Il faut vraiment lire la tribune hallucinante de The Economist sur la Crimée et le nouvel ordre mondial. Si certains tombent dans une russolâtrie excessive, ici, la bible des néolibérales tombe dans une russophobie radicale et un occidentalisme quasiment xénophobe et sans nuance.
Réécriture de l’histoire ukrainienne
Le traitement de l’information concernant l’Ukraine et la Crimée est hallucinant. Le rattachement de la Crimée à la Russie est qualifié d’annexion, terme qui semble bien impropre, étant donné que les habitants de l’ancienne province ukrainienne se sont exprimés de manière très claire en faveur de ce rattachement dans un référendum. Bien sûr, les opposants soulignent que les conditions du référendum n’étaient pas optimales, avec un délai trop court, la présence de milices et pointent des taux de participation extrêmement élevés à Sébastopol, qui démontreraient des fraudes massives.
Mais ils oublient de rappeler que pas une organisation sérieuse n’a remis en cause les conditions globales du scrutin, le fait que 96 % des votants (avec 83 % de participation, qui plus est) se sont prononcés en faveur du rattachement et que tous les témoignages semblent bien indiquer qu’une large majorité de la population souhaitait ce changement. Du coup, comment ne pas trouver malhonnêtes ceux qui qualifient le rattachement de la Crimée d’annexion, certains osant même comparer Poutine à Hitler, ou ceux qui disent que la population a voté avec un pistolet sur la tempe.
Bien sûr, Vladimir Poutine n’est pas un enfant de chœur. Il n’est pas pour moi un modèle politique du fait de ses pratiques démocratiques (j’ai même reproché à Marine Le Pen d’avoir dit qu’elle l’admirait). Mais si je ne suis pas un russolâtre, je ne suis pas un russophobe non plus. Et Jacques Sapir a bien remis à leur place ceux qui contestent la légalité du référendum, sur son blog, puis sur France 2. J’ai l’impression que dans cette affaire, trop de commentateurs prennent un parti inconsidéré en faveur des Ukrainiens russophobes du seul fait qu’ils penchent vers l’Europe, oubliant même que le nouveau gouvernement comporte des personnalités douteuses, ce que rappelle Olivier Berruyer.
Un occidentalisme à courte vue
Mais la tribune de The Economist a l’autre intérêt de révéler un soutien benêt à l’impérialisme étasunien, habillé en un occidentalisme vaguement humaniste. Comment ce journal peut-il écrire : « en brandissant des rapports fabriqués de fascistes ukrainiens menaçant la Crimée, il (Poutine) a défié le principe qu’une intervention extérieure doit être un dernier ressort en cas d’une véritable souffrance » sans même dire que sur ce sujet, les États-Unis pourraient balayer devant leur porte, entre l’expédition hâtive et revancharde en Afghanistan puis celle, basée sur des mensonges, en Irak ?
Comment sérieusement vanter l’ordre mondial mis en place par les États-Unis à la fin de la guerre froide et dénoncer « le nouvel ordre de Poutine, construit sur la revanche, le mépris téméraire pour la vérité et le fait de tourner la loi pour faire tout ce qui convient pour ceux qui sont au pouvoir » alors que toutes les critiques faites à la Russie pourraient être faites aux dernières administrations au pouvoir à Washington ? Et The Economist n’a même pas la décence de souligner ces paradoxes pourtant trop évidents. Pire, comment de ne pas voir dans ces papiers une adhésion sans nuance à un impérialisme étasunien pas forcément plus civilisé et moins tourné vers son seul intérêt ?
Le traitement de l’information sur l’Ukraine est calamiteux. On constate trop souvent un soutien amnésique et sans nuance à toute personne favorable à un rapprochement avec l’UE et un éloignement de la Russie et une critique systématique des autres. Surprise, la réalité est un peu plus subtile…
Source : AgoraVox
https://www.agoravox.fr/actualites/international/article/de-l-annexion-de-la-crimee-et-du-149912