Ayoub, Mitwalli Abu Nasser
Dans la plaine de la Bekaa
Interrogé sur les « abris » utilisés par les Palestiniens réfugiés venus de Syrie, un habitant du camp de réfugiés Jalil à Baalbek montre du doigt le cimetière limitrophe. En effet, huit familles y vivent. D’autres logent dans le bâtiment des douches tandis que d’autres encore ont juste trouvé un hangar. Au total, ils sont ici 200 réfugiés palestiniens venus de Syrie.
L’endroit est connu sous le nom Refuge N°1. Il accueille 40 familles réparties entre 15 pièces dont la superficie de chacune ne dépasse pas 6m². Les pièces les plus vastes atteignent les 16m² et abritent plus d’une famille et se composent d’une cuisine collective, de deux salles de bain et d’un petit coin pour la prière.
Dans ce cadre, Siham Abu Sitta, chercheuse dans les questions Palestiniennes, affirme que « les endroits les plus misérables et démunis sont, cependant, Bar Elias, Deir Zeinoun et Sowayri. Ces refuges sont pour la plupart des tentes ou des maisons pas terminées. L’ONU n’a pas été attentive aux demandes d’aides et les a transmises à l’UNRWA qui, pour sa part, se plaint du manque de fonds, » ajoute Abu Sitta.
Autour, il y avait plusieurs réfugiés désemparés, dont Umm Hussein, une réfugiée à al-Manara qui ne s’est pas encore remise du choc de se retrouver, ses enfants et elle à nouveau dans la rue. Elle explique : « Nous ne pouvons pas nous adresser à l’UNRWA car cela implique un déplacement très coûteux que la plupart des familles ne peuvent payer. C’est très loin d’ici, et partir avec les enfants coûterait jusqu’à 10.000 Livres Libanaises (soit $7). »
Pour sa part, Hajj Omar qui semble vraiment mécontent de tout ce qui l’entoure déclare : « Pour moi, le pire des problèmes que nous rencontrons ici est le manque de médicaments. L’UNRWA ne nous procure que des sédatifs et quelques médicaments génériques. »
S’agissant de l’éducation et de la scolarisation des enfants, Bekaa ne compte que trois écoles qui enseignent le programme scolaire syrien, à l’exception de la matière du « nationalisme. » Les livres sont fournis par différentes associations à l’instar de Ghras al-Khair (Graines de Dieu), al-Azhar et Dar al-Fatwa qui offrent également d’autres besoins formulés par les étudiants.
A Tripoli
Direction Tripoli, au nord du Liban, où les camps de Baddawi et Nahr al-Bared accueillent respectivement 2492 et 1316 réfugiés.
Nous avons rencontré Mohamed Hassan, réfugié de la Syrie et responsable de la santé dans le Comité Populaire du camp de Baddawi. Il explique : « En général, la plupart des cas ici et à Bared représentent des maladies chroniques. Il y a deux mois, nous avons diagnostiqué six patients atteints du cancer. ils ont dû retourner en Syrie faute de moyens et de possibilité de traitement au Liban. »
Il poursuit : « Les aides nous proviennent principalement des ONG. Le Croissant Rouge Palestinien (CRP) dont les moyens sont limités, a couvert quelques nécessités, mais pas les médicaments. Toutefois, certaines factions politiques prennent en charge ces besoins. Mais la question principale reste l’argent et les patients ne peuvent payer s’ils doivent consulter des spécialistes. »
Et d’ajouter : « Quant à l’UNRWA, l’agence continue la prise en charge à 50% des Palestiniens de Syrie comme il le faisait en Syrie. Cependant, rien ne se règle sans la pression et le recours aux relations. Le pourcentage n’est pas logique et l’UNRWA reconnait que le Liban interdit aux réfugiés Palestiniens de trouver du travail. »
« La direction de l’UNRWA nous traite comme des individus de ‘seconde classe’ depuis notre arrivée de la Syrie, » poursuit-il. « Nous avons rencontré le directeur de l’UNRWA au nord du Liban pour lui expliquer la situation, mais depuis, rien n’a été réglé. La priorité est à 100% accordée à la couverture médicale. En fait, nous voulons seulement qu’on nous traite comme si nous étions des réfugiés déplacés du camp de Bared vers Baddawi par exemple. »
En matière d’éducation, Yasmine, une bénévole qui travaille sur cette question au sein du Comité Populaire rapporte : « Les classes du primaire et du moyen ont lieu après l’école et les cours dispensés sont seulement la lecture en langue arabe, les mathématiques et l’anglais. C’est en fait une pure question de formalité car les enseignants savent que les élèves n’ont aucun problème pour l’évaluation avec l’UNRWA. »
Les élèves inscrits au lycée sont, quant à eux, scolarisés à Nahr al-Bared et suivent le programme libanais. Toutefois, quelques étudiants éprouvent des difficultés à le suivre et à l’assimiler : « En tout cas, si l’UNRWA ne couvrait pas les frais de transport, les parents des élèves n’auraient jamais pu se permettre de payer et d’envoyer leurs enfants à l’école, » souligne Mohamed al-Aswad, enseignant et membre du Comité Populaire.
