Pour la façade, Trump semble saluer les pourparlers de paix des deux Corées… comme prévu. Citation des ‘Prédictions pour 2018’ du mois de janvier dernier : « En 2018, attendons-nous à ce que la rhétorique des menaces entre la Corée du Nord et les USA perdure, jusqu’à ce que l’opportunisme politique dicte une conduite plus pacifique et diplomate à Trump, par exemple en amont des élections de mi-mandat ». Lesdites élections de mi-mandat se tiendront en novembre prochain, et effectivement, Trump et les partis sont déjà en campagne.

– Drapeau de l’unification des deux Corées
Quoi qu’il en soit, comme presque toujours, les actes de Trump démentent ses propos : il vient de nommer l’amiral Harry Harris, un faucon de guerre notoire, au poste d’ambassadeur des USA en Corée du Sud, ce qui n’argue certes pas d’une volonté d’accompagnement d’un quelconque processus de paix.
Mais il y a encore bien plus décourageant.
Pendant au moins une journée, la rencontre Kim-Moon apparaîtra comme le plus important événement au monde. Ce n’est pas le cas. Le spectacle médiatique fracassant n’est que du show, de la forme sans fond, de l’émotion en lieu et place de réalité. Quoi qu’en disent les deux leaders, la vraie paix reste une lointaine ambition, sans même parler de réunification. Et les choses ne vont pas beaucoup changer après le sommet Trump-Kim prévu pour juin.
La raison profonde de ce pessimisme est aussi fondamentale qu’incontournable. C’est que l’empire américain veut et a besoin de maintenir une formidable armée d’occupation en Corée du Sud, qui tient les forces armées de Séoul sous son contrôle. Cette réalité signifie que Washington détient un veto efficace contre toute démarche destinée à instaurer une paix authentique. Toute démarche de ce type irait à l’encontre directe des intérêts de l’empire.
L’une des raisons est que la paix affaiblirait le prétexte des USA au maintien de ses forces en Corée du Sud – et l’emprise de Washington sur le gouvernement de Séoul, aussi bien que sur les développements politiques coréens. Elle écornerait également les profits des marchands d’armes du tout-puissant complexe militaro-industriel américain. Par dessus tout, une flambée de paix et d’harmonie minerait la raison N°1 de la présence américaine en Asie de l’Est depuis sept décennies : l’endiguement de la Chine. Au prétexte de contrer le « régime voyou » de Pyongyang (et de protéger ses alliés de Séoul et de Tokyo), Washington enferme la Chine en entourant ses voisins socialistes de forces militaires destinées à l’intimider.
Et puisque l’empire a récemment décidé de se confronter à la Chine (et à la Russie), il est inimaginable qu’il permette une telle « dépressurisation » dans la super-stratégique péninsule de Corée. Les mois à venir vont donc voir nombre de poses avantageuses, d’affrontements à buts électoralistes et de pure poésie. Rien de tout cela n’aura beaucoup d’effet sur les réalités de terrain.

– Dessin de Chappatte, Suisse
Note de la Traduction Corinne Autey-Roussel pour Entelekheia Illustration : Drapeau de l’unification des deux Corées, rencontre sportive.
Note de la traduction : Thomas Hon Wing Polin expose correctement la situation, bien sûr, mais « l’effet d’optique » (comme dirait Hillary Clinton) jouera de toutes façons de plus en plus en défaveur des USA, ce qui peut être la vraie stratégie des leaders coréens Kim et Moon. Moon Jae-in, le président de la Corée du Sud occupée par les USA, en particulier, ne peut pas ignorer à qui il a affaire et doit pleinement réaliser qu’ils n’autoriseront ni l’émancipation de son pays ni, a fortiori, une paix qui les forcerait à plier bagages, à fermer leurs quinze bases militaires locales, à rapatrier leurs forces et leur armement lourd (notamment l’inutile mais lucratif bouclier antimissile THAAD), et à laisser le champ libre à la Chine dans sa zone d’influence naturelle.
Donc, la tactique coréenne est autre et au vu de ce qui se passe, elle semble se situer dans la sphère de la communication. En affichant aussi spectaculairement que possible la volonté de paix et d’unification des deux Corées, Moon et Kim dénoncent implicitement l’Amérique « des valeurs » comme une trouble-fête indésirable. Combien de temps les États-Unis vont-ils pouvoir maintenir leur emprise sur la Corée du Sud, combien de temps pourront-ils y multiplier leurs exercices militaires de masse « pour prévenir la menace nord-coréenne », comme ils le font actuellement, au regard de l’érosion de leur image mondiale due à leur présence indue en Corée du Sud et à leur bellicosité déplacée entre deux pays où ils dérangent tout le monde et dont ils entravent les espoirs d’harmonisation ? En résumé, les deux Corées semblent bien engagées dans une opération de communication destinée à enfermer les USA dans une position aussi inconfortable que possible. C’est très probablement le sens de la déclaration commune de Kim et Moon d’aujourd’hui, « Nous déclarons solennellement à nos 80 millions de Coréens et au monde entier qu’il n’y aura plus de guerre sur la péninsule de Corée et qu’une nouvelle ère de paix s’ouvre ».
Guerre de la communication, donc, et pour le moment, ce sont les Corées qui gagnent.
Polin Post Facebook intitulé Korea Overtures : Style Over Substance
Thomas Hon Wing Polin a été journaliste international et co-rédacteur en chef d’Asiaweek. Il contribue encore régulièrement aux colonnes du magazine en ligne américain Counterpunch, entre autres. Il est basé à Hong Kong.
https://www.entelekheia.fr/coree-ouvertures-en-trompe-loeil/