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Comment a pu se constituer, à quelques centaines de mètres de la Grand-Place de Bruxelles, la plate-forme djihadiste, à partir de laquelle ont été organisés les attentats de novembre 2015 à Paris et de mars 2016 à Bruxelles ? Dans un livre-enquête intitulé Molenbeek-sur-djihad, Christophe Lamfalussy, du quotidien La Libre Belgique, et Jean-Pierre Martin, de la chaîne de télévision RTL-Belgique, familiers du Moyen-Orient et de l’Afghanistan, décrivent en quoi le terrain a été si favorable au recrutement des auteurs des attentats dans la commune. Ils rappelant qu’à Molenbeck sévit un taux de chômage record de 52 % chez les jeunes de moins de 25 ans, issus pour la plupart de l’immigration marocaine et frappés par la discrimination à l’embauche. Car c’est de cette ancienne ville industrielle de 95 000 habitants que proviennent 79 des 543 combattants belges partis en Syrie, issus d’une poignée de familles. Parmi elles les Abdeslam et les Abrini, qui ont en commun d’avoir plusieurs membres impliqués dans le banditisme.
La marginalité et l’exclusion sociale n’expliquent pas tout. Felice Dasseto, islamologue de l’Université catholique de Louvain, rappelle aux auteurs cette évidence : « Les jeunes au chômage ou en situation difficile ne vont pas tous au djihad », insistant sur l’importance du facteur religieux. Car les problèmes remontent à loin selon les auteurs, qui mentionnent cet autre ingrédient indispensable du cocktail mortifère : le don par le roi Baudouin des clés de l’islam de Belgique à l’Arabie saoudite, qui hérita du site de la mosquée du parc du Cinquantenaire, inaugurée en 1978.
Le courant wahhabite est ainsi entré par la grande porte, inoculant sa propagande insidieuse révélée par des dépêches diplomatiques saoudiennes mises en ligne par WikiLeaks. On y apprend qu’en 2012, l’imam Khaled al-Abri, de ladite mosquée, parlait dans ses prêches du pays hôte comme d’un pays de « kouffar » (mécréants). De surcroît, le salafisme a pénétré en Belgique et à Molenbeek, dont environ 60 % des habitants sont d’origine marocaine, à partir du royaume chérifien. Plus particulièrement à partir de la région montagneuse du Rif, dont sont originaires 85 % des Marocains de Molenbeek.
L’abandon du Rif n’est pas étranger à la « djihadisation » de Molenbeek, laissent entendre les auteurs, qui évoquent le sentiment rebelle de la région. Ils expliquent le rapport hostile à l’autorité chez les descendants des victimes de la brutale répression de 1958 par l’armée marocaine, succédant à celle des Espagnols au début du xxe siècle. À quoi s’ajoute la propension du défunt roi Hassan II à y laisser opérer les imams salafistes. Pour preuve : une bonne moitié des 1 500 Marocains partis en Syrie et en Irak rejoindre Daech vient du Rif. Comme d’ailleurs l’un des imams de la mosquée Al Khalil de Molenbeek, arrivé en 1984, qui la fit basculer dans l’orbite des salafistes d’inspiration saoudienne.
L’efficacité meurtrière des djihadistes s’explique aussi par les erreurs des autorités belges qui ont sous-estimé le problème et ne se sont pas donné les moyens de combattre le phénomène. Sont pointés du doigt l’échec de l’intégration ainsi que le laxisme de l’État belge et des autorités municipales, qui a favorisé la propagation de l’islam radical à Molenbeek. Sur 41 lieux de prière recensés dans la commune, quatre seulement sont reconnus officiellement, au point qu’on a parlé d’« islam des caves et des garages ». Les auteurs épinglent aussi l’attitude permissive envers les salafistes, résultant des pratiques de clientélisme politique de la part du bourgmestre (maire) socialiste Philippe Moureaux, qui a pensé pouvoir acheter la paix en abandonnant aux imams la charge d’encadrer les enfants musulmans. Sans compter le manque d’arabisants dans la Sûreté de l’État, qui de plus s’est retrouvée en sous-effectif au moment des attentats du 13 novembre 2015 à Paris, et qui n’a pas vu venir…
Molenbeek-sur-djihad, Christophe Lamfalussy et Jean-Pierre Martin, Éd. Grasset, 301 p., 19 euros.