Il explique : « Les problèmes qui touchent à l’éducation son liés à la situation économique très difficile. Plusieurs familles ont d’ailleurs obligé leurs enfants à quitter l’école et à chercher du travail. Je pense que c’est voulu et qu’ils aspirent à faire de nos enfants des ignorants et des incultes. »
Beyrouth et les camps voisins
Rashad est étudiant à l’université. Il partage la même petite pièce avec 20 autres jeunes gens qui ont fui la Syrie. Il est très en colère contre la situation et les conditions d’emploi de milliers de jeunes Palestiniens qui ont interrompu leur scolarisation. Il sait que les « Palestiniens du Liban sont privés de leurs droits fondamentaux nécessaires à leur survie. »
Sarcastique, il analyse : « Comment voulez-vous que le gouvernement libanais permette aux Palestiniens venus de Syrie de décrocher un poste au Liban ? Notre existence ressemble à une double farce que seuls les livres et les théories sauront élucider. Je suis universitaire et je n’ai pas la moindre idée sur la poursuite de mon éducation au Liban. »
Al-Akhbar a pris la direction du camp de Shatila que les années n’ont pas su changer. Les ruelles étroites du camp, déterminé à survivre, dégagent toujours l’odeur du sang des martyrs.
Nous avons essayé de rencontrer un responsable du comité populaire du camp, mais personne n’était dans les parages. Un passant nous a informés que la veille, un affrontement armé a eu lieu, dans lequel un jeune Palestinien de Syrie qui était venu d’Allemagne pour une visite, a été tué. C’est pourquoi, le camp était en état d’alerte. »
Nous nous sommes donc rendus à une ONG appelée Najdeh Now (Le Secours Maintenant) où le coordonnateur Abu Khaled al-Aidi nous a expliqué le rôle que joue son organisation dans la prise en charge des réfugiés. Il déclare : « Nous avons commencé notre travail il y a quatre mois, lorsque nous avons décidé de quitter l’Allemagne pour nous installer ici au Liban. Au départ, nous avons commencé par mener un recensement général des réfugiés établis à Shatila, Daouk, Said Hawwash et Hay al-Sellom. Nous avons ensuite fourni des matelas et environ une centaine de paniers de vivres. Nous avons également apporté une assistance médicale standard aux palestino-syriens, mais principalement aux Syriens de souche (qui n’étaient pas Palestiniens) et qui souffraient énormément. »
« Pourquoi tous les réfugiés Syriens ne sont-ils pas traités comme des réfugiés ? » demande-t-il. « De cette façon, la responsabilité incombera au Haut Commissaire des Nations Unies pour les Réfugiés (l’UNHCR) de faire appliquer le droit à la santé, à un travail, et à un lieu de résidence. »
Abu Khaled a invité toutes les organisations humanitaires non gouvernementales à se concentrer non seulement sur l’aide, mais aussi à mettre en place des groupes de pression pour que les réfugiés de Syrie soient traités comme des réfugiés.
En dehors de l’ONG, une femme d’une soixantaine d’années semblait attendre al-Akhbar. Dès qu’elle a su que des journalistes étaient dans le camp de réfugiés de Yarmouk en Syrie, elle a voulu parler de ses petits-enfants qui ont dû quitter leurs universités. « Ils doivent finir leur formation à l’université, » insiste Umm Imad.
Elle met le doigt sur une question clé. Que vont faire les université et les instituts techniques ? Même si le gouvernement libanais résout la question de leur statut, les jeunes réfugiés obtiendront-ils l’argent nécessaire pour poursuivre des études au Liban ?
Le sud
Le plus grand camp dans Saida, Ain al-Hilweh, héberge autour de 7000 réfugiés venus de Syrie. Au comité populaire du camp, chacun se préparait à une protestation devant les bureaux de l’UNRWA pour exiger le retour des réfugiés en Syrie et de meilleurs services de santé et d’éducation, en plus de la fin de la violence dans les camps en Syrie.
Au rassemblement, Al-Akhbar a rencontré Haifa Al-Atrash, une peintre palestinienne venue de Yarmouk avec sa famille. Elle travaille maintenant avec un comité assistant les réfugiés de Syrie dans Ain al-Hilweh.
