Le Maroc a corrompu, corrompt et continuera de corrompre des intervenants douteux à l’ONU sur la question du Sahara occidental. Les preuves existent. Mais sans résultat, pour l’instant.
Pour défendre sa thèse sur l’occupation coloniale du Sahara occidental et son projet d’autonomie, le Maroc n’hésite pas à corrompre des pétitionnaires issus de la société civile de divers pays, pour défendre son « Initiative pour l’autonomie » du Sahara occidental devant la 4ème Commission de l’Assemblée générale de l’ONU. Obtenus par le hacker Chris Coleman, spécialiste des secrets touchant le conflit au Sahara occidental, ces documents datés de 2012, révèlent les noms de six pétitionnaires, les conditions de leur « prise en charge » et les thèmes sur lesquels ils devaient intervenir. Il est intéressant d’aller plus loin pour savoir qui sont ces pétitionnaires et comment fonctionne le système.
Parmi ces documents, figure une note du ministère marocain des Affaires étrangères portant en entête les initiales F.E.H. Elle est adressée au directeur général de l’Agence marocaine de Coopération internationale. « Conformément aux instructions de Monsieur le Ministre, j’ai l’honneur de vous communiquer, ci-après, les noms et prénoms des pétitionnaires qui témoigneront en faveur de notre cause nationale et qui seront pris en charge par ce Département », peut-on lire.
La « prise en charge » comprend un per diem de 2200 dollars (soit $8800 pour quatre jours à New York et quatre minutes d’intervention) comme frais de séjour et de transport de et vers l’aéroport, un billet d’avion classe Affaires, une chambre d’hôtel à New York pour cinq nuits. Redouane Houssaini, chef de la Division des Nations Unies « assurera le suivi de question avant son départ à New York », est-il précisé.
Un tableau indique, outre les noms des pétitionnaires, leur pays d’origine, leur profil et le sujet sur lequel ils doivent intervenir à la 4ème Commission : l’initiative de l’autonomie comme forme de l’autodétermination, la recrudescence de la menace terroriste au Sahel et les liens entre les groupes terroristes, les mouvements séparatistes et la criminalité transfrontalière, la régionalisation avancée et l’initiative marocaine pour l’octroi d’un statut d’autonomie, la légalité de l’initiative marocaine d’autonomie, la dimension « Droits de l’Homme » et démocratique de l’Initiative marocaine d’autonomie. Tous ces thèmes seront soigneusement développés par les intervenants.
Les principaux pétitionnaires sont le Colombien Alberto Moreno, le Norvégien Eric Cameron, le Malien Kounta Sidy al Moctar, le Grec Kostal Koliopoulos, le Péruvien Fernando Rosas Moscoso et le Canadien Jean-Louis Roy.
Alberto Abello Moreno (légalité de l’Initiative marocaine d’autonomie) est un « allié » solide du Maroc. « Le Sahara occidental est une ancienne colonie espagnole et fait partie du territoire du Royaume du Maroc. Il est essentiel pour la paix de préserver l’unité du Royaume du Maroc », déclarait-il, le 10 octobre 2012 à la tribune de la 4ème Commission de l’Assemblée générale. Il mettait en avant les « réformes constitutionnelles prises par le Royaume du Maroc, notamment en faveur du renforcement de l’état de droit. »
Sidy el Moctar Kounta, expert malien sur les questions sécuritaires (recrudescence de la menace terroriste…), s’est dit « partisan de la proposition du Maroc pour l’autonomie des provinces du Sahara », est, lui aussi, intervenu devant la 4ème Commission, en 2012, qualifiant l’autonomie de « crédible et sérieuse ». Il est revenu en 2013, pour remercier le Maroc pour son soutien « dans une totale et efficace discrétion » et renouveler son appui à la position marocaine. Il a longuement loué le Royaume chérifien pour sa « modération et sa stabilité politique ».
Konstantinos Koliopoulos, (légalité) universitaire grec, publiait en 2015 une étude intitulée « La question des droits historiques dans l’affaire du Sahara marocain/occidental ». « D’un point de vue historique, le droit du Maroc sur son Sahara est incontestable » explique Koliopoulos qui s’intéresse, également, à la « composition raciale » dont il estime qu’ « elle a toujours été caractérisée par une mixité entre Arabes et Amazighs ». Dans ce cas, conclut-il, « il n’y avait pas une exception entre le Maroc et la province du Sahara marocain/occidental ». Et donc, doit-on en conclure, le Sahara occidental est bien marocain. Il a, bien sûr, défendu, en 2012, la position marocaine devant la 4ème Commission, affirmant que l’indépendance sahraouie lui semble « irréaliste », alors que « l’autonomie se fera dans tous les cas de figure ».
