À l’occasion du 70e anniversaire de l’armistice, un nouvel appel en faveur d’un traité de paix entre Washington et Pyongyang.
Par Gabriela Bernal
Lorsque l’on parle de « guerre » en 2023, la plupart des gens pensent immédiatement à l’Ukraine, puis éventuellement à la Syrie, au Yémen, au Myanmar ou à l’Afghanistan. Très peu de gens auraient d’abord pensé à la Corée à la mention du mot « guerre », et encore moins lorsqu’il s’agit d’une « guerre sans fin », un terme que beaucoup, y compris l’actuel président américain Joe Biden, utilisent pour décrire la guerre en Afghanistan.
La guerre dans la péninsule coréenne, en revanche, dure depuis plus de 70 ans. Ce n’est pas parce qu’il n’y a pas de combats actifs que la paix règne. Les combats ont cessé en 1953, trois ans après le début de la guerre, à la suite d’un accord d’armistice, et non d’un traité de paix. Si la signature d’un tel traité n’a plus été une priorité au cours des sept dernières décennies, la situation militaire de plus en plus volatile et risquée dans la péninsule coréenne ne peut plus être ignorée.
La guerre de Corée a éclaté le 25 juin 1950 lorsque le Nord a envahi le Sud dans l’espoir de réunifier rapidement le pays sous la direction de Kim Il-sung. Le plan du Nord a cependant été déjoué lorsque le président Truman a annoncé l’intervention des États-Unis dans la guerre deux jours plus tard. Le Commandement des Nations unies (UNC) a ensuite été créé le 7 juillet 1950, ce qui a permis à 22 pays de fournir diverses formes de soutien à la Corée du Sud tout au long de la guerre.
Avec l’aide de l’UNC dirigé par les États-Unis, le Sud a rapidement pris le dessus et a pu repousser les forces nord-coréennes au nord du 38e parallèle à la mi-septembre. Cependant, le cours de la guerre a de nouveau changé lorsque la Chine a envoyé des troupes pour soutenir la Corée du Nord à la fin du mois de novembre. Après une série de victoires et de défaites, les combats se sont arrêtés autour du 38e parallèle en mai 1951. Des pourparlers de paix ont alors débuté en juillet et ont finalement abouti à la signature de l’accord d’armistice le 27 juillet 1953.
Bien que les combats entre le Nord et le Sud aient pris fin sur le papier, diverses provocations et incidents militaires se sont poursuivis tout au long de la Guerre froide. Parmi les exemples, citons le raid de la Maison Bleue en 1968, lorsque des agents nord-coréens ont tenté d’assassiner le président sud-coréen Park Chung-hee ; l’incident du meurtre à la hache en 1976, au cours duquel des soldats nord-coréens ont tué deux officiers de l’armée américaine ; l’attentat à la bombe de Rangoon en 1983, quand des agents nord-coréens ont tenté d’assassiner le président sud-coréen Chun Doo-hwan ; et l’attentat à la bombe contre le vol 858 de Korean Air en 1987, perpétré par deux agents nord-coréens.
Lorsque la diplomatie intercoréenne a pris de l’ampleur dans les années 1990, les provocations de la Corée du Nord ont commencé à se faire plus rares. Des progrès significatifs vers la paix ont été accomplis en 2000 lorsque les dirigeants des deux Corées se sont rencontrés pour la premier fois au cour d’un sommet.
Mais malgré ces progrès, les provocations nord-coréennes se sont poursuivies et ont évolué vers des actions plus menaçantes, culminant avec le tout premier essai nucléaire de la Corée du Nord en octobre 2006. Cette année-là a marqué un tournant dans l’histoire de la guerre de Corée. La nation, qui était autrefois considérée comme nettement inférieure à la Corée du Sud dans presque tous les domaines, a acquis le moyen ultime de défense et d’attaque : l’arme nucléaire.
Le fait que les deux parties aient évité la reprise d’un conflit total depuis l’armistice ne signifie pas pour autant que cette sinistre possibilité est exclue. En fait, la fréquence des provocations militaires a fortement augmenté depuis l’année précédente, le Nord ayant tiré plus de 90 missiles au cours de la seule année 2022. De son côté, la coopération militaire croissante de la Corée du Sud avec les États-Unis et le Japon, combinée à la montée des mouvements à Séoul réclamant un programme d’armes nucléaires propre à la Corée du Sud, n’a pas contribué à désamorcer la situation.
Depuis des décennies, les efforts de dissuasion n’ont pas réussi à persuader le Nord d’abandonner ses programmes nucléaires et de missiles. Le temps de la dénucléarisation par la dissuasion et les demandes unilatérales est révolu. L’accent doit désormais être mis sur le contrôle des armements et sur l’acceptation de la réalité, à savoir que la Corée du Nord est bel et bien devenue un État nucléaire. Si cette première étape fondamentale n’est pas franchie, il sera très difficile de reprendre la diplomatie et, a fortiori, de parvenir à un traité de paix.
Une fois cette étape franchie, une communication et des négociations régulières pourraient alors s’ensuivre. Ces efforts devraient également aller de pair avec des mesures visant à élargir le champ des relations entre les États-Unis et la RPDC (République populaire démocratique de Corée, nom officiel de la Corée du Nord) dans le but de normaliser les liens diplomatiques.
La raison pour laquelle les États-Unis sont au centre de cette question est que le traité d’armistice a été signé par la Corée du Nord, la Chine et les États-Unis. La Corée du Sud n’a jamais signé l’armistice et n’a donc pas officiellement son mot à dire sur la signature ou non d’un traité de paix. La décision finale revient à Washington et à Pyongyang (la Chine a déjà exprimé son soutien à la fin de la guerre de Corée).
Cela ne signifie pas pour autant que Séoul n’a pas sa place dans ce processus. La Corée du Sud peut notamment jouer un rôle de facilitateur en améliorant les relations entre les États-Unis et la Corée du Nord et en reprenant le dialogue intercoréen afin de réduire les tensions, d’instaurer un climat de confiance, d’accroître les échanges transfrontaliers et d’établir des relations bilatérales reposant sur des bases solides. L’actuel gouvernement de Yoon Suk-yeol devrait poursuivre les efforts déployés par le précédent gouvernement de Moon Jae-in au lieu de multiplier les exercices militaires et de s’engager dans des provocations répétées du type « oeil pour oeil, dent pour dent » avec le Nord. Ces provocations pourraient facilement conduire à des incidents ou des malentendus susceptibles de mener à la reprise d’une guerre totale. Rien de tout cela ne sert les intérêts nationaux de la Corée du Sud.
Au cours de chaque année qui passe sans traité de paix, la Corée du Nord poursuit le développement d’armes nucléaires, de missiles et de technologies militaires toujours plus avancés. La reprise du conflit sur la péninsule à l’heure actuelle pourrait conduire à une guerre nucléaire catastrophique qui affecterait le monde entier, et pas seulement l’Asie du Nord-Est. Les États-Unis ne peuvent plus se permettre d’être distraits par d’autres problèmes mondiaux, aussi urgents soient-ils.
La situation dans la péninsule nécessite une résolution, et le seul moyen de garantir une paix durable est de mettre fin à la guerre de Corée en signant un traité de paix.
Source : Responsible Statecraft, Gabriela Bernal, 20-07-2023
Traduit par les lecteurs du site Les-Crises