Le tambour existe depuis la nuit des temps et demeure des codes essentiels de l’Afrique contemporaine. Les abele à Douala, au Cameroun, et les mbalax à Dakar, au Sénégal, sont des véritables happenings tambourinés. À Lagos, au Nigeria, les apala tonnent dans les rues accompagnés par des chants teintés d’arabesques. À Brazzaville, le son des tams-tams se lève depuis les maquis de Bakongo, dans le sud de la ville.
C’est dans la capitale congolaise qu’Émile Biayenda fonde il y a vingt ans les Tambours de Brazza. Son but : ancrer le tambour dans le socle de l’actualité et en rénover l’usage à travers la multiplicité des échanges et des rencontres avec d’autres instruments et genres.
Fin janvier 2013, avec la parution de La Route des caravanes, la boucle est bouclée. Contrebasse, violoncelle, violon et clarinette s’ajoutent aux frappes vertigineuses des ngoma et du petit kidoukoulou – deux percussions typiquement congolaises –, aux riffs cuivrés des saxos et des trompettes, aux sons légers et métalliques de la sanza. Le titre symbolise la trajectoire musicale qui suit celle de l’histoire sur la route Pointe Noire-Zanzibar, où les captifs étaient emmenés enchaînés lors de l‘affreuse traite.
La genèse de l’un des plus significatifs courants de métissage de cultures et de musiques remonte en effet à cette époque troublante de l’histoire de l’humanité. Cela donnera la salsa, le reggae, la soul, le blues. Les Noirs de la traite transatlantique n’hésitèrent-ils pas à appliquer leur génie musical en devenant de talentueux joueurs de violons ? Ne mélangèrent-ils pas le son de l’accordéon aux chants sacrés de leur mère patrie ?
Biayenda, lui, a commencé par introduire guitare, basse et batterie dans sa formation de frappeurs émérites doublés de danseurs aux acrobaties surprenantes. Jusque-là, rien d’étrange, car à Kinshasa et à Brazzaville la musique africaine urbaine a éclos dans les années 1950 avec des orchestres maniant parfaitement ces trois instruments d’origine occidentale.
Puis, avec l’arrivée de l’organologie propre à la musique classique européenne, la dernière étape est franchie. Une synthèse éblouissante, où la fascination des éléments mélodiques adoucit l’effet de vertige de la roue rythmique. Un genre inédit d’une Afrique contemporaine où les apports extérieurs évoquent en réalité des litanies ancestrales et des appels insondables. Dans l’originalité du sound, on décèle des ressemblances surprenantes avec les steel-bands caribéennes, des harmonies sophistiquées au fond du son tambouyé. Et des mélodies vocales envoûtantes, épurées.
Avant de concevoir ce dernier album, Émile Biayenda est retourné à la source de son inspiration, chez les pygmées baabi, dans la Bwenza. « Je voulais approfondir la connaissance de leurs structures musicales. Chez eux, le chant est très important et je jouais pendant que les enfants chantaient. Leur art vocal est très raffiné et profond, c’est eux qui ont entendu le premier son de la terre. »