Jean Louis Roy, (Dimension droits de l’homme) créateur de l’Observatoire mondial des droits de l’homme, président-Directeur général de Partenariat International à Montréal, au Canada, ne cesse d’intervenir à la tribune de conférences et autres assemblées internationales, depuis des années, pour faire l’éloge du régime marocain. En mars 2016, il s’exprimait dans le cadre d’un séminaire international de recherche organisé par la Mission permanente du Maroc à l’ONU, au siège de l’organisation, sur le thème des « Relations extérieures des régions autonomes et la coopération transfrontières ». Il insistait sur « l’importance de l’Initiative marocaine d’autonomie comme levier de stabilité, de paix et de développement pour les populations et les territoire en cause ». Il a répondu présent à la 4ème Commission.
Eric Cameron, de « World Action for Refugees , est un anti-Algérien acharné qui dénonce, depuis des années, notamment aux tribunes qui lui sont offertes à l’ONU, la responsabilité du Front Polisario dans l’ « impasse actuelle » et soutien l’Initiative pour l’autonomie du Sahara occidental. Il a fait son travail à la 4ème Commission en énonçant la liste des « conditions de vie inhumaine dans les camps de Tindouf » et a insisté sur la responsabilité algérienne.
Fernando Rosas Moscoso, s’exprimant en tant qu’historien de l’université du Pérou, a expliqué, à la tribune de la 4ème Commission, que les droits du Royaume du Maroc sur le Sahara occidental remontent, au moins, au XVIe siècle. « Aujourd’hui, le Royaume du Maroc a proposé un plan d’autonomie et de réforme, passant par le droit à l’autodétermination du peuple sahraoui », dit-il en ajoutant que les problèmes actuels ont été crées de manière artificielle « et sont suscités par des acteurs extérieurs au Maroc ».
Dans second document, le ministère marocain de l’Intérieur indique une liste de neuf noms de « pétitionnaires étrangers » susceptibles, également, de soutenir la position marocaine et qui sont, effectivement, intervenu lors de la 4ème Commission. Le choix est intéressant :
Nancy Huff est la présidente de « Teach the Children International », une organisation américaine ultra-conservatrice qui pratique, sur la base des valeurs les plus réactionnaires, « la stratégie de la prière dans l’éducation ». « La stratégie de la prière dans le système éducationnel consiste à identifier l’esprit le plus puissant derrière notre système d’éducation, puis à enseigner les stratégies de prière sur la façon se repentir, prier et faire des déclarations prophétiques qui changeront nos écoles et, finalement, notre pays ». L’organisation est présente au Maroc pour « assister les Sahraouis qui reviennent dans leur pays », depuis les camps de réfugiés de Tindouf en Algérie. Elle intervient en collaboration avec Buckner International, une autre organisation d’extrême droite catholique américaine dont la mission est de « transformer les vies des enfants vulnérables, enrichir celles des adultes et construire des familles fortes par les valeurs séculaires du Christ ». À la tribune de la 4ème Commission de 2012, Nancy Huff a accusé le Front Polisario d’avoir séparé les enfants sahraouis de leurs familles depuis 1975, en créant les camps de Tindouf, sous prétexte d’éducation. Mais, accuse-t-elle « ils ont envoyés des milliers d’enfants à Cuba, en Libye, en Algérie, dans les pays de l’ex-Union soviétique ». Et tout à l’avenant.
Gale Sherrill, de la « Landing Community Church » qui se présente comme une ONG, mais est, également, une église américaine fanatique, a développé, elle aussi, à la 4ème Commission, l’idée que l’indépendance du Sahara occidental « n’est pas un objectif réaliste », en insistant sur la réunification des familles, le démantèlement des camps de réfugiés et bien sûr sur l’autonomie du Sahara occidental.
Tanya Warburg est directrice de « Freedom for All », une ONG britannique officiellement centrée sur la lutte contre le trafic sexuel et le travail forcé, assurant l’éducation, du travail et des programmes de prévention dans divers pays du monde. Est-ce un hasard ? Elle était au Maroc en mai 2012, pour une visite de travail au cours de laquelle elle a exprimé son « admiration de l’évolution qu’a connue le Maroc dans les domaines de la démocratie et de la protection des droits der l’Homme. » C’est une habituée de la 4ème Commission. En 2006, elle intervenait sur la « déportation massive des enfants avec l’aide de l’Algérie » et le détournement de l’aide internationale par le Polisario. En 2012, elle est toujours là pour remplir sa mission marocaine en intervenant, à son tour, sur la santé des enfants des camps de réfugiés et en accusant le Front Polisario d’avoir combattu aux côtés d’Al-Qaeda.
