Comment a été conclu l’accord sur la libération des religieuses de Maaloula, prises en otages en Syrie? Par des négociations compliquées et interrompues à plusieurs reprises, depuis l’enlèvement des religieuses en décembre 2013 et jusqu’au dénouement de l’affaire, le 10 mars 2014. Le quotidien libanais As-Safir publie les détails de l’affaire.
Trois différents canaux ont mené les négociations avec l’adjoint de l’émir du front Al-Nosra à Qalamoun, Abou Aziza le Koweitien, dans son siège à Yabroud, avant la réussite de l’accord final.
Suite à la prise en otage des religieuses, les négociations ont été lancées sur deux parcours, puisque selon certains opposants syriens, les nonnes n’étaient pas des otages mais « accueillies par des hôtes ». Ces propos visaient à couvrir politiquement le rapt. Dans ce contexte, Michel Kilo avait déclaré que les sœurs étaient accueillies par un ami à Yabroud, non enlevées de force.
Durant les premières semaines, avant l’intervention des Qataris dans les négociations, Abou Azzam le Koweitien (adjoint d’Abou Malek Talli, émir du front Al-Nosra à Qalamoun), avait récupéré les otages du premier ravisseur, Mithkal Hamama, un des leaders des brigades Al-Sarkha.
Les ravisseurs ont tenté d’abord leur chance auprès du bureau de l’ONU à Damas et de son président, l’ambassadeur Moukhtar Lamani. Ce dernier a refusé de se rendre à Yabroud pour mener des négociations directes avec le front Al-Nosra, comme avait demandé Abou Azzam dans un entretien via Skype. New York avait ordonné à Lamani de refuser tout contact direct avec le front, inscrit sur la liste des terroristes. Les négociations se sont arrêtées.
Un deuxième canal de négociations a été ouvert. L’homme d’affaires originaire de Yabroud, Georges Hasouani, a joué un rôle essentiel dans cette étape. Il n’était pas un médiateur dans tout le sens du terme. Cet homme est en effet proche du gouvernement syrien et assumait la médiation en coopération avec le général Abbas Ibrahim, le chef de la Sécurité au Liban. Il était en contact via Skype avec Abou Azzam, qui n’a jamais enlevé sa ceinture d’explosifs lors des discussions.
Durant les pourparlers, les ravisseurs et les otages ont habité dans la demeure de Georges Hassouani à Yabroud, après que le front l’a occupée en son absence. Cet homme d’affaires a financé le séjour des ravisseurs dans sa demeure de trois étages, dans le but d’améliorer les conditions de vie des religieuses et de faciliter la communication quotidienne avec elles.
Les ravisseurs ont répété qu’ils ne cherchaient pas à obtenir une rançon mais que leur objectif était d’échanger les religieuses contre des détenues dans les prisons syriennes.
Ils ont avancé d’abord des listes regroupant des centaines de noms, avant de baisser le nombre à 138 détenues syriennes. Ils ont réclamé, pour poursuivre les négociations, que le gouvernement prenne l’initiative de libérer une prisonnière irakienne nommée Saja Hamid Douleimi. Cette femme est l’épouse d’un responsable irakien de l’organisation Al-Qaïda, arrêtée par les autorités syriennes, avec ses trois enfants, lors de l’une des opérations militaires dans le rif de Damas.
Les responsables syriens ont refusé la condition relative à Saja Douleimi, puisqu’elle ne fait pas partie des détenues syriennes. Ils ont de même répondu que les noms avancés par Abou Azzam le Koweitien, ne sont pas tous des personnes aux mains du gouvernement. Parmi les 138 noms, 66 était inconnus, alors que dix autres cités ont été libérés et 23 autres peuvent être libérées. Parmi ces noms Roueida Kenaan, Kamar Khatib, Randa el-Hajj Awwad, Zahia Abdel Nabi, Yasmine el-Balchi, Dalal Kurdi, Hourieh Ayyach, Hanadi Hussein et Majdouline el-Bayer.
L’insistance des ravisseurs sur la libération de Saja Douleimi a renforcé la conviction de ceux qui suivent les négociations qu’Abou Azzam n’était pas le véritable décideur dans l’affaire. Il n’était jamais en mesure de répondre aux propositions qu’on lui avançait. Il s’est plus tard avéré qu’il n’était qu’un simple médiateur dans une opération dirigée par d’autres parties du front Al-Nosra, notamment par Abou Mohammad Joulani, l’émir du front dans le levant.
Les négociations via le canal syrien ont été arrêtées début 2014. Le canal qatari a été alors activé, en coordination avec le général Abbas Ibrahim. Durant le dernier mois, des émissaires qataris s’étaient rendu dans la région d’Ersal, où ils ont communiqué avec les ravisseurs, mais sans parvenir à des percées. Les ravisseurs ont remis une liste de noms de détenues syriennes, comprenant 1000 noms au général Ibrahim. Les autorités syriennes ont refusé de négocier cette liste, la jugeant non sérieuse.
Un fait a attiré l’attention des négociateurs. La liste comprenait les noms de 150 détenus islamistes de la prison libanaise de Roumieh, dont une majorité d’étrangers. Le général Ibrahim, en coordination avec le président de la République et l’ancien Premier ministre Najib Mikati, ont catégoriquement refusé de négocier la libération du moindre prisonnier de Roumieh.
Les réalités sur le front ont relancé les négociations
Un responsable syrien a indiqué que les négociations ont été reprises depuis quelques jours, suite à des développements importants sur le terrain à Yabroud. Des développements similaires à ceux précédant la libération des otages d’Aazaz.
En effet, dans les deux dernières semaines, la bataille de Qalamoun a battu son plein. Les rebelles, composés de dix mille combattants, se sont dispersés. Le premier ravisseur des religieuses a été tué dans une embuscade tendue par l’armée syrienne. Ce fait a facilité la mission des médiateurs.
Depuis une semaine, les ravisseurs ont décidé de quitter la demeure de Georges Hassouani, avec l’avancée de la Garde républicaine syrienne qui a reconquis, avec le Hezbollah, les collines stratégiques autour des fermes Rima, dans la périphérie de Yabroud. Les religieuses ont été dispersées dans plusieurs lieux à Yabroud.
La semaine dernière, Abou Yazane, chef de la brigade Gouraba’ à Qalamoun, a repris ses contacts avec un des médiateurs qataris en rapport avec le gouvernement syrien. Il a demandé l’accélération de la finalisation de l’accord. Il a demandé une rançon de16 millions de dollars, la libération des femmes dont les noms étaient inscrits dans la liste, dont notamment Saja Douleimi, ses trois enfants irakiens et son mari.
Abou Yazan a réclamé aussi un cessez-le-feu autour de Yabroud et des passages sécurisés en faveur de 1500 rebelles de Yabroud, vers Rankous et Ersal. Mais cette condition a été catégoriquement refusée.
Une source syrienne indique que les Qataris ont pris à leur compte le payement de la rançon. Les autorités syriennes ont accepté la libération des femmes détenues. Mais les conditions militaires ont été complètement écartées des négociations.
Source: As-Safir