30 morts et plus de 100 blessés dans un attentat suicide contre un centre culturel kurde de Suruç (sud), situé à une dizaine de kilomètres de la ville syrienne de Kobané.
Au moins 30 personnes ont été tuées et une centaine d’autres blessées lundi dans la ville turque de Suruç, près de la frontière syrienne, lors d’un attentat suicide qui, selon les autorités turques, pourrait avoir été commis par le groupe takfiriste-wahhabite Daéch, selon le journal turc Hurriyet.
Si la paternité de l’attentat était confirmée, cette attaque serait la première survenue sur le sol turc depuis l’émergence du groupe radical, qui contrôle depuis plus d’un an d’importantes parties des territoires irakien et syrien, notamment près de la Turquie.
L’explosion, très forte, s’est produite aux environs de 12h locales dans le jardin d’un centre culturel kurde de Suruç (sud), situé à une dizaine de kilomètres de la ville syrienne de Kobané d’où les takfiristes de Daech ont été chassés en janvier après quatre mois d’intenses combats face aux milices kurdes de Syrie, PYD selon l’AFP.
Selon des sources médiatiques turques, citées par la chaine satellitaire iranienne al-Alam, l’attentat a été exécuté par un kamikaze à 12 h 05 heure locale dans le jardin du Centre culturel de la ville, alors qu’un autre kamikaze était sur les lieux de l’explosion, s’apprêtant à se faire exploser avant de se faire démasquer par les services de sécurité turcs et de l’arrêter.
Dans un communiqué, le ministère de l’Intérieur turc a fait état de 27 tués et d’une centaine de blessés hospitalisés, insistant sur le caractère provisoire du bilan.
Peu de temps après, un responsable du bureau du premier ministre turc interrogé par l’AFP a fait état de 28 morts.
« L’explosion a été provoquée par un attentat suicide », a précisé ce responsable sous couvert de l’anonymat, ajoutant que les autorités turques avaient « de fortes raisons » de croire que cette attaque terroriste avait été perpétrée par le groupe EI.
Peu après cette première explosion, une autre attaque à la voiture piégée a visé un barrage de sécurité établi par les milices kurdes dans le sud de Kobané, de l’autre côté de la frontière, a rapporté l’Observatoire syrien des droits de l’Homme (OSDH), une officine au service de l’opposition syrienne et de ses sponsors occidentaux.
« Un kamikaze a fait exploser un véhicule piégé à un point de contrôle dans le sud de Kobané. Deux combattants kurdes ont été tués par l’explosion », a déclaré Rami Abdel Rahman, le directeur de cette ONG qui dit disposer d’un très large réseau d’informateurs sur le territoire syrien.
Cette attaque quasi-simultanée côté syrien « renforce nos suspicions » envers le groupe État islamique, a indiqué à l’AFP le responsable turc.
L’attentat de Suruç s’est produit alors que des associations turques proches de la gauche s’apprêtaient à annoncer leur volonté de traverser la frontière pour se rendre à Kobané. Ce groupe résidait au centre culturel de Suruç cible de l’attentat.
Il faut dire que l’attentat suicide intervient quelques semaines après le renforcement par les autorités turques de son dispositif militaire à la frontière syrienne, au lendemain de la victoire remportée par les milices kurdes de Syrie face aux combattants takfiristes dans la bataille pour le contrôle d’une autre ville frontalière syrienne, Tall Abyad.
Selon les analystes, cette décision du gouvernement islamo-conservateur turc visait à la fois à contrer le groupe Daech mais aussi à bloquer l’avancée dans le nord de la Syrie des forces kurdes, proches du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK) qui mène depuis 1984 une rébellion contre Ankara.
Les pays occidentaux reprochent régulièrement au gouvernement islamo-conservateur d’Ankara sa neutralité, voire sa complaisance, vis-à-vis des organisations radicales en guerre contre le régime du président syrien Bachar al-Assad, dont l’EI.
La Turquie a toujours démenti ces allégations mais elle a jusque-là refusé de prendre part à la coalition militaire anti-Daech dirigée par les Etats-Unis.
Sous le feu des critiques de ses alliés, elle a toutefois depuis un an sérieusement resserré ses contrôles dans les aéroports et à sa frontière pour empêcher le transit par son sol des recrues étrangères de Daech en route vers la Syrie.
Elle a également mené ces dernières semaines plusieurs opérations de police, très médiatisées, pour démanteler les filières jihadistes qui passent par son territoire. Mais en même temps les services secrets turcs ont massivement aidé l’opposition syrienne proche d’al-Qaïda à conquérir les deux villes frontalières d’Idlib et de Jisr al-Choughour.
Cet attentat intervient au moment où des divergences sérieuses apparaissent au grand jour au sein de l’AKP, au pouvoir, notamment entre l’ancien président Gül et son successeur Erdogan à propos de la politique régionale de la Turquie. Cela ne va pas manquer de peser contre l’actuel président, déjà en difficulté après les dernières élections législatives qui lui ont fait perdre la majorité absolue au parlement.
En attendant toute la classe politique tait, provisoirement, ses divisions, et condamne cet attentat.
Des réactions unanimes
C’est ainsi que le président de la République Recep Tayyip Erdogan qui se rendait à Chypre du Nord au moment de l’attentat s’est exprimé lors d’une conférence de presse avec son homologue Mustafa Akinci. Il a condamné cette attaque et s’est dit « profondément attristé de la mort de 28 personnes ». « Toute forme de terrorisme doit être condamnée, il n’a ni religion ni nationalité » a-t-il conclu.
Le premier ministre Davutoglu a immédiatement dépêché le ministre de l’Intérieur Sebahattin Ozturk et le vice-premier ministre Numan Kurtulmus sur les lieux.
Sur le réseau social Twitter, le vice-premier ministre Yalcin Akdogan a maudit cet acte qu’il qualifie « d’effroyable et lâche ».
Le leader du CHP (Parti républicain du peuple) Kemal Kilicdaroglu a « condamné cet acte lâche » et a indiqué regretter la perte « d’enfants de la Nation ».
Du côté du HDP (le Parti démocratique des peuples) le député de Mersin Dengir Mir Mehmet Firat a déclaré que cette attaque visait « toute la Turquie ». Il a indiqué que l’Etat islamique essaye de se venger de ses défaites dans le Rojava (nord de la Syrie sous le contrôle des Kurdes). Une déclaration signée conjointement par les deux leaders du parti Selahattin Demirtas et Figen Yuksekdag accuse le groupe État islamique d’avoir commis cet « attentat terrible ». « Nous avons encore une fois été témoins de ce que peut faire le barbarisme, nous devons être unis » ont-ils lancé.
Une chose est sûre : cet attentat va affaiblir la stratégie agressive et complaisante d’Erdogan vis-à-vis des groupes islamistes syriens, creuser le fossé entre l’AKP et les Kurdes de Turquie et risque, au cas où l’actuelle assemblée ingouvernable serait dissoute, à perdre même le pouvoir à l’issue de nouvelles élections.