Anna Maria Stame Cervone est présidente de l’Organisation internationale démocrate-chrétienne des femmes et représentante à l’ONU de l’Internationale démocrate-chrétienne. À la tribune de l’ONU, elle a défendu l’idée que le Front Polisario n’était pas un mouvement de libération, car « en 1963, les dirigeants du Front Polisario étaient tout juste nés ». C’est, dit-elle le Maroc qui a pris l’initiative d’inscrire le Sahara occidental sur la liste des territoires non autonomes, en invoquant l’intégrité territoriale pour justifier son processus de décolonisation. « Le conflit du Sahara est un conflit fictif fabriqué dans le but d’affaiblir le Maroc », a-t-elle conclu. C’est une « vieille routarde » de la propagande anti-algérienne et complice invétérée du français Aymeric Chauprade, professeur à la Sorbonne et député européen du Front national, mais aussi conseiller du Roi sur la question du Sahara occidental. En 2004, ils organisaient ensemble une conférence à l’Université de Genève sur le danger des mutations du Polisario du fait, entre autres, « de l’arrivée dans ses rangs et parmi ses dirigeants d’une nouvelle génération de jeunes ayant étudié à Alger et dont la référence idéologique se situe plus du côté de l’islamisme militant que des théories marxistes-léninistes révolutionnaires » – ce que Cervone et Chauprade n’auraient certainement pas apprécié non plus ! Et de spéculer sur les liens entre « la nouvelle génération » du Polisario et les réseaux terroristes internationaux et régionaux.
Jane Bahaijoub, présidente de Child and Family Protection , a indiqué que les camps de Tindouf situés dans le sud-ouest de l’Algérie existaient depuis plus de 37 ans et ce malgré le statut des Nations Unies relatifs aux réfugiés. Elle a rappelé « la position de États-Unis sur cette question, qui met l’accent sur la stabilité du Maroc ». « Le plan d’autonomie est sérieux, réaliste et crédible », a-t-elle dit. En 2008, à cette même 4ème Commission, elle plaidait pour séparer le politique de l’humanitaire dans le conflit du Sahara occidental. Mais c’était pour mieux accuser l’Algérie de truquer le nombre de réfugiés dans les camps de Tindouf et de tout faire pour qu’ils ne reviennent pas en territoire occupé par le Maroc. Elle défendait, déjà, le plan marocain d’autonomie comme la « seule solution viable » et qualifiait l’indépendance du Sahara occidental de « proposition non réaliste ».
Sydney S. Assor est président du Surrey Three Faiths Forum , une organisation britannique fondée et dirigée par des laïcs et des cléricaux, qui se donnent pour mission « de construire la compréhension et des relations durables entre les peuples de toutes les croyances et religions », est spécialisée dans l’éducation et est présente au Sahara occupé. Il a plaidé en faveur de la libération « des prisonniers du camp de Tindouf », insistant sur le terme de « prisonniers » et s’indignant qu’on puisse les appeler « réfugiés ». Pour lui, ces personnes sont victimes d’un conflit « provoqué par ceux qui ne reconnaissent pas les droits du Maroc sur le Sahara occidental ». Il a ajouté que le Maroc n’avait cessé d’être ouvert à la négociation sur la base des principes arrêtés par le Conseil de sécurité. Le Maroc s’est également engagé à respecter l’initiative d’autonomie qu’il a proposée en 2007 et que la communauté internationale a qualifiée de « sérieuse, réaliste et crédible », à l’exception des personnes concernées, a encore estimé le pétitionnaire. Pour lui, « le Front Polisario est responsable de cette impasse » parce qu’il pose des obstacles à « une solution juste à un différend artificiel qui pose un danger pour toute la région du Sahel ». Surrey Three Faiths Forum et Freedom For All travaillent depuis longtemps main dans la main pour le Maroc et son Initiative d’autonomie.
On peut s’arrêter là pour les pétitionnaires étrangers représentants d’organisations religieuses ultra-réactionnaires, ou d’ONG/Droits de l’Homme de droite à visées politiques dont le point commun est de se mettre au service, depuis des années, du Royaume chérifien, aux frais du peuple marocain, en intervenant à la 4ème Commission autour de thèmes précis, utilisant les mêmes expressions, sous la dictée chérifienne. Des organisations qui diffusent, aussi, la propagande marocaine au sein de la population sahraouie avec laquelle elle est en contact sur le terrain.