« J’ai trois enfants. Nous sommes partis et avons pris avec nous une partie de notre épargne. Mais la vie au Liban est très chère et notre épargne a été dépensée depuis longtemps, » explique-t-elle. « Ainsi nous avons dû rechercher du travail et c’est où la vraie souffrance commence. Nos enfants ont été privés d’éducation parce qu’ils ont dû travailler. L’UNRWA n’a pas fait son travail, en particulier assurer les programmes d’enseignement. »
Quant aux comités populaires, il y a un manque de moyens et même de la négligence. Mais l’OLP porte la responsabilité de ne pas organiser la situation des réfugiés. « Certains ont dû dormir dans les rues de Saïda. Les mécanismes [d’aide] sont fragiles et les capacités sont faibles. Il devrait y avoir eu un plan depuis le début des événements. L’aide ne couvre pas même le minimum de besoins des familles. Il y a également de la négligence et une répartition injuste de l’aide injuste. »
Abu Jihad, responsable du comité investi que la question des Palestiniens réfugiés au Liban, indique que « Ain al-Hilweh est densément peuplé et n’a pas assez de maisons. Si le nombre d’habitants à l’origine était de 40 000 et que 4000 de plus sont arrivés, imaginez l’importance des problèmes dus à cette surcharge. »
« Les loyers étaient d’environ 200 dollars par mois. Quand les réfugiés sont venus, ils ont sauté à 400 puis à 500. Ce n’est pas de l’exploitation, ça ? » explique-t-il. « Les taux de marginalité par rapport au système scolaire sont en hausse, à cause des conditions de vie difficiles, et des enfants sont obligés par leur famille d’aller travailler. »
Il y avait moins d’agitation dans le camp de Rashidieh à Tyr, en dépit des mêmes récriminations. Mais cela a peut-être à voir avec la nature du camp du sud. « Les gens dans ce camp sont vraiment attentionnés et généreux, et ils s’entraident, » dit Umm Mohamed.
Tarek Ibrahim, qui sourit tout au long de cette entrevue, décrit la situation. « Il y a des problèmes avec la santé, l’éducation, et le prix des loyers. Mais le plus grand problème est de trouver du travail. J’ai recherché n’importe quel genre de travail depuis que Je suis arrivé. Mais les gens ici sont solidaires, en dépit de leur pauvreté »
Al-Akhbar a pris les récits qui suivent parmi ceux en situation de diriger. La première rencontre était avec Abu Iyad Shaalan, secrétaire des comités populaires au Liban. « Dès le début, nous avons traité la situation selon les principes habituels de d’abord examiner, puis de communiquer avec des organismes locaux et internationaux pour que soit assurée la survie quotidienne des réfugiés, » dit-il.
« La présence à l’intérieur des camps de la majorité des Palestiniens déplacés de Syrie, a facilité la fourniture de nourriture et d’une aide non-alimentaire, », nous explique-t-il. « Le problème est que ceux en dehors des camps sont moins en contact avec les organisations humanitaires. »
Quant au Croissant Rouge Palestinien (CRP), « l’aide alimentaire a été distribuée en coordination avec le Croissant Rouge du Qatar dans le sud, mais le nord a été négligé. Les Qatari ont refusé de traiter avec n’importe quel bord politique, mais ils ont accepté de travailler avec le CRP » ajoute-t-il. « Quant à l’OLP, nous avons fourni un peu d’argent. Nous avons reçu 250 000 dollars (50 000 du service pour les réfugiés, 50 000 en donations de Cisjordanie, et 150 000 de l’Autorité Palestinienne). Les sommes ont été réparties entre 5 000 familles et 2000 familles restent à pourvoir. »
« Nous avons informé l’UNRWA qu’elle devait renforcer ses services et son personnel, ce qu’ils ont fait. Ils ont recruté 30 personnes supplémentaires et l’argent sera transféré à l’organisme d’aide humanitaire au Liban, » dit-il encore.
Du point de vue de l’éducation, « l’UNRWA et le gouvernement libanais ont accepté de reconnaître officiellement les certificats pour la neuvième année et le baccalauréat. Nous devrions faire pression sur l’UNRWA pour qu’elle remplisse ses engagements. Nous ne recherchons pas de l’espace supplémentaire [pour les réfugiés], mais dans le même temps, l’UNRWA doit subventionner pour les familles les coûts de location, jusqu’à ce que la crise soit résolue. »
Mais si la situation en Syrie s’aggrave encore, augmentant alors le nombre de réfugiés, y a-t-il un plan quelconque ? « Nous avons peur que l’Israël déclenche quelque chose au Liban et alors, la question pour les Libanais et les Syriens/Palestiniens sera : où aller maintenant ? » Shaalan répond : Franchement, je n’en sais rien. »
Il conclut en disant que ceux qui font face à des problèmes ou ont des plaintes à faire valoir peuvent se rendre aux sièges sociaux du Camp Mar Elias à Beyrouth. « Le bureau des comités populaires est ouvert à tous. »
16 avril 2014 – Al-Akhbar – Vous pouvez consulter cet article à : https://english.al-akhbar.com/conten… Traduction : Info-Palestine.eu – CZ & Niha