Deux autres documents, l’un émanant du ministère marocain de l’Intérieur, l’autre de la DGED, le service de renseignements et de contre-espionnage du Maroc, proposent une liste de dix-huit noms de pétitionnaires marocains, pour le premier et vingt-et-un pétitionnaires étrangers « proposés », issus de tous les continents, pour le second.
La question est comment, pourquoi et pour qui ces noms ? Originaire du Sénégal, Thione Niang, jeune président du Comité International des Jeunes démocrates d’Amérique qui a fait campagne pour Barack Obama, a été contacté par la DGED, il y a quelques années. En 2010, il fait un voyage au Maroc, visite Laâyoune et le camp de réfugiés Tindouf 1, au Sahara occidental. « J’ai beaucoup appris de ma visite au Sahara », déclarait-il, ajoutant, « Au Maroc, je me sens chez moi ! ».
À son retour, il transmet un rapport à Mohamed Cherkaoui, un officier de la DGED ( https://www.arso.org/Coleman/Actions_Report-1.pdf), pour rendre compte à l’agent marocain de ses actions à Washington : conférence avec son organisation Young Democrats of America « qui ne connaissaient rien au Sahara avant votre implication », demande de réunions avec le Département d’État et la Maison Blanche « pour les informer », en présence de « jeunes Marocains et de jeunes gens venus des camps », réunion avec le président du Black Caucus au Congrès, Donald Payne, homme politique important et « ami de l’Afrique » qu’il faut convaincre, entre autres, de « s’intéresser aux deux côtés pour avoir une meilleur image de la situation, tout comme je l’ai fait ».
Niang note qu’il a « appris que les bases de l’autre côté (comprendre l’Algérie et la RASD) sont très puissantes à DC (Washington) et ont réussi à pousser le Maroc dans ses retranchements ». Il rend compte, également, de réunions avec d’autres membres du congrès, et informe de l’article qu’il a envoyé au Washington post et au New York Times à son retour, comme lui avait demandé Cherkaoui, mais qui n’ont « pas encore été publiés ».
Face aux difficultés de publier des articles dans la presse peu intéressée ou saturée par le sujet, Niang propose d’ « avoir une approche différente » qui lui permettra de « naviguer autour de DC en gardant à l’esprit que l’objectif ultime est de montrer que le plan d’autonomie est idéal pour résoudre la question. Tout le monde a des informations venant de l’autre côté, mais personne n’en a venant du Maroc sur les derniers événements à Laâyoune, précise-t-il, faisant référence aux affrontements, le 8 novembre 2010, entre des manifestants sahraouis et les forces marocaines qui ont fait plusieurs morts, de nombreux blessés et entraînées plus de 150 arrestations.
La nouvelle approche de Niang, telle qu’il l’explique, exige de ne pas avancer à visage découvert pour éviter qu’on l’accuse d’être « acheté » par le Maroc. « Nous devons créer un plan stratégique pour construire un carnet d’adresse solide à DC » en utilisant les données que le Maroc possède. Il propose de le faire avec son « équipe ».
Malgré toute la bonne volonté de l’agent américain Thione Niang et les efforts des services secrets marocains, le lobby marocain n’a pas, pour l’instant, atteint son objectif. Le 23 mars dernier, suite à ses accusations de violation des droits de l’Homme au Sahara occidental, la Commission ad hoc du Congrès américain organisait des auditions, à la demande du lobby pro-algérien. Les pro-Marocains n’y ont pas assisté. Quelques jours plus tôt, le 5 mars, à Tindouf, le secrétaire général de l’ONU Ban Ki-Moon, avait qualifié d’ « occupation » la présence marocaine.
Quant à la 4ème Commission 2016, la résolution coparrainée par vingt-six pays dont l’Algérie et adoptée par consensus le 10 octobre, réaffirme la doctrine de l’ONU sur la question. Elle réaffirme, en rappelant onze résolutions votées par le Conseil de sécurité depuis 2007, le droit à l’autodétermination sur l’indépendance (et non à l’autonomie, comme le veut le Maroc) du peuple sahraoui, et le soutien de l’Assemblée générale au processus de négociations en appelant toutes les parties et États de la région à coopérer avec l’émissaire de l’ONU.
Sources
www.plan-paix-onu.blogsport.fr
www.teachthechildinternational.com
https://www.arso.org/Coleman/Actions_Report-1.pdf